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Intervention de Éric Dupond-Moretti

Séance en hémicycle du lundi 29 janvier 2024 à 21h30
Création d'un homicide routier et lutte contre la violence routière — Présentation

Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je voudrais tout d'abord vous dire quelle émotion est la mienne. Nous avons tous été bouleversés par les drames que vous avez rappelés, chère Anne, cher Éric, il y a quelques instants. Vous avez égrené quelques prénoms, ceux de jeunes qui ne demandaient qu'à vivre, des jeunes qui ont été fauchés dans la fleur de l'âge. Ces jeunes, qui ne demandaient qu'à être caressés par les rayons du soleil, sont morts parce qu'ils ont croisé sur leur route des irresponsables, drogués, alcoolisés, qui, durant des années, se sont réfugiés derrière ces mots qui ne correspondent à rien : « homicide involontaire ».

Et ce sont, chaque fois des parents dévastés, des familles déchirées. Impossible pour moi, en cet instant, de ne pas avoir une pensée chaleureuse et fraternelle pour Yannick Alléno, si durement frappé et qui, avec toute la peine qui est la sienne, essaie, avec nous ce soir, de changer les choses.

L'incontournable Albert Camus disait : « Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur de ce monde. » Et si le droit – tout le monde peut le comprendre – a besoin d'une part de technicité, consubstantielle à la mission qui est la sienne, qui est de régler les litiges, il est de notre devoir de s'assurer qu'il prenne pleinement en compte toutes les situations. Il est aussi de notre devoir de faire en sorte que les mots du droit n'aggravent pas la souffrance des victimes.

C'est pourquoi la proposition de loi que nous examinons ce soir n'est pas que symbolique. Il s'agit de redonner à la justice sa part d'humanité, de faire en sorte qu'elle sache se placer à hauteur d'homme et parler à nos compatriotes d'une manière juste, en particulier lorsqu'ils font face aux drames de la route.

Vous l'aurez compris, ce texte propose de nommer juridiquement des comportements volontaires favorisant la survenance de tels drames. Il propose de nommer avec force la souffrance des victimes, celles de conducteurs trop nombreux qui, en commettant des fautes graves, brisent des vies et endeuillent des familles.

Parce que cette proposition de loi n'est pas qu'une œuvre sémantique, je veux aujourd'hui saluer votre travail et votre engagement transpartisans, madame la députée Brugnera et monsieur le député Pauget. Ils s'inscrivent dans le prolongement des annonces faites par le Gouvernement le 17 juillet 2023, à l'occasion du Comité interministériel de la sécurité routière.

Il est évident que les mots ont un sens. Mais en droit, les mots consacrés par la loi ont encore plus de poids, surtout quand il s'agit de qualifier des actes qui ont causé la perte d'un être cher. En droit, les mots emportent aussi des conséquences sur le déroulement des enquêtes et lors de l'audience ; ils permettent alors la prise en charge mieux assurée des victimes. En effet, la qualification pénale d'homicide ou de blessures « involontaires » n'est pas appropriée lorsque le conducteur s'est délibérément mis dans un état ou dans une situation faisant encourir un risque avéré aux usagers de la route. L'acte n'est pas totalement accidentel lorsqu'une personne conduit sous l'empire de d'alcool ou de stupéfiants.

Il n'y a rien d'involontaire à consommer des stupéfiants ou à s'enivrer ; rien d'involontaire à prendre la fuite après avoir provoqué un accident. Et l'on comprend alors le désarroi total des victimes blessées et de ceux dont les proches ont été tués, lorsqu'on leur annonce qu'un tel conducteur sera jugé pour homicide involontaire. Grâce au nouveau qualificatif consacré par cette proposition de loi, le caractère inacceptable du délit est ainsi pris en compte.

Par ailleurs, de nombreuses mesures proposées visent à renforcer les sanctions en matière routière. Il est vrai que la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière avait déjà consacré des motifs d'incrimination spécifiques. À ce titre, l'article 221-6-1 de notre code pénal prévoit que « lorsque la maladresse, l'imprudence, l'inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité […] est commis par le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur, l'homicide involontaire est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ». Les peines peuvent être portées jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende si l'homicide involontaire a été commis avec au moins deux circonstances aggravantes.

L'article 1er de la proposition de loi, tel que voté par votre commission, crée, dans le code pénal, un chapitre intitulé « Des homicides et blessures routiers », dans lequel sont introduits quatre nouveaux articles. L'homicide involontaire et les blessures involontaires par conducteur, dès lors qu'ils sont aggravés, sont désormais caractérisés comme étant un homicide routier ou des blessures routières.

Les circonstances aggravantes déjà prévues par le code pénal demeurent. Ainsi, le manquement délibéré à une obligation particulière de prudence, le grand excès de vitesse, l'état alcoolique, l'usage de stupéfiants, le défaut de permis de conduire ou le délit de fuite permettront de retenir la qualification d'homicide routier ou de blessures routières.

Mais la proposition de loi ajoute d'autres circonstances aggravantes. Ces dernières correspondent à des comportements malheureusement trop fréquents de la part des conducteurs. Le texte est, là encore, en prise directe avec la réalité, avec le quotidien sur les routes. Le conducteur téléphonant au volant, celui qui refuse d'obtempérer ou celui qui se livre à un rodéo urbain, s'il provoque la mort d'un usager de la route ou lui inflige des blessures, sera poursuivi pour homicide routier ou blessures routières.

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