Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du mercredi 24 janvier 2024 à 14h00
Discussion d'une proposition de loi — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

C'est un jour important pour notre assemblée : nous examinons le projet de loi constitutionnelle relatif à la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse. Si notre assemblée vote ce texte, si le Sénat l'approuve dans les mêmes termes, si le Parlement réuni en Congrès l'adopte, alors la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse sera inscrite dans notre Constitution : la France deviendra le premier pays au monde à la garantir à ce niveau. Si notre assemblée vote ce texte, si le Sénat l'adopte dans les mêmes termes, si le Parlement réuni en Congrès l'approuve, ce sera la première révision constitutionnelle adoptée depuis près de seize ans.

Si le conditionnel est de rigueur, c'est parce qu'il faut mesurer combien le parcours d'un projet de révision constitutionnelle est difficile. Celui du texte qui nous occupe a débuté il y a plusieurs mois grâce aux deux propositions de lois constitutionnelles défendues tant par la majorité – par la voix de Mme Bergé – que par l'opposition – par la voix de Mme Panot. Ce fut l'ébauche du consensus que nous devons concrétiser aujourd'hui, malgré des résistances anciennes.

Pour parvenir à réformer la Constitution, il faut en effet un consensus. Nous l'avions trouvé ici même en novembre 2022. Le Sénat, de son côté, avait adopté une autre rédaction, sans remettre en cause le principe consistant à garantir aux femmes la liberté de recourir à l'interruption volontaire de grossesse en l'inscrivant dans la Constitution. Le projet de loi présenté par le Gouvernement opère une synthèse qui permet cette révision : consécration de la liberté de la femme et du rôle prépondérant du législateur pour l'encadrer, recours garanti à cette liberté pour se prémunir de toute régression, inscription littérale de l'interruption volontaire de grossesse au cœur de la Constitution.

Les travaux menés la semaine passée par la commission des lois, éclairés par l'avis du Conseil d'État, ont, je le crois, permis à chacun de mesurer les enjeux et de lever les dernières réserves – pour celles qui étaient sincères. Certains ont, à cette occasion, raillé le caractère symbolique d'une telle révision constitutionnelle. Mais si celle-ci n'est que symbolique, pourquoi s'y opposer ?

La vérité, c'est que réviser la Constitution est tout sauf symbolique. La révision de 2007 constitutionnalisant l'interdiction de la peine de mort n'était pas symbolique. La protection d'une liberté fondamentale n'est pas symbolique. De même, le caractère indivisible, laïc, démocratique et social de notre République, l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion et le respect de toutes les croyances mentionnées à l'article 1er de notre Constitution, ne sont pas des symboles mais des droits garantis, auxquels le rang constitutionnel confère la plus haute protection qui soit, pour les mettre à l'abri de toute menace.

Car l'interruption volontaire de grossesse – comme plusieurs droits fondamentaux, d'ailleurs – est remise en cause dans le monde. La France n'étant pas isolée, hermétique au monde ou autarcique, rien ne la prémunit par principe des mouvements conservateurs et réactionnaires, pro-vie et anti-IVG. En l'état du droit, qui pouvait prédire avec certitude l'adoption, par la Cour suprême des États-Unis, de l'arrêt Dobbs du 24 juin 2022, par lequel elle a rompu avec cinquante-neuf ans de reconnaissance du droit à l'avortement à l'échelle fédérale ? Qui peut sereinement observer la Hongrie et la Pologne, pourtant membres de l'Union européenne, restreindre avec force le recours à l'IVG en obligeant les femmes à écouter le cœur du fœtus ou en interdisant les avortements en cas de malformation ? Nul besoin pour les détracteurs de l'IVG, dans ces pays, de dénoncer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme ou de la Cour de justice de l'Union européenne : ni l'une ni l'autre ne protègent ce droit, car elles considèrent que son application relève de la libre appréciation des États.

Aussi vrai soit-il qu'en France, l'avortement est largement soutenu par la population comme par les associations, les mouvements antichoix sont bien présents et se sont sinistrement rappelés à la mémoire de chacun en dégradant plusieurs accueils du Planning familial, dont je souligne ici l'importance et le rôle indispensable.

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