L'ordonnance de protection, dispositif de protection des personnes victimes de violences conjugales, est bien connue de notre commission puisqu'elle est issue d'une proposition de loi adoptée par notre assemblée en 2010. Il s'agit d'un mécanisme de droit civil dans lequel le juge aux affaires familiales peut prendre des mesures destinées à protéger une personne victime de violences commises par son conjoint ou son ex-conjoint. Toutes les formes de violences sont concernées, pas uniquement les violences physiques.
Le juge aux affaires familiales (JAF), qui doit se prononcer dans un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, peut prononcer des interdictions de contact ou de paraître, mais aussi proposer une prise en charge sanitaire ou psychologique à la partie défenderesse.
Deux éléments doivent être réunis pour qu'une ordonnance soit délivrée : des violences vraisemblables commises sur la partie demanderesse et un danger vraisemblable auquel cette personne ou ses enfants seraient exposés. Cette notion de danger fait d'ailleurs l'objet de débats, mais je ne le détaillerai pas car nous aurons l'occasion d'y revenir en examinant les amendements.
Comme le répète souvent Ernestine Ronai, qui est à la fois présidente de l'Observatoire des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et présidente du comité national de l'ordonnance de protection, cette ordonnance est la première marche de protection des femmes victimes de violences conjugales. Elle n'a pas vocation à résoudre l'ensemble des problèmes liés à ces dernières, mais elle protège la victime et lui donne l'espace et la sécurité nécessaires pour stabiliser sa situation juridique et financière.
La lutte contre les violences conjugales, considérées voilà encore quelques années comme du ressort de l'intime et du foyer conjugal, est devenue un véritable enjeu de politique publique : nous parlons désormais de violences intrafamiliales (VIF). Le Grenelle des violences conjugales, organisé dès 2019, a favorisé cette prise de conscience collective. Le foyer doit rester le lieu de la sécurité essentielle.
Dans le cadre de ma mission sur les violences intrafamiliales, menée aux côtés de la sénatrice Dominique Vérien, j'ai ainsi pu constater les progrès réalisés en matière de lutte contre les violences perpétrées au sein du foyer. Il reste néanmoins du chemin à parcourir, comme en témoigne le nombre de féminicides encore recensés en 2023.
Si le dispositif de l'ordonnance de protection est aujourd'hui maîtrisé par les principaux maillons de la chaîne judiciaire, le nombre d'ordonnances de protection demandées est encore trop faible par rapport à celui des femmes qui se déclarent victimes de violences conjugales. Mme Vérien et moi-même avons formulé cinquante-neuf recommandations, qui forment le plan Rouge vif. Cette proposition de loi met ainsi en œuvre l'une de ces recommandations : la création d'une ordonnance de protection immédiate. Les violences intrafamiliales sont un fléau que notre société ne doit jamais cesser de combattre. C'est l'affaire de chacun et de tous.
L'article 1er crée ainsi un nouveau dispositif : l'ordonnance provisoire de protection immédiate, qui complète l'ordonnance de protection. L'objectif est de permettre au juge aux affaires familiales de prononcer des mesures de protection en urgence, soit vingt-quatre heures après sa saisine.
Le juge aux affaires familiales se prononcera seulement sur les éléments présentés dans la requête : aucun élément présenté par la partie défenderesse ne sera examiné.
L'absence de contradictoire et le délai très court dans lequel le juge aux affaires familiales peut prononcer des mesures restrictives de liberté entraînent un encadrement très strict du dispositif, pour garantir l'équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse.
Ainsi, seul le procureur de la République sera en mesure de saisir le juge aux affaires familiales pour demander cette ordonnance provisoire, et ne pourra le faire que si une demande d'ordonnance de protection a été formulée : l'ordonnance provisoire de protection immédiate n'est pas un dispositif autonome, mais une étape préalable avant l'ordonnance de protection. Le monopole du procureur de la République, ainsi que l'obligation de déposer une ordonnance de protection pour obtenir une ordonnance provisoire, doivent limiter les risques d'instrumentalisation de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
Autre garantie, les mesures prises dans le cadre de l'ordonnance provisoire sont limitées dans le temps : elles prennent fin dès que le juge aux affaires familiales statue sur la demande d'ordonnance de protection. L'article 1er prévoit également, dans sa rédaction actuelle, une borne maximale de six jours, que je vous proposerai de supprimer par amendement, pour garantir que la personne en danger reste protégée jusqu'à la délivrance de l'ordonnance de protection.
Les mesures à la main du juge aux affaires familiales sont aussi limitées en nombre : il pourra uniquement prononcer des interdictions ou obligations propres à faire cesser le danger immédiat constaté – une interdiction de contact, de paraître dans certains lieux, de porter ou de détenir une arme, et l'obligation de remettre son arme aux forces de l'ordre.
Enfin, les exigences de délivrance sont renforcées par rapport à l'ordonnance de protection : en plus des violences vraisemblables, le juge devra estimer qu'il existe un danger grave et immédiat pour délivrer l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
L'article 2 prévoit que toute violation des mesures prononcées dans le cadre d'une ordonnance provisoire de protection immédiate est passible de trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende. Cette sanction pénale est indispensable pour inciter au respect desdites mesures.
L'article 3 permet l'application en outre-mer de l'ordonnance provisoire de protection immédiate.
La réussite du nouveau dispositif implique une coopération forte entre parquet et juge aux affaires familiales, qui devrait être facilitée par la création des pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire. L'objectif est bien de protéger la personne en danger en attendant que le JAF puisse analyser la situation et prononcer des mesures pour un temps plus long dans le cadre de l'ordonnance de protection.
L'article 1er modifie également les caractéristiques de l'ordonnance de protection en portant de six à douze mois la durée des mesures édictées par le JAF. Actuellement, la prolongation des mesures n'est possible que si le couple est en instance de divorce ou a des enfants. Rien n'est prévu pour les victimes non mariées et sans enfants. L'allongement du délai vient combler cette lacune.
Je souhaite saluer l'investissement sans faille des magistrats, des avocats et des associations pour protéger les victimes des violences intrafamiliales. Nous devons tous rester mobilisés pour que chaque individu, majeur ou mineur, puisse être en sécurité dans son foyer.