La centralisation et la décentralisation sont deux processus fonctionnant comme une respiration : un temps pour l'un, puis un temps pour l'autre, au bon moment. C'est un équilibre délicat entre le maintien de l'unité de la nation et le besoin d'adaptation des politiques publiques dans les territoires. Cette proposition de loi n'est toutefois pas le fruit d'une vision politique de redynamisation de la France et de développement plus efficace des territoires : elle s'inscrit dans le cadre de la stratégie purement comptable d'un État en déficit qui n'est plus capable d'assumer ses responsabilités et qui se défausse sur des collectivités qui sont, dans l'ensemble, bien gérées puisque soumises à des contraintes budgétaires beaucoup plus strictes. La logique décentralisatrice de ce gouvernement et de sa majorité consiste à transférer aux collectivités toutes les politiques coûteuses. Celles-ci n'ont alors d'autres choix que d'augmenter les taxes locales que l'État a bien voulu leur laisser. Le Gouvernement passe ainsi pour un bon gestionnaire, laissant aux élus locaux la responsabilité d'assumer la gestion publique devant leurs administrés.
Le transfert de routes non concédées aux régions n'est pas un projet raisonnable d'amélioration du service public. Le nouveau service routier régional créé par la loi 3DS fait en effet doublon avec celui de l'État et des départements, souvent constitué de portions routières particulièrement mal entretenues. L'État masque ainsi son échec à entretenir notre réseau routier et dilue sa responsabilité dans les budgets massifs des régions, aidé en cela par des présidents de région avides de récupérer des compétences pour flatter leur ego et jouer au substitut de l'État dans leurs grandes baronnies. Ce projet est par ailleurs hypocrite puisque les présidents de région vont donner délégation de signature aux agents de l'État mis à disposition de leur collectivité. Leur nouvelle compétence se trouvera donc gérée par les mêmes agents, dont seul le cadre statutaire change.
La volonté décentralisatrice qui sous-tend cette proposition de loi pose un problème politique et idéologique majeur. Elle consacre en effet le renforcement de la région au détriment de l'État qui s'inscrit au cœur du programme européen de démolition des États au profit de grandes régions dotées de toutes ses compétences. L'Union européenne veut que les régions reçoivent directement ses subventions, qui sont prélevées sur le budget des États et qu'elles soient ses interlocuteurs directs. La région est en effet beaucoup plus malléable que l'État et les grandes régions européennes ne sont que des entités administratives qui n'ont pas d'identité. Pour les fédéralistes européens, leur fonction est d'administrer les peuples sans contrainte et d'éviter que des hommes d'État ne leur mettent des bâtons dans les roues.
Nous sommes donc opposés à ce texte, car il favorise un nouveau processus décentralisateur au profit non pas des Français, mais de la Commission européenne, et organise l'abandon de l'État et de son rôle stratégique en matière d'aménagement du territoire.