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Intervention de Yannick Carriou

Réunion du jeudi 18 janvier 2024 à 14h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Yannick Carriou, président-directeur général de Médiamétrie :

Je commencerai par présenter rapidement Médiamétrie, avant de rappeler à grands traits l'évolution de l'audience de la télévision et d'exposer quelques constats sur les chaînes gratuites de la télévision numérique terrestre (TNT).

La mesure d'audience sert un double objectif : aider les médias à mesurer si leurs stratégies éditoriales rencontrent leur public ; valoriser les investissements publicitaires.

Médiamétrie a été créée en 1985 à l'initiative du gouvernement et des acteurs du marché audiovisuel publicitaire. C'est la société qui a en France la responsabilité des mesures d'audience de la télévision, de la radio et des acteurs numériques, au sein d'un périmètre qui sera amené à s'élargir au cours des mois et des années à venir.

La gouvernance de Médiamétrie est unique, et souvent enviée par nos homologues internationaux tant elle matérialise un esprit de transparence et de consensus. Le conseil d'administration, dont le rôle est de vérifier que le président gère la société de manière convenable et structurée, rassemble les acteurs majeurs du paysage audiovisuel, privés et publics, télévisions et radios, mais aussi agences médias et annonceurs publicitaires. Toutes nos mesures d'audience sont par ailleurs régulées et gouvernées par des comités interprofessionnels, tout aussi diversifiés, et auxquels les nouveaux acteurs du numérique ont été intégrés au fil des années. La mission de ces comités est de garantir la transparence et le consensus de marché : toutes les décisions que nous prenons sur les mesures – y compris leur récent élargissement que vous évoquez, monsieur le président – sont votées, à une majorité qualifiée exigeante. Ce sont bien toutes les parties prenantes du marché qui font, ensemble, évoluer les mesures.

J'ajoute que nos travaux sont audités de manière continue, notamment par un autre organisme interprofessionnel, le Centre d'étude des supports de publicité, qui réunit comme nous les différents acteurs de marché mais qui est beaucoup plus proche des milieux académiques, ce qui est utile pour cet exercice d'évaluation.

Dans un moment de transformation comme celui que nous vivons, les enjeux de mesure d'audience sont majeurs. Nous sommes aujourd'hui, je l'espère, le tiers de confiance du marché audiovisuel.

Je voudrais maintenant poser quelques jalons temporels pour résumer les évolutions des dernières années.

Une première période pourrait aller du lancement de la TNT, en 2005, jusqu'en 2012. L'offre télévisuelle s'accroît, grâce à la création des nouvelles chaînes de la TNT et à l'augmentation du nombre de chaînes payantes conventionnées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) – de 105, on passe à 138 chaînes. La consommation du média télévisuel réagit fortement à cet accroissement de l'offre, puisque la durée moyenne d'écoute individuelle passe de 3 heures 26 par jour en 2005 à 3 heures 50 en 2012 : c'est le pic historique de consommation de la télévision en France.

À partir de 2012, on assiste à une lente décroissance de la consommation : on arrive à 3 heures 40 en 2019, soit dix minutes de moins que sept ans auparavant. Cette diminution demeure modérée, mais elle est plus forte pour le public des jeunes : en 2012, les 15-34 ans passaient en moyenne 2 heures 47 à regarder la télévision ; en 2019, ils n'y consacrent plus qu'1 heure 43, soit une heure de moins.

Il faut se rappeler que 2012 marque le début d'une période d'usages entièrement nouveaux, notamment numériques : un quatrième opérateur de téléphonie mobile apparaît, ce qui entraîne selon les chiffres de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) une baisse de moitié environ du coût d'un forfait ; la 4G est lancée à la fin de l'année 2012 ; 300 000 foyers sont alors abonnés à la fibre à domicile, quand on doit être à une dizaine de millions aujourd'hui ; Facebook avait alors à peine plus de la moitié du nombre actuel de ses abonnés, et Snapchat, réseau le plus utilisé par les jeunes aujourd'hui, a été créé en 2016. Entre 2012 et 2019, nous avons donc assisté à une explosion des usages numériques : en 2012, les Français surfaient sur internet environ 4 heures par mois sur leur mobile ; en 2019, ce chiffre était de près d'une heure et demie par jour. Internet a ainsi pris une place importante dans nos vies, tout au long de la journée, mais aussi en empiétant sur le temps auparavant consacré à la télévision, notamment chez les jeunes.

En 2020, une autre phase débute avec la crise sanitaire. Les confinements et couvre-feux ont favorisé l'adoption de nouveaux usages, singulièrement celui des plateformes de vidéo à la demande, par abonnement : Netflix existe en France depuis 2014, mais ses débuts ont été relativement confidentiels, et sa croissance s'est fortement accélérée ; Amazon Prime a été lancé en 2019, Disney+ en 2020 et d'autres encore depuis. Notre pays compte aujourd'hui environ 9 millions d'utilisateurs quotidiens de ces services, qui prennent évidemment sur le temps consacré à la télévision. De 3 heures 43 en 2019, nous arrivons en 2023 à 3 heures 19 : la baisse est significative, mais cette durée reste considérable. La transformation actuelle des offres de télévision en plateformes à la demande fait naturellement partie de la stratégie des éditeurs de télévision pour reconquérir ces minutes perdues, même si tous reconnaissent que, dans cette offre, la composante linéaire et le direct resteront un actif stratégique majeur et une source primordiale de leur audience.

Le temps passé par les Français devant leur téléviseur est d'une remarquable stabilité : 4 heures 07 en moyenne par jour en 2014, 4 heures 09 en 2023. La différence, c'est qu'en 2014, 90 % de ce temps était consacré à la consommation de programmes de télévision, le reste étant par exemple du jeu ou du visionnage de DVD, alors que, dix ans plus tard, la télévision ne représente plus que 80 % de ce total. Cela montre l'intensité concurrentielle de ce marché, mais aussi la bonne résistance de la télévision : au pic de consommation quotidienne, aux alentours de vingt et une heures, la télévision réunit environ 25 millions d'individus, quand l'ensemble des services de vidéo à la demande totalisent, à leur pic qui se situe plutôt aux alentours de vingt-deux heures, environ 4,5 millions d'individus. Le ratio est parlant. Toute la vidéo sur internet rassemble quatre millions d'individus à son pic quotidien, vers dix-huit heures. Même si la consommation d'internet et des vidéos à la demande s'étale sur toute la journée, il faut se rappeler que la télévision conserve une puissance fédératrice inégalée.

Dans ce contexte, je ferai trois remarques sur la TNT.

Tout d'abord, la TNT gratuite est au cœur de l'offre télévisuelle en France. Cela ne change pas : en 2012, ces chaînes représentaient 89,2 % de la consommation totale de télévision ; en 2003, c'est même légèrement plus : 90,8 %. Les évolutions de la consommation de télévision que j'ai décrites s'appliquent donc à la TNT. Dans un marché de profusion, où les chaînes sont très nombreuses, les chaînes de la TNT gratuite structurent une offre diversifiée, connue, identifiable par nos concitoyens, qui en font le cœur de leur consommation télévisuelle gratuite. C'est vrai pour toutes les tranches d'âge.

Ensuite, cette offre diversifiée contribue à mon sens à une singularité du paysage français et à une certaine résilience de la télévision : les audiences restent chez nous très supérieures à ce qu'elles sont chez nos voisins européens. La durée d'écoute quotidienne des 25-49 ans était en 2023 de 2 heures 15 en France, 2 heures 02 en Italie, 1 heure 58 en Allemagne, 1 heure 42 en Espagne et 1 heure 14 au Royaume-Uni. Certains estiment que cela traduit un décalage de phase. À mon sens, cette différence est plus structurelle et montre une différence fondamentale entre la France et le Royaume-Uni, ou les États-Unis, notamment sur le poids de l'offre gratuite. Ce n'est certainement pas sans lien avec le fait qu'en France, l'achat ou la souscription à des abonnements à des services de vidéo à la demande semble plafonner à un foyer sur deux, quand, au Royaume-Uni, deux tiers des foyers disposent d'un abonnement, et quatre cinquièmes aux États-Unis. La puissance et la tradition de l'offre gratuite française constituent donc un facteur important d'équilibre entre les différentes offres. Certains pensent que la télévision pourrait disparaître sous l'effet de cette concurrence ; la messe est, je crois, loin d'être dite.

Enfin, en 2023, 14 millions de Français ne reçoivent les offres gratuites de télévision que par des moyens gratuits : le hertzien et le câble ou le satellite gratuits. C'est 10 millions de moins qu'en 2013, mais cela reste beaucoup. Il s'agit d'un public plus âgé – 56 ans en moyenne –, souvent appartenant à une catégorie socio-professionnelle plus modeste, et gros consommateur de télévision, avec plus de quatre heures par jour : il manifeste ainsi un attachement à une offre de TNT gratuite, diversifiée – et anonyme, car l'enjeu des données n'est pas nul.

J'en viens à vos questions.

S'agissant de l'extension de nos mesures d'audience, entre le 31 décembre 2023 et le 1er janvier 2024, le champ de la mesure d'audience de la télévision a évolué. Nous avons ajouté deux types de consommation. Le premier est celui des quelque 10 % des Français qui n'ont pas de téléviseur : ils consomment la télévision grâce à d'autres écrans, sur leur smartphone, leur tablette ou leur ordinateur. Le second est celui des gens qui possèdent une télévision mais qui regardent aussi la télévision à domicile sur un smartphone, une tablette ou un ordinateur. Cette consommation a été ajoutée tous les jours dans la référence de neuf heures du matin, que vous entendez dans les médias : ce chiffre concerne maintenant véritablement toute la télévision, en tous lieux, à domicile et hors du domicile, et quel que soit l'écran utilisé.

En ce qui concerne le décalage progressif du début des programmes de première partie de soirée, je le constate comme vous. Ces programmes débutent maintenant un peu au-delà de vingt et une heures.

La première partie de soirée, celle qui, historiquement, suivait le journal et la météo, a changé ; certaines chaînes proposent par exemple des feuilletons réguliers. Il n'y a donc pas de grand vide avant vingt et une heures, mais une structuration différente de la grille.

Par ailleurs, je ne sais pas si ce sont les changements de grille qui influent sur les habitudes ou l'inverse, mais si l'on regarde ce que font les gens qui choisissent librement ce qu'ils veulent, indépendamment d'une grille, c'est-à-dire ceux qui regardent des services de vidéo à la demande, le pic est à vingt-deux heures, c'est-à-dire bien plus tardif que celui de la télévision. On peut donc penser qu'il existe une appétence pour des consommations plus tardives.

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