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Intervention de Stéphane Lenormand

Séance en hémicycle du lundi 5 février 2024 à 10h00
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Lenormand :

Nous vivons une situation politique inédite, pour ne pas dire une anomalie démocratique, puisque le Gouvernement affronte sa première motion de censure alors même qu'il n'est pas encore entièrement constitué.

Le scénario avait été écrit par d'éminents stratèges, aidés de brillants communicants : il s'agissait de feuilletonner la composition du Gouvernement et d'étirer la séquence pour montrer que le Président reste le maître du jeu politique. Las ! cette belle stratégie a été percutée par un mouvement de colère agricole de grande ampleur. Le maître des horloges s'est heurté à la réalité d'un pays fracturé ; j'y reviendrai.

Monsieur le Premier ministre, j'ai entendu votre volontarisme : l'action, l'action, l'action, avez-vous dit ! Or, depuis quatre semaines, c'est plutôt : l'attente, l'attente, l'attente… En effet, près d'un mois après la démission d'Élisabeth Borne, plusieurs ministères restent désespérément vacants, dans une sorte de latence du pouvoir.

Pas de ministre du logement, bien que le secteur traverse une crise structurelle et que nos concitoyens nous disent leurs difficultés à se loger. Nous avons entendu vos propositions en matière de simplification et d'accélération des procédures. Suffiront-elles à enrayer la crise ? Quid des modifications que vous entendez apporter à la loi SRU ? Si elles vont dans le sens d'un détricotage, je tiens à vous rappeler, l'impératif de mixité et de cohésion sociale.

Pas de ministre délégué aux outre-mer non plus, alors que Mayotte connaît une flambée de violence. Comment ne pas se sentir considéré comme un Français de seconde zone lorsqu'on vient de ces territoires éloignés de l'Hexagone ? Nous avons déjà eu trois ministres des outre-mer différents depuis 2022, et on nous annonce la nomination d'un quatrième… Nous continuons de demander non seulement l'adaptation de chaque grand projet de loi aux spécificités ultramarines dès la conception du texte, mais aussi une grande loi de programmation pour les outre-mer.

Pas de ministre délégué à la santé non plus, ce champ étant noyé dans le périmètre de trois anciens ministères. Pourtant, combien de fois avons-nous relayé, dans cet hémicycle, les inquiétudes de nos concitoyens concernant l'accès aux soins, la désertification médicale et la fermeture des services d'urgence ? Nous avons alerté le Gouvernement sur la fatigue des soignants et des personnels hospitaliers : notre hôpital et, de manière générale, notre système de santé sont à bout de souffle. Faut-il, là aussi, attendre une révolte pour agir ?

Nous avons pris bonne note de vos engagements : un service d'accès aux soins par département, la régularisation de médecins étrangers et le recrutement d'assistants médicaux. Mais vous n'avez rien dit, ou si peu, de la trajectoire financière et de l'organisation de l'hôpital.

Quant à l'éducation, vous l'avez érigée en priorité, mais les polémiques sans fin qui entourent la ministre de l'éducation nationale brouillent le message. Deux questions, cependant : la généralisation de l'uniforme est-elle la solution ? La mise en place de groupes de niveau au collège améliorera-t-elle le niveau général ? Soyons sérieux : arrêtons les communications à deux balles et travaillons sur le fond !

Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé un gouvernement resserré. Pourquoi pas ? Mais il faut vite qu'il soit au complet, car les chantiers ne manquent pas et ils doivent être conduits – ce qui rend l'exercice plus complexe encore – dans un contexte où notre déficit est l'un des plus importants de la zone euro et où la remontée des taux d'intérêt plane comme une menace sur les prochains mois. Cela ne vous a pas empêché de promettre une baisse d'impôts de 2 milliards, lesquels s'ajoutent aux 12 milliards d'euros d'économies prévues par ailleurs. Où allez-vous faire des coupes ?

Ces derniers jours, les députés du groupe LIOT ont fait le choix, au terme de longs échanges, de ne pas voter pour cette motion de censure. Nous restons fidèles à ce qui est notre credo depuis 2022 : notre groupe entend être un groupe d'opposition et de propositions. En effet, nous ne nous retrouvons pas dans les gesticulations et la recherche du coup d'éclat permanent. Nos concitoyens nous le disent : ils s'opposent à cette stratégie du bruit et de la fureur, et veulent que l'on apporte des solutions équilibrées à leurs problèmes.

Néanmoins, je le rappelle encore une fois, les Français ont choisi de ne donner au Président et au Gouvernement qu'une majorité relative. Ce faisant, ils vous ont enjoint de travailler différemment, moins verticalement, en recourant davantage à la concertation. C'est d'ailleurs la promesse qui avait été faite au lendemain des élections législatives ; elle n'a guère été tenue par votre prédécesseure, ou très peu. Nous vous rappellerons donc cette méthode autant qu'il le faudra.

Monsieur le Premier ministre, votre discours de politique générale, qui semble marquer une inflexion, soulève à tout le moins quelques questions.

Les premières portent sur les réponses que vous apportez à la crise agricole. L'ampleur de la mobilisation révèle un monde agricole à cran. Les députés de mon groupe avaient pourtant alerté le Gouvernement, ces derniers mois, sur l'amoncellement des normes, l'enfer administratif des aides versées au titre de la politique agricole commune (PAC), les conséquences du dérèglement climatique et la multiplication des crises – je pense notamment à celle de la grippe aviaire, lors de laquelle mon collègue David Taupiac s'était mobilisé. Nous avons également, comme beaucoup, souligné l'insuffisance des lois Egalim de 2018, 2021 et 2023, pour rééquilibrer les relations commerciales et permettre simplement à nos agriculteurs de vivre de leur travail.

Pourtant, le Gouvernement ne semblait pas avoir pris la mesure des problèmes, comme en témoigne la faiblesse du projet de loi d'orientation agricole, retiré en catastrophe pour – nous l'espérons tous – être renforcé. Depuis, nous avons pris connaissance des propositions que vous avez faites ces deniers jours dans l'espoir d'éteindre l'incendie. Ainsi, dans le contexte inflationniste actuel, votre recul sur le gazole non routier (GNR) est un soulagement bienvenu. En revanche, nous nous interrogeons sur la simplification des aides de la PAC. Au-delà des mesures d'urgence, les solutions passent par davantage de décentralisation afin de réduire les délais d'attente, actuellement incompréhensibles.

Je dois vous dire nos réserves sur vos propositions concernant le rééquilibrage des relations commerciales. Davantage de contrôles, oui, mais cela ne suffira pas, tant les causes du problème sont profondes. Il faut que cessent les pressions à la baisse sur les prix des matières premières agricoles.

Les députés du groupe LIOT se sont également mobilisés contre les grands accords de libre-échange, qui introduisent une concurrence déloyale et favorisent le moins-disant social et environnemental. Outre l'abandon de l'accord avec le Mercosur, nous plaidons pour que la France défende à l'échelle européenne l'instauration de clauses miroirs comme préalable à toute discussion.

Nous avons été très étonnés par la quasi-absence, dans votre discours de politique générale, de propositions sur le pouvoir d'achat, comme si le problème avait disparu de vos radars. Pourtant, la question de la vie chère reste une des premières préoccupations de nos concitoyens, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer. L'inflation ralentit, certes, mais les prix ne baissent pas vraiment.

À ce propos, nous avions obtenu de votre prédécesseure une extension du chèque carburant versé aux Français des classes populaires et moyennes qui utilisent leur voiture. Bien qu'elle ait été inscrite dans le budget pour 2024, cette mesure a été en partie remise en cause par le ministre de l'économie. Ma question est donc simple : quand entrera-t-elle en vigueur ?

Poser la question du pouvoir d'achat, c'est poser aussi la question des salaires. Nous soutenons votre volonté de « désmicardiser » le pays. Les députés du groupe LIOT se retrouvent sur ce point : il faut que le travail paye. Nous avons pointé l'écrasement de l'échelle des salaires au niveau du Smic, et celui des carrières passées au Smic, ou rattrapées par le Smic.

Vous avez annoncé une remise à plat du système d'aides et d'exonérations dans le prochain budget. Il s'agit d'un chantier d'ampleur. Vous nous trouverez à vos côtés, si cette réforme concilie deux impératifs : faciliter la progression des salaires et financer le système de protection sociale.

Parler de travail, c'est aussi évoquer votre projet de réforme de l'assurance chômage. Vous défendrez probablement un nouveau durcissement ; vous avez déjà annoncé la suppression de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) que touchent les chômeurs en fin de droits. Nous serons particulièrement attentifs à l'emploi des seniors. Comme nous l'avons dit lors de la réforme des retraites, il faut un grand plan en faveur de l'emploi des seniors. Je veux aussi vous mettre en garde contre un raisonnement un peu simpliste, qui rendrait les demandeurs d'emploi responsables de la hausse attendue, ces prochains mois, du taux de chômage dans notre pays.

Vous avez également évoqué le dispositif de « solidarité à la source », en préparation depuis de nombreux mois, et dont la concrétisation ne semble pas une priorité. Quand comptez-vous achever cette réforme ?

Cela conduit à l'un des principaux maux dont souffre notre pays : la complexité et l'accumulation des normes. Il y a quelques semaines, j'interrogeais le ministre de l'intérieur sur la situation ubuesque de l'importation des armes et des munitions à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous savons tous que simplifier est complexe. Il s'agit d'un travail de fourmi, qui doit être mené patiemment. Des modifications législatives devront être apportées, et nous y serons attentifs, notamment à l'occasion de l'examen du second projet de loi sur l'industrie verte que vous avez annoncé. Notre collègue Christophe Naegelen, président du groupe d'études sur la simplification administrative, est engagé sur cette question.

Un autre grand mal de notre pays est son extrême centralisation. Cette pratique si verticale du pouvoir renforce le sentiment d'éloignement que ressentent les Français. Il faut décomplexifier, comme il faut décentraliser et déconcentrer notre pays. Il faut aller jusqu'à différencier et adapter les normes, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer. Je pense aussi à la Corse, où des discussions visant à davantage d'autonomie sont en cours, qui devront aboutir dans les prochains mois à une réforme constitutionnelle. C'est à ce prix que nous combattrons à la fois la défiance et la montée du sentiment d'injustice qui traversent notre pays, et en accroissent les fractures. Les Français ont le sentiment d'un pays à deux vitesses, d'une école à deux vitesses, d'un hôpital à deux vitesses, d'un pays qui n'est plus le même selon l'endroit qu'on habite et selon le milieu d'où on vient.

Monsieur le Premier ministre, votre tâche est ardue, et le contexte difficile. Vous êtes le chef d'orchestre d'une majorité relative. Personne, ni aucun groupe, ne détient la vérité absolue. À vous d'écrire une partition, au nom de l'intérêt général de tous les Français et Françaises, avec écoute et respect pour la diversité politique, qui s'exprime dans cet hémicycle, et qui traduit les fractures de notre pays.

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