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Intervention de Perrine Goulet

Réunion du mercredi 10 janvier 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPerrine Goulet, rapporteure :

Tout d'abord, je vous présente mes meilleurs vœux et vous remercie de m'accueillir au sein de votre commission. Je remercie également mon collègue Hubert Ott, auteur original de la proposition de loi, qui a accepté que je le remplace dans le rôle de rapporteur d'un texte auquel il accorde une grande importance, et je lui souhaite un bon rétablissement. Ce texte comporte deux volets.

Le premier article concerne le sort des avantages matrimoniaux lorsque l'un des époux a commis une infraction vis-à-vis de l'autre, sujet mis en lumière par mon collègue Hubert Ott. Dans l'état actuel du droit, si un époux tue son conjoint ou sa conjointe, rien ne change s'agissant des avantages qu'il peut retirer du contrat de mariage conclu avec la personne défunte.

C'est plutôt une exception puisque des mécanismes existent pour faire face à ce type de situations en cas de donation ou de succession. Une donation entre vifs peut ainsi être révoquée pour cause d'ingratitude dans trois cas, dont l'attentat par le donataire à la vie du donateur – le cas est prévu par l'article 955 du code civil. En matière de succession, le mécanisme de l'indignité successorale a été créé, ce qui permet d'exclure de la succession la personne qui a attenté à la vie du défunt ou qui a commis des actes de torture et de barbarie à son encontre. Cette exclusion peut être de plein droit – c'est le cas si la personne susceptible d'hériter a volontairement donné la mort à la personne défunte. Elle peut aussi être facultative : il revient alors au juge d'apprécier si l'auteur de l'infraction doit être exclu de la succession. Contrairement à l'ingratitude, l'indignité successorale ne peut être déclarée que s'il existe une condamnation pénale de la personne susceptible d'être exclue de la succession.

Il n'existe pas d'équivalent de ces deux mécanismes s'agissant des avantages matrimoniaux. L'article 1er de la présente proposition de loi tend à y remédier. Il modifie le code civil pour permettre la révocation d'un avantage matrimonial dans des conditions similaires à celles qui existent pour révoquer une donation entre vifs, c'est-à-dire lorsque l'un des époux a attenté à la vie de l'autre ou qu'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves.

Le deuxième volet de cette proposition de loi concerne un dispositif fiscal : la décharge de responsabilité solidaire. L'article 2 met en œuvre une revendication du groupe Démocrate, que nous avions essayé de traduire lors de l'examen du projet de loi de finances par le biais d'un assouplissement des modalités d'octroi d'une décharge de responsabilité solidaire. Les époux ou les personnes liées par un pacte civil de solidarité (Pacs) forment un seul et unique foyer fiscal, ce qui les rend solidairement responsables des impositions dues par le foyer. Cette solidarité continue d'exister même lorsque le couple se sépare : l'administration fiscale peut réclamer des impositions qui datent de la période d'imposition commune, même si ce foyer fiscal n'existe plus.

Concrètement, une personne dont l'ex-conjoint a fraudé le fisc alors qu'ils étaient ensemble, peut se voir réclamer le remboursement de l'intégralité de la dette fiscale si ledit conjoint n'est pas en mesure de le faire pour une raison ou une autre. La personne concernée peut alors demander à l'administration fiscale d'être déchargée de l'obligation du paiement de cette dette – c'est la décharge de responsabilité solidaire. L'administration fiscale doit alors apprécier s'il existe une disproportion marquée entre la situation patrimoniale et financière du demandeur et le montant total de la dette à rembourser. La disproportion avérée sera considérée comme marquée si la personne demandeuse n'est pas en mesure de rembourser la dette sur une période de trois ans. Cette situation n'est pas satisfaisante : elle conduit certains conjoints, souvent des conjointes, à se séparer de leur patrimoine propre pour rembourser une dette fiscale liée à une fraude dont elles ignoraient tout et dont elles n'ont pas bénéficié.

L'article 2, dans sa version initiale, proposait d'exclure de l'appréciation de la situation patrimoniale du demandeur les biens acquis avant le mariage ou le Pacs, ainsi que les biens reçus par le demandeur par donation ou succession. Cette restriction de l'assiette aurait conduit à accorder un plus grand nombre de décharges de responsabilité solidaire. Le dispositif reprend celui déposé par certaines de mes collègues, lors de l'examen du budget pour 2024 en commission des finances, soucieuses comme nous de ne pas laisser prospérer un dispositif qui pénalise injustement des femmes dont le seul tort est d'être tombée amoureuse d'un escroc.

Ces deux dispositifs viennent réparer des injustices de notre droit civil et de notre droit fiscal. Au cours de nos travaux, il est apparu que leur rédaction pouvait être améliorée de manière à les rendre plus efficaces. J'ai donc déposé deux amendements qui réécrivent entièrement les deux dispositifs prévus aux articles 1er et 2.

La rédaction que je vous propose pour l'article 1er vise à clarifier le dispositif de déchéance d'un avantage matrimonial. Il modifie l'insertion de l'article dans le code civil pour garantir son application à l'ensemble des régimes matrimoniaux et non uniquement aux régimes communautaires. Il se réfère aux situations entraînant l'indignité successorale plutôt que l'ingratitude, facteur d'une plus grande sécurité juridique car l'indignité est forcément prononcée après une condamnation pénale, ce qui n'est pas le cas pour l'ingratitude. Enfin, il prévoit plusieurs cas dans lesquels cette indignité matrimoniale pourra être appliquée de plein droit.

S'agissant de l'article 2, il est issu de mes échanges avec les services de l'administration fiscale qui avait émis des réserves sur le dispositif initial. Sur leur suggestion, je vous propose donc une forme de dissociation du foyer fiscal a posteriori : si la séparation des deux conjoints est effective et que la personne qui demande une décharge de responsabilité solidaire n'a pas participé à la fraude fiscale, son ex-conjoint pourra être considéré comme un tiers qui assume seul le paiement des impositions dues par leur foyer fiscal. Cette solution est moins tangible que notre proposition initiale car elle repose sur la bonne volonté de l'administration fiscale et non pas sur l'assouplissement de critères précis énoncés par la loi. Je crois néanmoins que nous souhaitons tous aller dans le même sens : ne pas faire peser un fardeau fiscal trop lourd sur des personnes de bonne foi.

Consciente que ces deux rédactions globales écrasent certains de vos amendements, j'ai souhaité les déposer en commission avant la fin du délai de dépôt, afin que nous puissions en débattre plus sereinement.

Quant à mon troisième amendement, il vient modifier l'article 265 du code civil afin de tenir compte d'une décision de la Cour de cassation datée du 18 décembre 2019, qui vide de son sens toute clause d'exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation.

Nous sommes ici au cœur de notre fonction de législateur : après avoir identifié un vide ou un dispositif juridique insatisfaisant, nous remettons l'ouvrage sur le métier pour l'améliorer.

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