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Intervention de Philippe Schreck

Séance en hémicycle du mardi 30 janvier 2024 à 15h00
Création d'un homicide routier et lutte contre la violence routière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Schreck :

Il est six heures, treize heures ou vingt-deux heures ; il pleut ou il fait chaud ; vous êtes au sport, au travail ou en famille. Un appel va déchirer votre journée et mutiler votre existence. Un gendarme, un médecin, un pompier, un infirmier vous demande de vous rendre à l'hôpital. Il affirme que c'est grave et urgent. Sur place, vous apprenez de but en blanc que votre enfant n'est plus, que vous ne l'aurez plus, que vous ne le verrez plus. L'horreur vous submerge et vous poussez un cri venu des enfers. Votre enfant est mort d'un accident de la circulation.

Cette douleur, impossible à décrire, s'accompagnera de sidération et de colère lorsque vous apprendrez que l'auteur de ce qui est encore qualifié d'« accident », était alcoolisé ou sous l'empire de stupéfiants, ou a commis un délit de fuite et n'a pas appelé les secours. Plus tard, à la peine et à la colère s'ajoutera un sentiment de révolte voire d'injustice, lorsque les faits seront qualifiés d'« involontaires », justifiant le prononcé de la peine d'emprisonnement avec sursis – mal comprise. Celui qui a pris le volant alcoolisé ou sous l'empire de stupéfiants a tué votre enfant mais il ne l'a pas fait exprès.

Lorsque les proches de la victime se retrouvent frappés de douleur et de sidération, la simple expression – pardonnez-moi son emploi – « ce n'est pas de chance, c'est involontaire » ne peut leur être opposée ; elle n'est plus audible pour les familles et les victimes blessées.

Il s'agit de donner un sens législatif aux mots « violence routière » et espérer que cela se traduira concrètement dans les comportements. Manifestement, le traitement judiciaire de ces infractions, avant et pendant le procès, est trop influencé par la caractérisation de l'infraction, exclusivement considérée comme involontaire. Cela va jusqu'à masquer une réalité incroyablement violente.

En créant une infraction autonome d'homicide routier, la proposition de loi est novatrice et va dans le bon sens. Elle va dans le bon sens car, si la mort ou les graves blessures ne sont pas recherchées par l'auteur, la ou les circonstances aggravantes de l'infraction, qui ont eu un rôle causal majeur dans la survenance du drame, constituent, elles, un fait volontaire. Elle est novatrice car nous créons une infraction à mi-chemin entre le fait involontaire et le fait volontaire. Loin de n'être qu'un simple changement sémantique, la proposition de loi marque une véritable évolution de notre droit pénal.

Au premier abord, cette création peut troubler le juriste qui, par définition, est quelque peu conservateur. Mais, à y réfléchir, dans certaines circonstances, une qualification intermédiaire entre vouloir tuer et tuer sans le vouloir peut – doit – être créée.

La proposition de loi est donc utile pour mieux appréhender la situation des victimes et des auteurs. Elle répond également à une réalité sociétale qui s'observe jusque sur nos routes. La surconsommation d'alcool demeure un problème important dans notre pays. L'usage de stupéfiants, quant à lui, a été tellement banalisé qu'il apparaît généralisé et n'en finit plus de ravager des pans entiers de notre société. Enfin, le recul du sens civique entraîne la multiplication des délits de fuite, des refus d'obtempérer et des actes de non-assistance à personne en danger.

À ceux qui pourraient considérer que cette proposition de loi n'opère qu'un glissement sémantique, nous pouvons leur dire que les termes, en matière de justice, ont une véritable importance.

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