Le Conseil des prélèvements obligatoires est une institution associée à la Cour des comptes qui réunit des élus locaux, des magistrats, des fonctionnaires, des universitaires et des représentants du monde de l'entreprise. À mes côtés se trouvent le vice-président du CPO, M. Patrick Lefas, et son secrétaire général, M. Guilhem Blondy. Je souhaite avant tout saluer le travail remarquable de l'ensemble des artisans de ce rapport intitulé « Pour une fiscalité du logement plus cohérente », rédigé sous la coordination du rapporteur général, M. Vincent Dedrie.
Le rapport s'est nourri de la diversité de points de vue de la dizaine de rapporteurs y ayant œuvré, ainsi que d'auditions de parties prenantes des secteurs du logement social et de la construction, d'élus locaux, d'économistes et de représentants d'institutions internationales. Il a bénéficié de deux études inédites, l'une conduite sur la taxe foncière par l'Insee, l'autre sur la taxe d'habitation par l'IPP.
Avant de vous dévoiler les principaux messages de ce rapport, je souhaite faire quelques rappels sur le secteur du logement, les défis structurels auxquels il est confronté et la conjoncture à laquelle il fait face.
Le logement est un bien particulier, au cœur du quotidien des citoyens comme de la vie économique du pays. En 2022, on décomptait près de 38 millions de logements en France, un chiffre en croissance de 320 000 unités par rapport à l'année précédente. La dépense courante des agents économiques pour le logement en France s'élevait en 2022 à environ 581 milliards d'euros, soit 22 % du produit intérieur brut (PIB).
Le logement est aujourd'hui confronté à deux défis devant être pris en compte par la fiscalité. Le premier concerne les enjeux environnementaux. Pour atténuer les effets du changement climatique et lutter contre l'artificialisation des sols, il est nécessaire de donner la priorité à la mobilisation du parc existant et à la rénovation énergétique, en rupture avec les dispositifs fiscaux existants qui favorisent principalement la construction neuve. Le second défi est la concentration du patrimoine immobilier chez les ménages les plus aisés et dans les centres des grandes aires urbaines. Cette double concentration pose la question des effets de la fiscalité du logement sur la répartition des patrimoines.
Au-delà de ces nouveaux défis, le marché de l'immobilier se caractérise par un déséquilibre entre l'offre et la demande de logements. La conjoncture économique actuelle, marquée par une hausse des taux d'intérêt et la contraction corrélative des crédits, accentue les difficultés rencontrées par les ménages et par le secteur de la construction neuve. Le rapport du CPO s'attache à proposer une révision de la structure de la fiscalité du logement, afin de répondre aux défis de long terme du bâti tout en maintenant globalement inchangé le niveau des prélèvements obligatoires, compte tenu de la situation des finances publiques. Le CPO estime en effet qu'il est très difficile d'augmenter le niveau des prélèvements obligatoires, mais tout autant de le baisser, eu égard au niveau du déficit public.
Le rapport du CPO n'a pas vocation à proposer des remèdes de court terme aux difficultés rencontrées en 2023 par le marché immobilier, lesquelles sont d'ailleurs susceptibles de se prolonger voire de s'aggraver. Ses recommandations permettraient néanmoins, si elles étaient mises en œuvre, de rendre le marché du logement plus résilient face aux variations conjoncturelles, en réduisant la rigidité des prix. Autrement dit, s'il n'est pas un rapport de conjoncture, ce rapport, par ses préconisations, peut protéger des effets de la conjoncture.
La fiscalité du logement a représenté 92 milliards d'euros en 2022, prélevés tout au long du cycle de vie du logement, de sa construction à sa cession. Les principaux impôts qui la composent sont les droits de mutation prélevés lors de l'acquisition d'un bien par achat, don ou héritage, qui représentent 28 milliards d'euros, et la taxe foncière qui frappe la détention des biens immobiliers à hauteur de 26 milliards d'euros.
La part de la fiscalité du logement dans le PIB en France compte parmi les plus élevées de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Toutefois, cette singularité reflète davantage le niveau général des prélèvements obligatoires dans notre pays qu'une structure de la fiscalité défavorable au secteur. Ainsi, et à titre d'exemple, le poids de ces impôts dans le total des prélèvements est aussi important au Royaume-Uni ou aux États-Unis qu'en France.
Il convient également de souligner que de nombreuses dépenses fiscales, dont le nombre s'élève à soixante-dix en 2022, réduisent le rendement de la fiscalité du logement. Ces dépenses représentent une perte de recettes de près de 15 milliards d'euros pour l'État et les collectivités territoriales. Le rapport rappelle que ces dépenses fiscales devraient être bornées dans le temps et systématiquement évaluées, comme la Cour des comptes l'avait d'ailleurs préconisé dans une note structurelle parue en 2022. De manière générale, un inventaire systématique des dépenses fiscales est nécessaire dans la mesure où la pertinence de ces dépenses peut varier dans le temps.
En conclusion de ce panorama préliminaire, je voudrais rappeler qui paie les impôts sur le logement, et qui les perçoit. Depuis la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, la fiscalité du logement dépend du régime d'occupation et repose de façon prédominante sur les propriétaires. Elle est globalement progressive, puisque les locataires, notamment ceux du parc social, sont dans l'ensemble moins aisés que les propriétaires. Elle est en revanche dégressive, en fonction du revenu, pour les propriétaires. Le poids de la fiscalité du logement dans leurs dépenses de logement doit toutefois être relativisé. Pour le quart des propriétaires accédants les plus modestes, la fiscalité du logement représente environ 6 % de leurs revenus. Cela peut paraître important, mais il convient de noter que les ménages entrant dans cette catégorie consacrent plus de la moitié de leurs revenus à leur logement, notamment pour rembourser leur emprunt immobilier. L'enjeu du crédit immobilier pèse donc bien davantage que celui de la fiscalité en matière d'accès à la propriété. Par conséquent, toute tentative de relance de l'accès à la propriété devra passer par une réflexion portant davantage sur le crédit immobilier que sur la fiscalité.
Malgré la réforme de la taxe d'habitation, les collectivités locales restent bénéficiaires de près de la moitié des impôts et taxes sur le logement. Les communes reçoivent la taxe foncière et les départements les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), c'est-à-dire, en langage courant, les frais de notaire sur les achats de biens. De ce fait, la mise en œuvre de certaines des recommandations du rapport du CPO impliquerait des pertes de recettes pour certaines collectivités et des gains pour d'autres, ces effets redistributifs entre collectivités devant être évidemment neutralisés.
Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires porte principalement trois messages.
En premier lieu, les dispositifs fiscaux doivent être mis en cohérence avec la valeur économique des biens. L'étude de l'Insee démontre que la taxe foncière présente un profil régressif en fonction du niveau de vie des propriétaires. Cela s'explique principalement par une assiette archaïque, qui sous-évalue la valeur de l'immobilier dans les communes les plus aisées. Les coefficients déterminés en 1970 pour caractériser les biens survalorisent les constructions neuves de cette époque, qui sont parfois dégradées aujourd'hui, et sous-évaluent les immeubles anciens de centre-ville, aujourd'hui souvent très cotés. En outre, les communes n'ayant pas d'activité économique importante sur leur territoire ont tendance à appliquer à ces assiettes surestimées des taux plus élevés que dans les communes plus dynamiques. Le cumul de ces deux effets est particulièrement visible à Paris et dans sa petite couronne. Par exemple, dans les années 1970, de nombreux immeubles de Seine-Saint-Denis étaient neufs et souvent mieux équipés qu'à Paris, conduisant à les imposer davantage au titre des modes de calcul de l'assiette de la taxe foncière. Or ce mode de calcul est identique en 2023, alors que l'état du bâti a bien entendu évolué, ce qui conduit à une taxe foncière qui pèse deux à trois fois plus dans le revenu disponible en Seine-Saint-Denis qu'à Paris. Une telle situation est absurde.
La révision de l'assiette de la taxe foncière est par conséquent une réforme majeure et nécessaire. Elle a malheureusement été régulièrement repoussée au motif des difficultés techniques et des forts enjeux redistributifs qu'elle présente. Selon le Gouvernement, elle devrait désormais intervenir en 2028. Ces reports successifs conduisent à une divergence devenue considérable entre la fiscalité foncière et les capacités contributives des ménages. Ces reports induisent également un affaiblissement du consentement à cet impôt, mais ils laissent néanmoins le temps pour réfléchir sur la méthodologie de cette révision.
Le CPO recommande de tirer parti de l'amélioration des statistiques disponibles sur les prix des biens et les loyers pour fonder plus directement la taxe foncière sur la valeur locative de marché ou sur la valeur vénale des logements. Cela permettrait à la taxe de refléter les réalités économiques locales, tout en permettant pour l'avenir une actualisation régulière, et à moindre coût pour l'administration.
En dehors de la taxe foncière, les communes continuent de percevoir la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et les logements vacants, tandis que les communes situées en zones tendues peuvent aussi instituer une taxe sur les logements vacants (TLV). L'un des objectifs de ces impôts est de limiter le nombre de logements inoccupés et de faciliter l'accès aux logements dans les zones tendues comme les grandes villes ou les zones touristiques.
Malgré son actualisation en 2023, le zonage défini au niveau national peine cependant, là encore, à suivre les dynamiques locales du marché du logement. Le CPO propose dès lors d'inverser la logique actuelle en généralisant la taxe sur les logements vacants, sauf pour les territoires en déprise. Cette mesure accroîtrait l'offre sur le marché locatif et limiterait la consommation d'espaces naturels pour des constructions neuves. Elle simplifierait en outre la fiscalité sur les logements vacants, puisqu'il n'y aurait plus de taxe d'habitation pesant sur eux.
En second lieu, les incitations fiscales sont rarement les meilleurs instruments pour faire face aux nouveaux défis auxquels est confronté le bâti, à l'image des incitations visant à atténuer les effets de la conjoncture économique, ainsi que des incitations pour atteindre les objectifs plus structurels, sociaux ou environnementaux, de la politique du logement.
S'agissant de la conjoncture économique, après des années de forte expansion du secteur permise par l'aubaine fournie par des taux historiquement bas, la hausse des taux s'est traduite par une baisse limitée des prix. En revanche, elle a mené à une baisse très marquée des crédits accordés et des transactions. L'emploi dans le bâtiment résiste, pour l'instant, grâce au dynamisme des rénovations. Cependant, la baisse des acquisitions et des constructions neuves crée des tensions sur le marché locatif.
Cette situation rappelle le rôle décisif, pour le marché immobilier, de l'accès au crédit et de son coût. Elle révèle également l'incidence limitée de la fiscalité, ainsi que je l'ai indiqué. Le principal blocage réside sur ce point. L'utilisation de la fiscalité à des fins de relance ou pour favoriser l'accès à la propriété pourrait même s'avérer contre-productive, en augmentant encore les prix du logement.
L'étude commandée par le CPO à l'IPP montre que la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales n'a pas échappé complètement à cet écueil. Une partie, certes limitée, du gain de pouvoir d'achat a été captée par une augmentation des prix immobiliers et des loyers. Cette incidence contre-productive a été mise en évidence de façon beaucoup plus nette pour les aides à l'investissement locatif. La suppression du dispositif Borloo-Robien en 2009 aurait ainsi, toutes choses égales par ailleurs, conduit à une baisse des prix de 1 % et à une réduction de la vacance de 1,6 % dans les zones ne bénéficiant plus de ces dispositifs. Par conséquent, le CPO recommande de ne pas proroger le dispositif d'investissement locatif dit dispositif Pinel qui présente des caractéristiques analogues.
En matière environnementale, l'utilisation de la fiscalité à des fins incitatives doit être sélective. Certains dispositifs fiscaux pourraient être mobilisés pour limiter l'artificialisation des sols, notamment la taxe sur les plus-values de cession des terrains nus rendus constructibles, ou la taxe sur les logements vacants. De même, les dispositifs de solvabilisation de la demande, comme les prêts à taux zéro, peuvent présenter un certain attrait dans un contexte de hausse des taux d'intérêt. Ils devraient néanmoins être orientés vers l'acquisition et la rénovation des logements anciens, qui permettent une forme de sobriété foncière. En revanche, et je le dis très clairement, recourir à l'outil fiscal pour la rénovation énergétique ne permet pas de répondre aux enjeux de ciblage et d'efficience de cette politique publique.
Alors que de très nombreux logements demeurent à rénover d'ici 2050, notamment pour aider les plus modestes à réduire leur facture énergétique, le rapport démontre que les taux réduits de TVA ne sont pas les outils les plus efficients. En effet, ils peuvent difficilement être ciblés, et ne concernent d'ailleurs pas toujours des logements énergivores.
Le CPO formule donc sur ce sujet une proposition analogue à celle formulée sur la TVA en général dans son dernier rapport, à savoir un alignement du taux réduit de TVA à 5,5 % pour les travaux de rénovation énergétique sur le taux intermédiaire de 10 % pour les travaux de rénovation dans l'ancien. Cela doit s'effectuer à la condition de redéployer le gain budgétaire de ces réformes vers les aides budgétaires directes.
Par ailleurs, un tel alignement ne doit pas empêcher de poursuivre un meilleur ciblage des dispositifs budgétaires, par exemple le dispositif MaPrimRénov', comme l'a rappelé un rapport de la Cour des comptes réalisé pour le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l'Assemblée nationale, rendu public en octobre 2023.
En troisième lieu, le CPO recommande, en tenant compte du bilan peu convaincant de ces dispositifs fiscaux incitatifs, de renforcer la neutralité de la fiscalité afin de favoriser la résilience du marché du logement. Il s'agit tout d'abord de taxer davantage la détention que l'acquisition, c'est-à-dire davantage la rente immobilière que l'effort d'accès à la propriété. Sont visés en particulier les droits de mutation à titre onéreux, collectés par les notaires pour les départements au moment de l'acquisition d'un logement, qui produisent un effet négatif sur le nombre de transactions, la mobilité résidentielle et l'accès à la propriété. Dès lors, le CPO réitère la recommandation déjà formulée en 2018 de basculer progressivement les DMTO vers la taxe foncière.
Ce transfert nécessiterait une réflexion globale sur les circuits de financement des collectivités, afin de fournir aux départements des recettes plus stables et moins liées au cycle immobilier. J'ai pu, à ce sujet, m'entretenir avec des présidents de conseils départementaux qui m'ont signalé la baisse conjoncturelle des DMTO. Davantage de stabilité paraît donc nécessaire dans ce domaine.
La réforme ne peut être mise en œuvre tant que la fiscalité foncière apparaît décorrélée des réalités économiques locales, et tant que ses effets régressifs ne sont pas davantage pris en compte. Une telle bascule ne doit pas être conçue comme une mesure pour relancer les transactions à court terme, mais comme une réforme de moyen terme, c'est-à-dire à mettre en place après 2028. Elle doit être couplée avec la réforme de l'assiette de la taxe foncière.
Ces préconisations visent à renforcer la flexibilité et la résilience du marché de l'immobilier de façon durable. Le CPO considère également qu'une plus grande neutralité devrait être recherchée dans la taxation à l'impôt sur le revenu. Le projet de loi de finances pour 2024 procède à une première rationalisation du régime très favorable d'imposition des revenus tirés des meublés de tourisme, en ramenant l'abattement dont ils bénéficient de 71 % à 30 % dans les zones tendues.
Le CPO invite à aller au-delà, et à supprimer progressivement la distinction entre location meublée et location non meublée, et la distinction entre location meublée professionnelle et location meublée non professionnelle. Un régime microfoncier serait applicable en dessous d'un seuil de chiffre d'affaires, mais le niveau des abattements serait ramené à 30 ou 40 %, tandis que les règles de déduction et d'amortissement de droit commun s'appliqueraient.
Cette réforme permettrait notamment de remettre sur le marché de la location durable des biens réservés aujourd'hui par leurs propriétaires à la location touristique, pour des raisons d'optimisation fiscale, notamment à Paris et dans les communes touristiques.
Tels sont les messages que le CPO souhaite porter à l'attention de votre commission. Renforcer la cohérence de la fiscalité du logement nécessite de la reconnecter aux réalités économiques locales, de mettre en extinction les dépenses fiscales inefficaces ou insuffisamment ciblées, et de mieux répartir l'imposition tout au long du cycle de vie du logement, à pression fiscale constante.
Une telle réforme est très ambitieuse et ne peut être que progressive. Il sera nécessaire de neutraliser ses effets sur les finances locales, mais aussi de lisser dans le temps ses conséquences pour les ménages et de tenir compte de la situation de particuliers ayant effectué un investissement sous l'empire d'un précédent régime fiscal.