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Intervention de Anne-Laurence Petel

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 15h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Laurence Petel, rapporteure :

Le 19 septembre 2023, trois ans après la guerre des 44 jours dont le cessez-le-feu a été signé le 9 novembre 2020, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev a lancé une opération militaire de grande ampleur contre les Arméniens de la République autoproclamée du Haut-Karabakh, avec pour objectif l'occupation totale de ce territoire.

Cette attaque éclair a constitué l'ultime phase d'une conquête territoriale entamée entre septembre et novembre 2020. C'est une guerre qui a été conduite avec l'aide de la Turquie, de 5 000 djihadistes venus de Syrie et qui a fait des milliers de morts et de blessés de part et d'autres, laissant la République autoproclamée d'Artsakh amputée des ¾ de son territoire.

L'opération militaire du 19 septembre n'a pas présenté de difficulté majeure pour les forces azerbaidjanaises pour trois raisons. En premier lieu, le cessez-le-feu de 2020 a laissé les Arméniens du Haut-Karabakh quasiment sans défense. En deuxième lieu, cette attaque a été précédée d'un blocus de neuf mois du corridor de Latchine - cordon ombilical entre le Haut-Karabakh et la République d'Arménie - commencé en décembre 2022, laissant les populations sans vivres, sans médicaments et sans carburant. En troisième lieu, la Russie, que l'accord de cessez-le-feu de novembre 2020 désignait comme garante de la libre circulation des biens et des personnes et dont les 2 000 soldats devaient assurer la protection de la population, a refusé de jouer son rôle et d'intervenir pendant le blocus et l'attaque, laissant la population sans défense face à son agresseur.

Le déséquilibre écrasant des forces, conjugué aux conséquences du blocus et à l'inaction des forces russes, a ainsi conduit dès le lendemain de l'attaque à la reddition de l'armée de défense de la République autoproclamée d'Artsakh et à une victoire militaire totale de l'Azerbaïdjan.

La conséquence de cette opération militaire a été immédiate : le nettoyage ethnique de ce territoire peuplé d'Arméniens depuis plusieurs millénaires. Fuyant les bombes et l'avancée des troupes azerbaïdjanaises, contraints par les menaces explicites transmises par messagerie et vidéos, plus de cent mille Arméniens du Haut-Karabakh ont ainsi fui en quelques jours vers la République d'Arménie voisine, soit la quasi-totalité de la population. Pour la première fois depuis 2 500 ans il n'y a plus d'Arméniens dans ce territoire considéré comme le berceau de la culture arménienne.

Ce processus de nettoyage ethnique, déjà entamé lors de la guerre de 2020, relève d'une stratégie délibérée d'éradication de la présence arménienne au Haut-Karabakh, que cette proposition de résolution européenne vise à dénoncer. Il se traduit non seulement par le départ forcé des populations, mais aussi par la dégradation et la destruction systématique du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires passés sous contrôle de l'Azerbaïdjan. Ces faits sont documentés par des images satellites produites par l'Université de Durham en Angleterre.

La volonté expansionniste d'Ilham Aliyev ne se limite cependant pas au seul territoire du Haut-Karabakh. À la suite d'opérations militaires menées à partir de mai 2022, et qui ont culminé les 12, 13 et 14 septembre 2022, l'Azerbaïdjan occupe près de deux cents km2 du territoire souverain de la République d'Arménie. Cette occupation, dans les régions du Gegharkunik, du Vayots Dzor et du Syunik, est précisément documentée par la mission civile de l'Union européenne présente en Arménie depuis le début de l'année 2023.

L'ambition expansionniste du régime azerbaïdjanais se matérialise par la revendication récurrente d'un corridor extraterritorial pour relier l'Azerbaïdjan à son exclave du Nakhitchevan, à travers le territoire souverain de la République d'Arménie. Cette revendication, à laquelle s'ajoutent les propos bellicistes et anti-arméniens dont Ilham Aliyev est coutumier, fait désormais craindre régulièrement une opération militaire de l'Azerbaïdjan pour imposer l'ouverture de ce « corridor du Zanguezour » et s'emparer de tout ou partie du Sud de l'Arménie. Il convient de noter que cette dernière ne s'oppose pas à ce que les voies de communication de cette région puissent être utilisées par les Azerbaïdjanais pour communiquer avec le Nakhitchevan dès lors que la souveraineté arménienne y demeurerait pleine et entière, ce qui est une demande légitime dans un pays souverain. Cette option est un point de l'accord de cessez-le-feu de 2020 mais la position de l'Arménie ne semble pas satisfaire l'Azerbaïdjan, toujours plus gourmand. Preuve de cette mauvaise volonté et des buts cachés d'Aliyev, l'Iran propose une option sur son propre territoire, de l'autre côté de la frontière, mais l'Azerbaïdjan la rejette.

Face à cette situation, la France n'est pas restée sans réaction. En premier lieu, notre pays a été le premier à dépêcher une aide humanitaire pour la prise en charge des blessés du Haut-Karabakh transférés en Arménie et pour permettre l'accueil des réfugiés, ainsi qu'à mettre en œuvre un renforcement de cette aide à plus long terme, à la fois à titre bilatéral et par l'intermédiaire des agences des Nations unies et de la Croix-Rouge. Notre aide humanitaire est ainsi passée de 5 à 12 millions d'euros, bien plus que l'Union européenne, l'augmentation de cette aide par l'Europe est d'ailleurs une demande de cette proposition de résolution européenne.

En second lieu, la France a été initiatrice des efforts diplomatiques déployés afin d'amener ses partenaires à condamner plus fermement le recours à la force et ses conséquences, à défendre le principe de l'intégrité territoriale de l'Arménie et à œuvrer en faveur de la signature d'un traité de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Les efforts de la France pour sensibiliser ses partenaires européens ont notamment permis une implication de l'Allemagne dans la médiation et la présence désormais d'Olaf Scholtz dans certaines rencontres diplomatiques de négociation d'un traité de paix, notamment à Chisinau en Moldavie le 1er juin dernier, en marge de la communauté politique européenne.

Afin d'aider la République d'Arménie à défendre son intégrité territoriale, la France a renforcé sa coopération militaire avec l'Arménie. Lors d'une visite à Erevan, le 3 octobre 2023, la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères a ainsi indiqué que la France avait « donné son accord à la conclusion de contrats futurs forgés avec l'Arménie qui permettront la livraison de matériel militaire », afin de donner à l'Arménie les moyens d'assurer sa défense et de lui permettre d'assurer la maîtrise du ciel. Je rappelle que l'utilisation massive de drones et de bombes à sous-munitions ou au phosphore avait fait des dégâts lors de la guerre de 44 jours.

Cet accord de coopération militaire a été officiellement signé le 23 octobre dernier par le ministre des Armées M. Sébastien Lecornu et par M. Suren Papikyan, ministre de la défense de la République d'Arménie.

J'ajoute qu'un attaché militaire de défense avait préalablement été nommé à l'ambassade de France, qu'une représentation consulaire française a été ouverte à Goris, dans le Sud convoité par l'Azerbaïdjan, et que l'accord de défense comprend également un conseiller de défense auprès du ministère de la défense arménien.

Cette décision fait de la France le premier pays occidental à s'engager concrètement pour le renforcement des capacités de défense de la République d'Arménie, dans un contexte où la Fédération de Russie, partenaire de défense historique de l'Arménie, a failli à ses obligations.

La proposition de résolution européenne que je présente porte les enjeux d'intégration des populations réfugiées, de garantie de leur droit au retour, de préservation de leur patrimoine culturel et religieux, de reconnaissance de l'intégrité territoriale de l'Arménie à protéger. Elle rappelle également l'importance de la signature d'un traité de paix avec la reconnaissance de frontières claires.

La présente proposition de résolution européenne appelle l'Europe à intensifier son soutien humanitaire et à développer sa coopération avec la République d'Arménie. Elle encourage les efforts visant à préserver le patrimoine arménien du Haut-Karabakh et à permettre le droit au retour des populations déplacées. Elle vise enfin à appeler l'Europe à prendre les mesures nécessaires pour garantir l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, en envisageant des sanctions contre les dirigeants azerbaïdjanais en cas de violation de l'intégrité territoriale de la République d'Arménie et en développant les coopérations de défense avec la République d'Arménie au titre de la Facilité européenne pour la paix (FEP), ce dont le Conseil des ministres des Affaires étrangères du 13 novembre 2023 a convenu « d'étudier la possibilité ».

Le conflit du Haut-Karabakh, qui a commencé dès la fin des années quatre-vingt, avant même la dissolution de l'URSS, n'est en effet réglé qu'en apparence. Pays enclavé, entouré de voisins hostiles, notamment l'Azerbaïdjan mais aussi son allié la Turquie, qui ne cache pas son projet panturc et dont la frontière avec l'Arménie est fermée depuis 1993, l'Arménie se trouve dans une situation d'extrême vulnérabilité. La Russie, seule puissance extérieure à même d'agir de façon décisive dans la région, lui refuse désormais son soutien. L'Arménie est à la fois au cœur de la résurgence des empires mais aussi au carrefour d'enjeux géostratégiques qui mêlent les intérêts de pays comme l'Iran ou la Turquie.

Au-delà de ces enjeux, il est primordial de rappeler que depuis 2018, l'Arménie a engagé sa vie politique et ses institutions sur le chemin de la démocratie. Ce changement l'amène à se rapprocher de l'Europe et à renforcer son indépendance vis-à-vis de la Russie. Je rappelle que jusqu'en 1991 l'Arménie était une République de l'ex-URSS. C'est un changement risqué vis-à-vis de son voisin russe et il faut saluer le courage du gouvernement et des députés qui ont récemment voté son adhésion à la Cour pénale internationale (CPI).

Au regard de notre histoire commune, de la nécessaire stabilité du Caucase du Sud mais aussi des valeurs démocratiques qui nous lient, il est essentiel de saluer le soutien de la France à l'Arménie, l'encourager à poursuivre son action et surtout appeler l'Union européenne à agir beaucoup plus résolument et activement afin de stabiliser la région en aidant l'Arménie à consolider sa souveraineté, son économie et sa défense.

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