Intervention de Sabrina Sebaihi

Réunion du mardi 19 décembre 2023 à 17h00
Commission d'enquête relative à l'identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif ayant délégation de service public

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi, rapporteure :

Nous avons mené un travail soutenu pendant plusieurs mois, avec plus de quatre-vingt-dix réunions d'audition. Il a exigé de nous de la ténacité, du sérieux et une endurance à toute épreuve. Je remercie Mme la présidente, avec qui ce fut un grand plaisir de travailler.

Je remercie également les députés engagés dans la commission. Ils ont enrichi les auditions et ouvert des perspectives pour étudier un mouvement sportif pluriel, vaste et complexe. Je salue enfin les administrateurs, qui ont travaillé sans relâche jusqu'à la dernière minute. Nous avons demandé des effectifs supplémentaires, mais nous n'avons pas été entendues.

Nous avons dû reporter la présentation du rapport. En effet, nous avons eu beaucoup de difficultés à obtenir certains documents, notamment issus du ministère des sports et des Jeux olympiques et paralympiques et de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR). J'ai même dû me rendre au ministère lundi pour réitérer la demande de transmission de documents effectuée en juillet. Il a également fallu étudier l'ensemble des rapports de l'IGESR.

Nous nous sommes collectivement engagés à protéger les victimes de violence et de discrimination et à favoriser la transparence et le caractère inclusif du mouvement sportif. Nos travaux ont suscité de fortes réticences chez certains acteurs qui jugeaient nos pistes de travail anachroniques, voire caricaturales ; nous avons subi des critiques et des attaques tout au long de nos travaux, sans que cela nous empêche d'avancer.

Le mouvement sportif fonctionne en vase clos depuis des décennies ; l'attention accrue des parlementaires à ses dysfonctionnements l'a mis à l'épreuve. De nombreux pratiquants ont accueilli favorablement notre commission et nous avons reçu une avalanche de témoignages. Puisque l'omerta est très vite apparue, nous avons estimé important de donner d'abord la parole aux victimes.

La France compte 17 millions de licenciés, 160 000 clubs et 3,5 millions de bénévoles. Dans la dynamique des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), le Président de la République a déclaré la promotion de l'activité physique et sportive grande cause nationale pour 2024. Cela nous oblige.

Notre objectif était de présenter un rapport clair et accessible, afin que tout le monde puisse s'en saisir. Nous avons émis cinquante-huit recommandations, dont la mise en œuvre se fera sentir dans le quotidien de millions de Français. Nous avons ouvert la boîte de Pandore : nous ne pourrons plus faire semblant d'ignorer ce qui ne va pas dans le mouvement sportif.

La première partie du rapport est consacrée aux défaillances systémiques, au niveau de l'État, des fédérations et de l'organisation du mouvement sportif ; la seconde aux violences sexistes et sexuelles (VSS) et aux discriminations.

La première partie met en évidence la nécessité de renforcer la place de l'État. Le mouvement sportif est presque orphelin de son ministère de tutelle. Nous avons constaté un manque de moyens humains. La cellule Signal-sports, par exemple, chargée de recueillir les témoignages, est composée de trois personnes, pour plus de 1 500 signalements : c'est très peu.

La recommandation n° 3 consiste donc à relever les moyens de l'IGESR, afin de renforcer la fréquence des contrôles, en la portant à trois ans en moyenne, et leur profondeur. Certaines fédérations n'ont pas été contrôlées depuis quinze ans, ce qui est inacceptable. Quelques départements ne disposent même pas d'un inspecteur.

La recommandation n° 4 tend à doter l'IGESR d'une mission de suivi et d'un droit de suite de ses recommandations auprès de la direction des sports, des fédérations sportives et des établissements publics sous tutelle. Les contrôles sur pièces ont révélé que faute de moyens humains, les rapports n'étaient pas toujours lus. L'Inspection doit pouvoir suivre l'application de ses préconisations afin de travailler dans la durée.

La recommandation n° 6 vise à conditionner les soutiens publics au mouvement sportif à des engagements précis et vérifiés en matière d'éthique. Les subventions sont attribuées sans contreparties, notamment en matière de lutte contre les VSS et les discriminations. Il faut des leviers précis, pour agir et pouvoir évaluer le travail accompli.

Dans cette perspective, nous préconisons, avec la recommandation n° 28, de créer une autorité administrative indépendante (AAI) chargée de la protection et de l'éthique du sport. Les acteurs du mouvement sportif l'ont souvent demandé au cours des auditions. Cette autorité élaborerait les normes et les recommandations, évaluerait et contrôlerait les fédérations et les organismes sportifs ; elle aurait un pouvoir de sanction sur ceux récalcitrants à appliquer les règles. Elle régulerait les procédures disciplinaires internes des fédérations et de leur ligue professionnelle.

Plusieurs dirigeants de fédération ont expliqué qu'ils n'étaient pas à l'aise avec toutes les procédures disciplinaires ; ils n'ont pas toujours les moyens nécessaires de les suivre, d'autant plus que les tailles des fédérations varient sensiblement, leurs moyens également. Elles en seraient ainsi libérées. Il existe déjà une autorité indépendante, l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) ; sa mission serait intégrée à la nouvelle autorité.

La recommandation n° 29 tend à confier à la nouvelle autorité indépendante en charge de l'éthique et de l'intégrité du sport le pouvoir de prononcer des mesures telles que l'inéligibilité, la suspension conservatoire ou la convocation d'une assemblée générale de la fédération, afin de statuer sur une éventuelle révocation du dirigeant mis en cause.

Dans la même perspective, la recommandation n° 23 vise à intégrer un volet ambitieux de prévention des atteintes à la probité dans les contrats de délégation. Nous avons constaté qu'il était très difficile de faire démissionner ou de révoquer des dirigeants qui posaient un problème. Je pense à ce qui s'est passé avec Noël Le Graët à la Fédération française de football (FFF) ; la Fifa et d'autres organisations ont empêché la ministre d'intervenir. Le président de la Fédération française d'équitation a comparé un agresseur sexuel à un « voleur de pommes » : il n'a peut-être rien à faire à la tête d'une fédération sportive. L'inscription d'obligations dans le contrat de délégation offrirait un levier d'action.

Plusieurs recommandations concernent les conseillers techniques sportifs (CTS). Beaucoup de textes ne sont pas respectés, par exemple concernant les cumuls de postes, comme ceux de directeur technique national (DTN) et de directeur général de fédération. Nous proposons d'inscrire explicitement la lutte contre les violences et la préservation de l'éthique au cœur des missions des CTS, et de sanctionner systématiquement les cadres défaillants. Lorsqu'il y en a, on observe parfois un manque de suivi, parce que les rapports ne sont pas lus. Pour y remédier, la recommandation n° 12 tend à doter la direction des sports des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions.

La création de l'Agence nationale du sport (ANS) a dépouillé le ministère d'effectifs, or elle verse les fonds, tandis que le ministère exerce les fonctions de tutelle et de contrôle. La recommandation n° 14 vise donc à établir un bilan de l'efficacité et de la pertinence de l'ANS. Lors des derniers JOP, certains athlètes médaillés n'appartenaient pas au cercle haute performance. Il faudra évaluer l'Agence après les JOP de 2024 et décider de l'opportunité de la maintenir.

La recommandation n° 18 tend à évaluer le bénévolat et les conditions pour maintenir son attractivité. Nous avons beaucoup parlé des bénévoles, dont le rôle est essentiel. Nous recommandons de former ceux qui exercent des fonctions d'encadrement, notamment aux problématiques liées aux VSS et aux discriminations, de créer un statut officiel et un système d'indemnisation des dirigeants. Certaines fédérations les rémunèrent, d'autres non ; un encadrement clarifierait la situation.

La recommandation n° 20 vise à élire les organes exécutifs des fédérations au scrutin proportionnel, pour améliorer leur représentativité. Le manque d'opposition démocratique empêche le débat, donc les progrès dans certains domaines. Nous recommandons également de faire respecter le plafond de trois mandats.

La recommandation n° 20 prévoit d'établir une grille de rémunération pour les fédérations et pour les comités d'organisation de grands événements sportifs et de rendre publics les rémunérations, les organigrammes et les postes vacants. La transparence est très insuffisante en la matière.

Nous demandons ensuite que les fédérations publient leurs comptes. Elles ne respectent pas toujours l'obligation de publication qu'entraîne leur statut d'association. L'autorité indépendante chargée de l'éthique du sport devra les rendre accessibles, en indiquant les trois plus gros postes de dépenses. Certaines fédérations versent des salaires très élevés. Nous recommandons également de formaliser les recours aux cartes bancaires, aux frais de déplacement et aux invitations, car nous avons été alertés sur l'absence de cadres.

La seconde partie du rapport est consacrée à la lutte contre les violences et les discriminations.

La recommandation n° 30 consiste à conduire une vaste enquête dans les fédérations sur les violences sexuelles et sexistes et sur les violences psychologiques et physiques. Tout le monde nous a dit que l'omerta était désormais finie et qu'il était plus facile de témoigner, cependant nous avons observé que tel n'était pas toujours le cas pour les victimes, qui craignent des sanctions, comme les témoins. Nous avons créé la plateforme Balance ton sport pour alimenter la commission d'enquête. En quelques semaines, nous avons recueilli 140 témoignages relatant des faits d'une extrême gravité. Nous voulons donc établir un état des lieux précis.

Nous recommandons ensuite – recommandation n° 31 – de confier la responsabilité de la plateforme unique Signal-sports à l'autorité administrative chargée de veiller à l'éthique du sport, en élargissant son périmètre à tous les phénomènes de violence et de discrimination. L'objectif est de mutualiser les signalements et leur suivi. En l'état, la cellule est supposée recueillir les témoignages de VSS, mais elle reçoit des plaintes relatives à des cas de racisme et de discrimination, qu'elle transfère.

La recommandation n° 32 vise à mener et publier une enquête approfondie sur la manière dont les services déconcentrés ont pris en charge chacun des dossiers de VSS. Lors de la création de la cellule Signal-sports, ses membres espéraient instruire dans un premier temps de nombreux dossiers incluant des cas anciens, puis voir le nombre de signalements diminuer. Or ils en reçoivent encore beaucoup, qui concernent des faits récents. En 2023, ils avaient reçu 300 témoignages de VSS et 365 d'autres faits, tous récents.

La recommandation n° 36 tend à transférer la compétence disciplinaire des fédérations à l'autorité indépendante déjà évoquée. En attendant sa création, nous recommandons d'enjoindre sans délai aux fédérations qui ne l'ont pas encore fait de se doter de dispositions relatives à la lutte contre les violences sexuelles dans leur règlement disciplinaire, sous peine de retrait de leur agrément ; de renforcer l'automaticité des mesures de suspension dès lors qu'un signalement relatif à un licencié est effectué ; de présenter chaque année dans un rapport remis au Parlement et lors de la convention sur la prévention des violences dans le sport un bilan public et détaillé du suivi de toutes les affaires de violences par la cellule, les services déconcentrés, les fédérations et les associations ; d'en tirer les conséquences en prononçant des sanctions ou des retraits de délégation. Certaines fédérations sont encore défaillantes en la matière. Nous suggérons également de renforcer le contenu des contrats de délégation, afin d'avoir des outils d'action. Nous devons être beaucoup plus ambitieux, et ne pas nous contenter de demander qu'un référent éthique ou VSS soit nommé, afin de disposer des moyens de retirer des délégations ou des agréments aux fédérations qui n'agissent pas suffisamment.

Nous préconisons ensuite de créer sans délai une mission d'inspection chargée d'établir un état des lieux précis et complet du contrôle de l'honorabilité, puis de le publier. Il s'agit notamment de compléter la proposition de loi visant à renforcer la protection des mineurs et l'honorabilité dans le sport, afin d'étendre le contrôle à tous les licenciés qui ne sont pas seulement pratiquants ; d'obliger tous les intervenants réguliers des clubs à être licenciés ; d'encadrer la profession de recruteur bénévole ; de soumettre ses membres au contrôle d'honorabilité.

Lors de notre contrôle au ministère, nous avons constaté que tout le monde pensait que le contrôle d'honorabilité consistait à vérifier le bulletin n° 2 du casier judiciaire et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV), or seul le second est vérifié. En 2018, 80 000 personnes y figuraient, ce qui est très peu ; la vérification du bulletin n° 2 constitue un tamis beaucoup plus fin, mais elle n'est pas automatique. Le garde des Sceaux nous a fourni les chiffres : même pour la délivrance ou le renouvellement d'une carte professionnelle d'éducateur sportif, le FIJAISV est plus souvent contrôlé que le casier judiciaire. Selon nous, il faut renforcer le contrôle d'honorabilité en rendant la vérification du bulletin n° 2 systématique. Seuls 50 % des bénévoles qui devraient être contrôlés, soit 1 million, le sont. En 2022, 30 % des auteurs de faits signalés n'avaient pas de carte professionnelle, alors qu'ils étaient entraîneurs. C'est également un problème. Souvent, les prédateurs choisissent d'être intervenants réguliers et ne demandent pas la licence pour échapper au contrôle d'honorabilité, aussi proposons-nous de la rendre obligatoire. Quant aux recruteurs, ils sont au contact des mineurs, mais n'ont ni statut, ni licence, ni obligation de passer un contrôle d'honorabilité. L'émission Enquête exclusive a révélé le cas d'un prédateur qui a pu de ce fait violer des jeunes en toute impunité pendant des années.

Nous demandons aussi – c'est la recommandation n° 39 – que, dans le cadre de cette mission d'inspection, soit envisagée la systématisation de la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire pour le contrôle d'honorabilité.

La recommandation n° 43 vise à rédiger à l'échelle nationale une charte définissant précisément les lignes rouges à ne pas franchir et l'intégrer au règlement disciplinaire de l'ensemble des structures sportives en prévoyant des sanctions en cas de manquement, à éviter systématiquement, notamment dans les structures d'accès au haut niveau, l'encadrement exclusif par un seul encadrant et à favoriser la prise en charge à plusieurs, à privilégier dans la mesure du possible la mixité dans les équipes d'encadrement pour la prise en charge des jeunes sportifs.

Nous avons en effet découvert que le jeune sportif et son entraîneur partagent parfois la même chambre d'hôtel. Nous proposons donc d'inscrire quelques règles noir sur blanc, par exemple qu'un entraîneur ne doit pas aller dans la chambre d'un mineur après vingt et une heures, et de préciser que tout manquement à ces règles sera sanctionné.

Nous proposons aussi – c'est la recommandation n° 46 – d'inviter les fédérations à intervenir de manière beaucoup plus systématique au plan pénal pour soutenir les victimes. Les fédérations peuvent se porter partie civile ; or certaines l'ignoraient.

Notre recommandation n° 48 vise à rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescriptibles et à reconnaître l'amnésie traumatique dans le cadre de la prescription pénale. C'est une demande des victimes et des associations. Il convient aussi de garantir un parcours de soin aux victimes – c'est la recommandation n° 47 – car nombre d'entre elles nous ont dit s'être senties seules au moment des faits.

J'en viens à la dernière série de recommandations, relatives à la lutte contre la haine et les discriminations.

La recommandation n° 50 tend à lancer une mission de préfiguration d'un observatoire national des discriminations dans le sport, placé auprès de la nouvelle autorité administrative indépendante, et d'inscrire dans les contrats de délégation l'obligation, pour chaque fédération sportive délégataire, d'instituer un observatoire des comportements, qui fera remonter l'ensemble des signalements auprès de cette autorité indépendante. Nous suggérons également, avec la recommandation n° 51, d'élargir le périmètre de la cellule Signal-sports à l'ensemble des faits de racisme et de discriminations commis dans le champ du sport, afin de simplifier les démarches des victimes.

Nous proposons de conditionner l'agrément d'une association de supporters au suivi, par tous ses membres, d'un atelier de sensibilisation à la lutte contre le racisme et les discriminations – c'est la recommandation n° 56 –, d'interrompre la retransmission audiovisuelle d'une manifestation sportive en cas de survenue d'un incident discriminatoire d'ampleur – recommandation n° 58 –, de sanctionner systématiquement les actes et propos discriminatoires dans les stades de football, en prononçant des fermetures de tribunes chaque fois que nécessaire – recommandation n° 59 – et d'étendre le champ de l'obligation de mise en place de titres d'accès nominatifs, dématérialisés et infalsifiables aux manifestations sportives exposées à un risque de provocation à la haine, à la violence ou à la discrimination. Lors du dernier match entre l'Olympique de Marseille et l'Olympique lyonnais, des supporters qui étaient interdits de stade à Lyon ont pu se présenter à Marseille sans problème : il faut qu'une personne interdite de stade le soit partout.

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