Votre rapport « Améliorer le traitement judiciaire des violences intrafamiliales » avait le mérite d'être très ambitieux, bien plus que cette simple proposition de loi. Nous attendons donc avec impatience les 58 autres propositions de loi devant le décliner.
La proposition de loi va dans le bon sens en créant un nouvel outil pour protéger en urgence les victimes de violences conjugales ou intrafamiliales. Elle pose néanmoins deux problèmes majeurs : d'une part, cet outil est créé à moyens constants. Or les tribunaux judiciaires sont déjà surchargés. Les JAF n'auront pas les moyens ni le temps d'un examen sérieux de la situation individuelle des victimes. D'autre part, le texte s'inscrit dans une fuite en avant sécuritaire et le règne du provisoire qui caractérisent votre traitement des violences sexistes et sexuelles (VSS). Il ne prend pas la mesure du problème en se contentant d'ajouter un outil provisoire. Il ne s'inscrit pas dans une politique publique plus large de prévention des violences et d'accompagnement des victimes dont l'hébergement d'urgence, le téléphone grave danger, l'éviction du domicile familial de l'auteur des violences, le bracelet antirapprochement, etc. sont des illustrations.
Le provisoire est une ruse pour cacher le manque de moyens pour l'accompagnement et la protection des victimes. Il suffit de passer une journée auprès des JAF : dix minutes par dossier et des audiencements tardifs pour une famille qui se déchire, signe d'une justice qui se désagrège et qui ne tient que par des rafistolages provisoires comme celui que vous proposez.
L'allongement de la durée de l'ordonnance de protection est une bonne mesure qui laisse le temps aux victimes de prendre les dispositions matérielles et juridiques pour se protéger. Nous défendons cependant un accompagnement des victimes jusqu'à la sortie effective et durable des violences. L'ordonnance ne se suffit pas à elle-même, elle doit se doubler d'un accompagnement des victimes, qu'il s'agisse de l'hébergement, du suivi psycho-social, pour les enfants notamment, ou de l'accès à des avocats spécialisés. En outre, il ne faut pas oublier la police qui est bien souvent le premier interlocuteur.
Bien que le Gouvernements se targue d'un budget historique pour la justice, le recrutement des magistrats – 327 postes supplémentaires en 2024 – n'est pas à la hauteur des enjeux. Le manque de greffiers et de magistrats empêchera les tribunaux de s'emparer efficacement du nouvel outil.
Enfin, nous constatons une nouvelle fois un basculement de la logique de la prévention et de la réinsertion vers celle de la répression, sans réel effet dissuasif sur la récidive. Or la solution réside dans l'accompagnement des victimes et la sensibilisation.
Je vous renvoie à une expérience nantaise, Citad'elles, un lieu ouvert depuis 2019 qui a accompagné 12 500 femmes, a traité 3 180 dossiers et a suivi 60 % des femmes dans le cadre d'un parcours de sortie des violences sur trois ans. Cela ne coûte pas plus cher que le service national universel ou l'uniforme, cela coûte moins cher que la lubie machiste du réarmement démographique.
Tous le disent – JAF, associations féministes, psychologues, avocats, syndicats de police –, il faut mettre le paquet sur les VSS et les VIF et cordonner tous les acteurs. Ils vous demandent 2 milliards d'euros pour mettre sur pied ce projet. Nous nous engageons à sortir le carnet de chèques pour la cause des femmes.
Nous voterons le texte en dépit de son effet marginal sur le contentieux familial et des VSS.