Intervention de Benjamin Lucas-Lundy

Séance en hémicycle du lundi 5 février 2024 à 10h00
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Lucas-Lundy :

quand vous reprenez les slogans de la chaîne de M. Bolloré et lui offrez le départ des rares ministres qui osent dire la vérité à son sujet.

Vous êtes enfin le jumeau de M. Bardella pour ce qui concerne la conception de l'école. Je m'y attarderai un instant parce que celle-ci est au cœur de la refondation du pacte républicain. Vous et lui partagez un même diagnostic – c'est le monde vu par CNews : l'école serait malade d'un manque d'autorité. La réalité, c'est qu'elle est malade d'un manque d'égalité. L'école de notre pays est en effet comme un hôpital qui soignerait très bien les patients, dès lors qu'ils sont en bonne santé – le lieu de la reproduction sociale. Cette situation, vous voulez l'amplifier, car vous êtes habité par une vision de la société et de l'école qu'avait parfaitement bien résumée le président Macron lui-même, avec d'un côté ceux qui réussissent et, de l'autre, ceux qui ne sont rien.

Selon cette vision, la réussite des meilleurs pourrait être entravée par ceux qui n'y arrivent pas aussi bien. De cette analyse procède aussi la validation morale du séparatisme scolaire, du refus de la mixité – y compris de genre – au plus haut sommet du ministère de l'éducation nationale. Vous considérez la République et son école comme un casino : faisons l'« égalité des chances », et advienne que pourra !

Face à vos obsessions inégalitaires, j'assume quant à moi l'obsession de l'égalité. Nous refusons de croire à vos fables d'une école d'antan fantasmée. Nous voulons donner à l'école la force de la promesse républicaine, en lui octroyant les moyens nécessaires pour accomplir sa mission, en repensant la façon dont on enseigne et dont on apprend, en renforçant, par l'éducation populaire, la culture, le droit aux vacances ainsi que l'alliance éducative qui permet à chaque élève de trouver confiance en lui.

Vous êtes en train de casser notre service public d'éducation, pas après pas, marche après marche, sans que la représentation nationale puisse donner son avis, et encore moins son aval. Le collège unique, c'est apprendre et faire société ensemble, pas apprendre séparément avec le même uniforme dans le même lieu. La décision de mettre en place des groupes de niveau, qui vont assigner à résidence toute une population d'élèves fragiles, majoritairement issue des catégories populaires, ne peut se faire par simple décret. Nous vous demandons, monsieur le Premier ministre, de surseoir à ce projet pour permettre aux parlementaires d'en débattre et de trancher la question.

Tocqueville écrivait : « Dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau. » La question qui se pose dès lors à notre génération est celle de savoir quel peuple nous voulons être. Notre génération, qui est la première à être pleinement consciente du péril mortel pour l'humanité que représente le réchauffement climatique, celle pour laquelle a été inventé le concept d'éco-anxiété, aspire à être le peuple d'une République écologique, où l'on ne se bat pas pour l'accès à l'eau, où l'on retrouve le plaisir d'une nature débarrassée des entrepôts géants et de la bétonnisation à outrance.

Notre génération, qui grandit dans la certitude qu'elle vivra moins bien que les précédentes et fait plus que les autres l'expérience de la précarité, aspire à former un peuple solidaire, épris de justice et d'égale dignité des êtres. Il n'est en effet pas facile d'avoir 24 ans en 2024.

Notre génération, ouverte au monde, qui vit la pluralité et la diversité comme la grande richesse de la nation, aspire à être un peuple qui vit en paix et dans le respect de chacune et de chacun ; une société débarrassée du racisme, des discriminations, du sexisme, de l'homophobie.

Notre génération, la plus informée et la plus connectée de l'histoire, aspire à être un peuple citoyen, dans une démocratie vivante, bouillonnante, dans laquelle un président de la République ne peut se passer du consentement des électeurs ou de leur Parlement, ni mépriser les syndicats, les associations, les contre-pouvoirs locaux ou le pouvoir judiciaire.

Notre génération, qui est suffisamment adulte, aspire à être un peuple qui se construit par la conviction plus que par l'injonction. Elle ne veut pas de votre service national obligatoire ! Les valeurs de la République ne s'apprennent pas dans les casernes, elles doivent s'éprouver dans la vie quotidienne de chacun – je pense notamment aux jeunes des quartiers populaires.

Notre génération aspire à l'audace, celle qui ouvre le champ des possibles, qui donne à la politique et à l'engagement toute leur beauté. Vous avez d'ailleurs achevé votre discours de politique générale en citant Danton : « De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ».

De l'audace, il en faut pour abolir les privilèges, monsieur le Premier ministre, pas pour les faire perdurer ; il en faut pour engager la révolution écologique, pas pour céder aux lobbys ; pour penser un autre modèle que celui qui est obsédé par la croissance et le profit, pas pour tenter de faire vivre sous perfusion le vieux modèle productiviste et les dogmes néolibéraux du millénaire dernier ; il en faut pour éradiquer la pauvreté et partager les richesses, pas pour stigmatiser les plus pauvres et les priver de droit au bonheur ; pour que l'on travaille mieux, moins et tous, pas pour fliquer les chômeurs, négliger les souffrances au travail et ne pas rémunérer dignement celles et ceux qui n'ont que cette force de travail pour vivre ; il en faut pour offrir un logement digne à chaque Français, pas pour démanteler la loi SRU ; pour les protéger de l'inflation, de ce calvaire que devient chaque passage à la caisse du supermarché, pas pour minimiser la réalité de leurs difficultés.

Où est l'audace dans le macronisme de M. Attal ? Pour les cabinets de conseil qui écrivent les éléments de langage de la majorité, votre nomination devait incarner le retour à l'esprit du « nouveau monde » de 2017. Quelle prétention, tout de même, de s'arroger sans cesse le mérite de nous faire changer d'époque ! La « renaissance », c'était autrement plus « disruptif » – comme vous pourriez dire – qu'un remaniement qui consacre le retour de vieilles gloires des gouvernements Raffarin ou Fillon.

Où est l'audace dans le lepénisme de M. Bardella ? Les députés du groupe Rassemblement national maquillent leurs convictions pour mieux duper les Français quant à la réalité de leur projet. Ils ne font que des coups tactiques, uniquement pour attraper chaque colère qui passe.

L'audace est chez celles et ceux qui croient qu'un autre monde est possible, qui veulent agir à la racine des désordres qui minent la société, abolir la violence des injustices, la chappe de plomb inégalitaire qui étouffe le pays. L'audace, plus que jamais, c'est renouer avec le serment humaniste, avec la République sociale.

Je le dis, et c'est une profession de foi : nous ne vous laisserons pas enfermer la démocratie française dans ce tête à tête mortifère pour la République que vous mettez en scène avec M. Bardella. Nous serons au rendez-vous des combats pour défendre les Français face aux urgences de leur quotidien et aux méfaits de votre politique. Enfin nous serons là, le moment venu, unis, pour leur proposer le projet qui relèvera les grands défis de l'avenir de la nation.

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