Intervention de Julien Dive

Séance en hémicycle du mardi 16 janvier 2024 à 21h30
Position de la france sur les accords de libre-échange

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJulien Dive :

Il y a quelques heures, j'assistais au débat organisé par le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière (Cniel), où nous pouvions discuter de l'avenir et de l'installation des jeunes éleveurs laitiers, confrontés comme tous les agriculteurs au faible renouvellement des générations. Ce phénomène est particulièrement sensible dans l'élevage laitier, où plus de la moitié des exploitants ont plus de 50 ans.

Au moment où nous parlons, et alors que des négociations commerciales sont en cours, les éleveurs français se voient proposer l'achat du litre de lait à 40 centimes d'euros, alors que le seuil de rentabilité est à 44 centimes. Comment voulez-vous entrevoir un avenir lorsque le modèle économique imposé n'est pas rentable ?

Chaque année, la production laitière française atteint 24 millions de tonnes ; la Nouvelle-Zélande en produit 22 millions. Elle est aujourd'hui notre principal concurrent sur le marché du lait, qu'elle vient perturber voire fausser.

Le 27 novembre 2023, 522 députés européens ont voté l'accord de libre-échange négocié entre la Commission européenne et la Nouvelle-Zélande. Seuls 85 eurodéputés, dont 22 Français, ont voté contre. Cet accord, malgré les éloges de la Commission qui l'a qualifié de « plus progressiste », met en évidence les failles des précédents traités, sans constituer lui-même un exemple.

Comment justifier l'importation de dizaines de milliers de tonnes de produits agricoles d'un pays situé à 20 000 kilomètres, alors même que la France dispose déjà de capacités de production ? Cette démarche est en totale contradiction avec les intérêts nationaux et compromet sérieusement la pérennité de notre autonomie alimentaire. Il s'agit d'une ratification hors-sol, s'ajoutant aux multiples décisions qui entraînent la France dans une politique destructrice de sa souveraineté agricole.

Une fois de plus, la Commission européenne établit des garde-fous temporaires, avec des quotas européens sur certains produits ; elle prétend que leur fin progressive ne nuira pas à nos agriculteurs, alors que ceux-ci respectent des standards de production bien plus élevés. L'agriculture ne doit pas servir de monnaie d'échange !

Cette récente ratification souligne l'urgence d'interroger la cohérence d'ensemble de la position de la France sur les accords de libre-échange. Les accords commerciaux devraient permettre d'obtenir de nouveaux débouchés, et de régler enfin le déséquilibre injuste entre les produits européens et les produits importés, qui concurrencent les premiers sans être soumis aux mêmes normes et réglementations.

Cette incohérence se lit dans le double discours de l'exécutif, qui défend des critères stricts lorsqu'il se trouve face aux agriculteurs français, mais qui se révèle bien plus confus à l'étranger, notamment avec l'accord sur le Mercosur. Ainsi, le 26 février 2023, dans les allées du Salon de l'agriculture, le Président de la République rassurait les professionnels des filières agricoles en déclarant qu'« un accord avec les pays du continent latino-américain n'est pas possible s'ils ne respectent pas, comme nous, les accords de Paris, et s'ils ne respectent pas les mêmes contraintes environnementales et sanitaires qu'on impose à nos producteurs ». Pourtant, dès qu'il franchit les frontières, le Président de la République se montre beaucoup plus confus et conciliant.

Cette incohérence est renforcée par les agissements de la Commission européenne, qui n'hésite pas à faire barrage à l'Assemblée nationale. En juin dernier, une proposition de résolution transpartisane contre l'accord avec le Mercosur a été adoptée à la quasi-unanimité des groupes politiques. Ce « non » du Parlement français n'a pourtant pas empêché la Commission de proposer aux États du Mercosur un projet d'« addendum environnemental », qui n'intègre aucune clause miroir conditionnant l'importation de produits sud-américains au respect de nos normes de production environnementales et sanitaires.

Ainsi, avec ou sans addendum, le poulet dopé aux antibiotiques, le bœuf engraissé dans des feed-lots de 30 000 animaux, le maïs traité à l'atrazine et autres produits phares des exportations brésiliennes accéderaient sans restriction aux quotas d'importation, avec des droits de douane nuls ou réduits, comme le prévoit l'accord conclu en 2019.

Le refus du Parlement français n'a pas non plus incité la Commission européenne à la prudence dans ses prises de paroles sur le sujet. Au contraire, ses représentants ont multiplié les appels publics à la ratification.

Pourtant, la France doit rester cohérente avec ses intérêts nationaux et environnementaux, et adopter une position claire et définitive sur tous les traités qui menacent notre autonomie alimentaire.

Il est urgent d'établir quatre priorités concernant les accords de libre-échange. Premièrement, garantir un jeu commercial à armes égales avec nos partenaires européens et internationaux pour que les produits importés soient soumis aux mêmes règles de production que les produits français. Deuxièmement, exiger la réciprocité pour assurer l'équité du jeu concurrentiel. Troisièmement, donner les moyens financiers et matériels aux agriculteurs pour anticiper les conséquences du réchauffement climatique. Enfin, permettre une adoption par le Parlement – et non par le seul Gouvernement, comme c'est aujourd'hui le cas – des futurs accords commerciaux.

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