Comme j'ai eu l'occasion de vous le dire en commission, ma première réaction face à cette proposition de loi a été assez mitigée. Je n'aime pas trop ce qui peut donner l'impression que nous nous accordons une sorte de privilège – un de plus, diraient probablement beaucoup de nos concitoyens –, qui serait refusé aux autres.
Il faut néanmoins reconnaître que cette proposition de loi répond à une préoccupation croissante des élus locaux pour leur propre sécurité. Citons quelques chiffres significatifs : selon le ministère de l'intérieur, en 2022, il y a eu, par rapport à l'année précédente, une augmentation de 32 % des agressions à l'encontre des élus, principalement des maires – pour la moitié, il s'agissait d'outrages, pour 40 % de menaces et pour 10 % de violences volontaires. Selon d'autres chiffres intéressants, tirés d'un sondage Odoxa réalisé en novembre pour Le Figaro, 64 % des Français estiment que la sécurité des maires est mal assurée et 61 % pensent qu'ils pourraient personnellement renoncer à se présenter à une élection municipale, par crainte pour eux-mêmes ou pour leur famille. Tout cela est éloquent.
L'objectif de ce texte est donc de proposer des solutions qui rassureront nos élus. Les mesures envisagées vont de l'aggravation des sanctions en cas de violences contre les élus à l'amélioration de la prise en charge des élus victimes, en passant par une implication accrue des institutions dans la protection des élus. Il apparaît toutefois nécessaire d'examiner ces mesures ciblées et spécifiques dans un cadre plus large, d'autant que la commission a voté certaines dispositions qui me semblent problématiques – j'y reviendrai. Il importe de prendre en considération leurs diverses implications et de veiller à assurer un équilibre entre sécurité et libertés civiles.
La proposition de loi, qui se concentre sur la réponse répressive et la protection après les agressions, pourrait être enrichie par des mesures préventives plus globales. Je pense notamment à la mise en place de systèmes de signalement et de réponses rapides face aux menaces ou incidents en vue d'une intervention efficace en cas de problème, comme cela se fait déjà dans certaines communes, par exemple, pour les commerces ou les écoles.
L'impact de la loi sur les libertés civiles, notamment la liberté d'expression, pose question. Il me semble que les mesures proposées risquent de laisser place à une interprétation abusive. La liberté d'expression et le droit de la presse, consacrés par la loi du 29 juillet 1881, sont des matières compliquées, sensibles juridiquement, auxquelles la proposition de loi touche, notamment dans son article 2 bis, qui traite des problèmes liés à la diffamation, aux injures et aux outrages.
Pour être tout à fait claire, j'estime que nous ne devrions modifier cette loi de 1881 sur la liberté de la presse qu'avec beaucoup de précautions. S'il est vrai que les possibilités d'actions judiciaires contre les délits de presse sont enserrées dans des délais courts et que les évolutions technologiques – réseaux sociaux, internet, intelligence artificielle – favorisent la persistance de la diffusion des contenus injurieux et diffamatoires dans l'espace public et leur accessibilité dans le temps, allonger le délai de prescription relatif à un élément déterminé de la loi, comme le fait cet article 2 bis, risque d'entraîner des difficultés au regard des autres délais de prescription qui continuent à s'appliquer en matière de presse. Ma principale crainte est de déséquilibrer la loi de 1881 et, ce faisant, d'aller à l'encontre de l'objectif politique visé. Je voterai donc contre l'article 2 bis, dans sa rédaction actuelle.