Comme chacun ici, nous souhaitons lutter contre les violences routières ; reste à savoir si la modification de la dénomination d'une infraction peut concourir à cet objectif. Certains collègues se sont réjouis de la création d'une qualification à mi-chemin entre l'infraction volontaire et l'infraction involontaire. Or, ce n'est pas possible : soit l'infraction comporte un élément intentionnel, soit elle en est dépourvue. Changer les termes par souci de ne pas choquer les familles ne changera pas la qualification juridique de l'infraction.
Est-ce bien le rôle du législateur de légiférer sous le coup de l'émotion ou pour rendre une dénomination moins choquante pour certains ? Mais alors, c'est tout notre droit qu'il faudrait requalifier. De fait, la proposition de loi résulte d'une annonce faite par Gérald Darmanin à la suite de l'affaire Palmade. Certaines associations, qui demandaient le changement de la qualification, se réjouissent qu'on légifère ainsi sous le coup de l'émotion, mais beaucoup d'autres ne sont pas dupes et ont conscience que ça ne changera rien : l'infraction reste involontaire, quelque pudeur qu'on y mette.
J'ai été un peu choquée en lisant, dans l'exposé des motifs, que le nouveau régime d'infraction créé « ne devrait pas laisser les magistrats indifférents dans leur appréciation de la faute pénale commise, ce qui pourrait entraîner un durcissement du prononcé des peines ». Si c'est à ce résultat que l'on veut aboutir, il faut l'écrire dans la loi. Or, on ne l'écrit pas. Aussi, je m'interroge : est-ce le comportement des magistrats que l'on veut modifier ou celui des délinquants de la route ? Si ce sont les magistrats qui sont visés, il faut l'écrire sans pudeur.
Les familles seraient insatisfaites parce que les magistrats ne jugent pas de la bonne manière. Or, les magistrats ne jugent pas une infraction, ils jugent un homme ou une femme, et ils continueront quelle que soit la qualification que vous déciderez. Je ne suis donc pas du tout persuadée qu'un changement de qualification entraînerait une modification de la peine prononcée.
Surtout, je suis déçue que la proposition de loi n'aborde pas le fond du sujet. On sait que 30 % des homicides sur la route sont dus à l'alcool. Or on ne parle pas de ces questions. On n'est pas capable d'interdire la publicité pour l'alcool, de restreindre les comportements liés à sa consommation, car cela nécessiterait un affrontement avec des lobbys puissants. C'est autrement plus difficile que de changer une qualification. Pourtant, cela permettrait d'atteindre l'objectif visé.
Le groupe GDR, en toute conscience, s'abstiendra.