Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mardi 16 janvier 2024 à 21h30
Position de la france sur les accords de libre-échange

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Dans cet hémicycle, nous sommes régulièrement saisis des questions commerciales au niveau européen. Ce fut le cas, récemment, au sujet des accords avec la Nouvelle-Zélande et avec le Mercosur. Dans les deux cas, mon groupe a rejeté une ratification en l'état de ces traités.

Le modèle économique dominant nous pousse à supposer que toute entrave au marché est une perte pour la prospérité de nos sociétés. La théorie économique a évolué au fil du temps, passant de l'apologie du protectionnisme à celle de l'ouverture ; mais dans le concret, les choses sont toujours plus compliquées que les théories.

C'est pourquoi je souhaite revenir – sans donner de leçons à personne – sur les conditions dans lesquelles ces accords devraient être négociés, ratifiés et mis en œuvre.

D'abord, les conséquences économiques, sociales et environnementales du libre-échange semblent clairement sous-estimées. La doxa européenne met régulièrement en avant le bénéfice que ces accords apporteront aux consommateurs. Or, si ces ouvertures permettent de créer de nouveaux débouchés significatifs, elles fragilisent également les producteurs européens. Bien souvent, il s'agit de soutenir un secteur d'activité au détriment d'un autre, alors que c'est justement le rôle du marché européen de nous offrir une économie indépendante grâce à la diversité des économies nationales. Nous ne pouvons survivre en étant une Europe entièrement agricole et sans industrie, ou une Europe industrialisée sans souveraineté alimentaire.

De même, l'Europe doit tenir compte des externalités négatives du libre-échange. Des aides doivent soutenir les petites exploitations et les très petites entreprises (TPE), les cultures bio et les fabrications en circuit court. Dire que le secteur agroalimentaire devrait voir ses exportations augmenter d'un certain nombre de milliards d'euros, sans préciser le mode de production, n'a pas de sens en soi.

Il y a des équilibres à trouver. Certes, tirer les prix vers le bas aide le consommateur, mais cela contribue à déstabiliser les cours des matières premières et à mettre en tension les TPE-PME. Ces accords constituent souvent des occasions manquées d'introduire des normes sociales, environnementales et sanitaires plus contraignantes dans les modes de production de nos partenaires.

Un autre enjeu est de défendre les appellations protégées de nos produits. C'est un gage de qualité pour les consommateurs et une valorisation du savoir-faire local de nos artisans ; il s'agit également d'améliorer la traçabilité des produits. Les dispositions de ces accords ne pourront être source de bénéfices communs qu'à condition d'être contraignantes.

Le respect de l'accord de Paris doit être la première condition de ces accords de libre-échange. S'ils sont économiquement intéressants, c'est parce que le prix du marché n'intègre pas les externalités négatives liées au climat. Vendre au rabais des produits conçus de l'autre côté de la planète, sans que le prix final ne tienne compte des conditions de fabrication et des émissions du transport, constitue un mirage statistique et une appréciation de court terme.

Ce fut une erreur de définir la politique commerciale commune comme une compétence exclusive de l'Union dans le traité de Lisbonne. Les accords de libre-échange doivent redevenir une compétence partagée et les parlements nationaux doivent pouvoir se prononcer expressément sur ces sujets.

En effet, la théorie économique à laquelle adhère la Commission européenne tient peu compte des intérêts particuliers des États. C'est un débat que l'on retrouve dans la littérature économique : l'économiste Friedrich List le disait déjà au XIXe siècle à propos du libéralisme.

En laissant tout pouvoir à l'UE, ces négociations commerciales renforcent la démagogie populiste, car les populations se sentent non seulement flouées, mais aussi ignorées.

Autre aspect notable, baisser les droits de douane signifie réduire les recettes de l'Union européenne. Ces pertes ne peuvent être compensées que par une augmentation des contributions des États, notamment par une hausse du prélèvement sur recettes dans chaque loi de finances. Soutenir les exportations pour, in fine, affecter davantage de nos ressources à l'UE peut paraître paradoxal – et le mot est gentil.

Enfin, la souveraineté de l'UE n'est pas aujourd'hui mise à mal par le manque de poulets aux hormones ou par le prix du maïs. Notre talon d'Achille, ce sont les énergies fossiles et les minerais rares. Or, les accords de libre-échange sont inefficaces dans ce domaine-là.

En conclusion, les enjeux économiques vitaux résident bien davantage dans la réindustrialisation et dans l'accès aux matériaux critiques que dans de nouveaux accords commerciaux.

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