Intervention de Hubert Ott

Séance en hémicycle du jeudi 18 janvier 2024 à 15h00
Assurer une justice patrimoniale au sein de la famille — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHubert Ott :

Le hasard aura bien fait les choses et je suis heureux qu'à travers toi, ce soit une femme, de surcroît présidente de la délégation aux droits de l'enfant, qui défende un texte consacré à la sphère familiale comme à la cause féminine.

J'adresse mes remerciements à Raphaële Jegou, administratrice de la commission des lois, dont la collaboration s'est avérée essentielle pour aborder la complexité du droit matrimonial et fiscal. Le travail accompli me conduit à remercier aussi les commissaires aux lois, toutes familles politiques confondues ; les débats et les contributions ont montré la volonté commune de faire en sorte que cette proposition de loi puisse tenir toutes ses promesses.

Ce texte, d'apparence technique, est un petit texte, mais il ouvre indiscutablement la voie à de grandes avancées. Il vise à mettre fin à des injustices qui ne sont pas traitées par le droit matrimonial et fiscal.

Par le premier volet de cette proposition de loi, nous souhaitons exclure de tout avantage matrimonial la personne coupable du meurtre de son conjoint. Certes, le droit relatif aux successions, aux donations ou aux assurances-vie comporte déjà des mécanismes d'exclusion des personnes ayant attenté à la vie du donateur ou du testateur. Cela relève du bon sens, tant il est inconcevable que l'on puisse recevoir de celui, ou de celle, que l'on a tué. Cependant, aucun dispositif de ce type n'est prévu en matière de droit matrimonial.

Rappelons qu'à l'approche de la retraite, de nombreux Français choisissent de bénéficier des avantages matrimoniaux que sont la communauté universelle et l'attribution intégrale de la communauté au dernier vivant. Dès lors, lorsque survient le décès, le droit des successions ne s'applique pas, du fait de l'application prioritaire du droit matrimonial. Et les règles du droit matrimonial sont telles que la plupart des biens reviennent intégralement au survivant, même coupable de conjugicide. Incroyable – je dirai même « déplorable » – mais vrai ! C'est ainsi qu'aujourd'hui, en France, un meurtrier peut recevoir intégralement le patrimoine de sa victime et léser les héritiers de celle-ci.

Avec le groupe Démocrate, nous proposons de faire évoluer le code civil afin que les avantages matrimoniaux puissent être révoqués de plein droit en cas de condamnation pour conjugicide. Selon l'étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2022, un meurtre conjugal est constaté en moyenne tous les deux jours et demi, et plus de 80 % des victimes sont des femmes.

Il est évident que la première des luttes doit consister à empêcher les violences intrafamiliales, en améliorant la prévention, l'accompagnement des victimes, le processus du dépôt de plainte et en renforçant le suivi des auteurs. Grâce à la mobilisation de l'opinion publique, permise par les actions des nombreux mouvements associatifs et depuis le Grenelle sur les violences conjugales de 2019, les textes réglementaires et législatifs continuent de faire avancer ce combat nécessaire, soutenu par le Gouvernement et par la majorité.

Nous avons le devoir de poursuivre ce combat, avec une détermination sans faille ! C'est dans cette ligne que s'inscrit la proposition de loi, puisqu'en prévoyant leur déchéance de tout avantage matrimonial, elle empêchera que les auteurs de violences puissent s'enrichir de leurs crimes. Nous réparerons ainsi une injustice et, en supprimant toute prime au crime, mettrons un terme à ce terrible effet de double peine pour les victimes.

Le second volet de la proposition de loi tend à préserver les intérêts des ex-conjoints dans le cas de fraude fiscale réalisée à leur insu. Aujourd'hui, la solidarité fiscale entre pacsés ou époux entraîne une solidarité des dettes contractées durant la période de vie commune. Ainsi, lorsque la fraude fiscale a été commise par un des époux, si celui-ci a organisé son insolvabilité, l'administration peut se tourner vers son conjoint et lui demander, même après un divorce ou une séparation, de régler l'intégralité des dettes. Les personnes concernées sont, là encore, des femmes – à plus de 80 % –, dont la situation financière se trouve bien souvent dégradée du fait de la séparation. Cette solidarité les oblige bien souvent à se séparer de l'intégralité de leurs biens, les plongeant de fait dans une grande précarité.

L'État s'est penché sur ce problème en créant, dans la loi de finances pour 2008, la décharge de solidarité fiscale. Cependant, force est de constater que cette décharge reste très compliquée à obtenir. Notre texte vise donc à permettre de libérer de l'obligation de solidarité fiscale les ex-conjoints n'ayant pas été complices de fraude fiscale et ainsi, à ne plus faire peser un fardeau financier injuste sur des personnes de bonne foi.

Les préoccupations sociétales du monde d'aujourd'hui ont érigé, à raison, le combat contre les violences intrafamiliales en priorité nationale. Ce texte rappelle qu'au drame des violences physiques s'ajoute celui des violences économiques et fiscales. Les femmes, de par la vulnérabilité et la dépendance dans lesquelles elles sont plongées, sont particulièrement concernées.

La moralité, dans l'exercice de la responsabilité publique, implique de poursuivre sans relâche toutes ces injustices.

Dans cette société de liberté, dans laquelle nous nous reconnaissons et qui chérit les grandes valeurs républicaines, notre devoir de législateur est de veiller à ce que celles-ci soient respectées partout, y compris dans le périmètre intime de la famille, où peut malheureusement se produire l'inacceptable.

La force de la République est son unité. Celle-ci s'est exprimée mercredi en commission des lois par le soutien unanime de l'ensemble des députés des différents groupes politiques, que je tiens à remercier chaleureusement.

La justice patrimoniale et fiscale au sein de la famille, que ce texte défend, servira la France juste que nous appelons tous de nos vœux. Je suis persuadé que cet objectif majeur saura créer dans l'hémicycle les conditions d'un débat efficace et permettra l'adoption des mesures nécessaires.

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