« Gouverner, c'est d'abord loger son peuple. » C'est avec ces mots puissants que, toute sa vie, l'abbé Pierre exhorta les pouvoirs publics à sortir de l'inaction, à créer les conditions du partage, à fonder une société où chacun a le droit à un habitat digne.
Les enjeux climatiques et économiques, et les dégâts sociaux auxquels nous devons faire face en 2024 nous obligent collectivement. L'état de dégradation du parc de logements étant un constat largement partagé, il fallait que ce texte puisse être examiné, travaillé, amélioré. Je tiens à saluer les propositions que Michèle Lutz et Mathieu Hanotin ont formulées auprès du Gouvernement : à travers eux, c'est l'implication des élus et des collectivités qui doit être soulignée. Je veux aussi saluer le travail des rapporteurs, fait de volonté et de sincérité, et la grande qualité des débats en commission.
Cependant, parce qu'il faut être juste, et donc avoir un minimum de mémoire, il est regrettable qu'il ait fallu attendre que des immeubles s'effondrent, à Marseille et ailleurs, pour qu'enfin une réponse soit apportée à ces drames de la misère sociale. Partout dans les territoires, que ce soit dans l'Hexagone ou en outre-mer, dans les quartiers populaires des grandes agglomérations comme dans les centres-bourgs du monde rural, des immeubles se détériorent. Les copropriétaires sont souvent exposés aux mêmes problèmes : difficultés de gestion, accumulation d'impayés de charges, report de travaux… Cette concentration de dysfonctionnements a des conséquences très concrètes : elle est souvent synonyme de logements vétustes, pour ne pas dire indignes, d'immeubles qui tombent en décrépitude, voire qui s'effondrent, de perte d'attractivité des quartiers. Ceux qui le peuvent quittent ces immeubles, et il ne reste bien souvent que les ménages les plus précaires, enfermés dans des logements devenus dangereux, pris dans une spirale de paupérisation.
Dans un pays comme le nôtre, ces situations sont inacceptables, et nous nous devons d'agir puissamment. Ce projet de loi, qui permettra aux collectivités et opérateurs d'intervenir le plus en amont possible pour éviter des drames humains et sociaux, prévoit des mesures de bon sens attendues depuis longtemps. Le groupe LIOT est ainsi favorable à la nouvelle procédure d'expropriation pour les immeubles dégradés dont l'état est remédiable, à la réhabilitation des copropriétés avant que la situation ne soit critique, au renforcement du droit de préemption urbain (DPU) demandé par les élus, et à la scission des grands ensembles en plusieurs syndicats pour faciliter la tâche des opérateurs.
Néanmoins, comme j'ai eu l'occasion de le dire en commission, plusieurs dispositions gagneraient à être retravaillées.
S'agissant de l'emprunt global collectif pour financer les travaux dans les copropriétés, nous redoutons que les établissements financiers ne prêtent pas aux copropriétés en difficulté. La mise en place d'une garantie publique s'impose donc. Le Gouvernement a d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, auquel nous sommes favorables. Reste désormais à préciser le montant d'abondement du fonds pour répondre aux besoins des copropriétés et à encadrer les conditions pour y recourir : en effet, rien ne serait pire que de garantir la solvabilité des marchands de sommeil, ces profiteurs qui louent des logements indécents.
Par ailleurs, comme vous le savez, le réseau bancaire traditionnel n'est pas au rendez-vous en matière de financement des travaux de rénovation de tous les autres propriétaires modestes et très modestes : il faut renforcer l'accompagnement public. Voilà pourquoi je me ferai toujours le défenseur d'une banque de la rénovation.
Enfin, le projet de loi n'est pas sans carences. Les marchands de sommeil peuvent dormir sur leurs deux oreilles, les mesures coercitives ne sont pas légion. Le droit, qui ne saurait pourtant qu'être empreint d'humanité, doit s'appuyer sur des principes de justice et d'égalité – il y va de la promesse républicaine. En outre, je ne peux que déplorer le défaut de repérage et d'accompagnement des copropriétés en difficulté qui ne seraient pas encore dégradées, l'insuffisance des nouvelles informations inscrites au registre national d'immatriculation des copropriétés, ou encore l'absence d'éléments concernant l'accompagnement en matière d'ingénierie et de financement, alors que la prise en charge opérationnelle de la lutte contre l'habitat indigne pèse sur les budgets. Enfin, monsieur le ministre, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une loi qui traite de l'habitat dégradé dans le monde rural : à l'heure où les élus de nos campagnes sont inquiets de voir la loi ZAN limiter leurs possibilités de développement, les biens sans maître, en déshérence ou en état d'abandon manifeste sont une réalité qu'il nous faudra traiter.