Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du mardi 30 janvier 2024 à 21h30
Création d'un homicide routier et lutte contre la violence routière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

La route, nous la prenons tous les jours. Nous avons même des permis pour y circuler. Certains s'en exonèrent parfois. Lorsqu'un conducteur prend le volant alors qu'il n'a pas ou plus le permis de conduire, lorsqu'il a consommé de l'alcool ou des stupéfiants, lorsqu'il commet un excès de vitesse important ou une violation délibérée du code de la route et qu'il tue ou blesse gravement quelqu'un, peut-on encore parler d'accident ? Je me félicite que la proposition de loi réponde par la négative à cette question.

Lorsqu'en 2021, Pierre Morel-À-L'Huissier et moi avons déposé une proposition de loi sur le sujet, nous avons proposé la création d'un homicide routier. Je suis donc ravie pour les familles de victimes d'avoir enfin obtenu satisfaction. À ce sujet, je rends hommage au collectif Justice pour les victimes de la route, à sa présidente, Catherine Bourgoin, ainsi qu'à Maud Escriva, sans lesquels nous ne serions pas parvenus à ce résultat. À l'époque, nous avions insisté sur deux volets : d'une part, la prévention et la sanction de la délinquance routière et, d'autre part, l'amélioration de l'accompagnement des victimes de la route et de leurs familles.

La proposition de loi que nous étudions aujourd'hui s'attaque aux conduites dangereuses, particulièrement aux comportements volontairement risqués des conducteurs. Elle instaure des qualifications spécifiques, distinctes de l'homicide involontaire et de l'atteinte involontaire à l'intégrité de la personne. L'homicide causé par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur devient donc un homicide routier dès lors que celui-ci a commis une faute importante, comme un excès de vitesse ou un délit de fuite, ou lorsqu'il a consommé de l'alcool ou des stupéfiants. Dans ces circonstances, la qualification d'homicide involontaire scandalise à raison les victimes et leurs familles, aux yeux desquelles le conducteur est déresponsabilisé.

En effet, si les conséquences de l'infraction demeurent en elles-mêmes involontaires, c'est délibérément que le conducteur a conduit en violant un certain nombre de règles, en étant en état d'ivresse ou sous l'emprise de stupéfiants, ou en prenant la fuite malgré l'accident provoqué. La proposition de loi ajoute en outre comme nouvelles circonstances aggravantes le fait de tenir en main son téléphone portable ou l'usage d'écouteurs. Enfin, la non-assistance à personne en danger vient compléter le délit de fuite.

Ne nous leurrons pas, cette mesure, réclamée de longue date par les associations de familles de victimes de la route, sera avant tout symbolique. Toutefois, les symboles ne sont pas inutiles.

Je regrette néanmoins que ce texte ne parle pas plus de prévention ou d'amélioration de la prise en charge et de l'accompagnement des victimes et de leurs familles. En matière de prévention, je pense notamment à une mesure toute simple, mais qui serait à mon avis terriblement efficace : faire passer à tous les jeunes de 14 ans une demi-journée dans un centre de rééducation afin d'échanger avec des victimes d'accident de la circulation ou des associations de victimes. Organiser des rencontres directes avec de grands accidentés de la route, pour interpeller fortement par le récit de leurs douloureuses expériences, ne pourrait que sensibiliser efficacement les jeunes aux dangers de la route.

Je ne désespère pas non plus de faire enfin évoluer la classification des médicaments susceptibles d'altérer les capacités à conduire, afin de faire apparaître clairement ceux qui représentent un danger suffisant pour requalifier l'accident en délit, comme dans le cas de la conduite sous l'emprise de stupéfiants. À ce jour, les médicaments classés au niveau 3 par arrêté du ministre des affaires sociales sont identifiés sur leur emballage par un pictogramme de couleur rouge indiquant clairement : « Attention, danger. Ne pas conduire. » Pourtant, aucune sanction n'est prévue en cas de violation de cette interdiction. C'est d'autant plus étonnant que 10 % des accidentés de la route ont pris un médicament susceptible d'altérer la conduite. En raison de la gravité des conséquences d'une conduite sous l'emprise de médicaments de niveau 3, il apparaît nécessaire de délictualiser ce comportement. À tout le moins, je proposerai un amendement obligeant le médecin qui prescrit un médicament de ce type ou le pharmacien qui le délivre à faire signer au patient une attestation indiquant qu'il est bien informé des risques qu'il court s'il conduit après avoir pris ce produit.

En conclusion, si je regrette certains manques, je salue la portée symbolique de ce texte et, bien évidemment, je le voterai.

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