Intervention de Patrice Vergriete

Réunion du mardi 12 décembre 2023 à 17h15
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Patrice Vergriete, ministre délégué :

Le « Pinel breton », qui s'inscrit dans une logique de différenciation territoriale, est en effet un moyen d'atteindre nos objectifs.

Dans le cadre de sa mission, Éric Woerth va avoir une approche plus large que la mienne de la décentralisation, mais nous nous sommes rencontrés la semaine dernière pour que nos travaux respectifs soient cohérents.

Une autre question est revenue à deux reprises : l'adoption d'une mesure conjoncturelle en urgence afin de répondre à la situation actuelle du logement. Dans le passé, nous avons réagi à chaque crise du logement par l'adoption d'une solution magique, autrement dit, car il faut appeler un chat un chat, en créant un puissant dispositif d'aide fiscale à l'investissement locatif, tel que le Scellier en 2008. Pour en mesurer les effets, je vous invite à regarder la courbe de Friggit, qui montre bien le décrochage entre les prix de l'immobilier et le pouvoir d'achat des ménages. À chaque fois qu'un début de correction à la baisse des prix était observé, la mesure fiscale les a fait repartir à la hausse au point de les faire atteindre des niveaux incroyables. En fait, à chaque fois, on a recréé une demande artificielle de logement : les gens intéressés par ces dispositifs veulent avant tout payer moins d'impôts, le logement n'étant pour eux qu'un support de déduction fiscale. Le prix s'ajuste ainsi à une demande artificielle, déconnectée de la réalité du marché du logement.

Pour illustrer le phénomène, je ne vous citerai qu'un chiffre : depuis le début des années 2000, la part des cadres parmi les accédants à la propriété est passée de 20 % à 43 %. Ces prix immobiliers, qui se sont envolés à chaque relance par un dispositif fiscal, ont exclu les classes moyennes et populaires de l'accession à la propriété. Et nous voilà en train de nous poser la question de l'accession sociale à la propriété, d'inventer des dispositifs spécifiques pour répondre à cette situation. Actuellement, l'indice du prix des logements rapporté au revenu par ménage se situe à 1,9 sur la courbe de Friggit : les prix sont 90 % au-dessus du niveau du pouvoir d'achat. Autant dire qu'une grande partie de la population a désormais décroché de l'accession à la propriété. Est-ce vraiment le moment de remettre un petit coup de dispositif magique, de créer un super Scellier ? Je crains que cela nous ferait perdre tout le monde et rendrait l'accession à la propriété impossible.

Une correction à la baisse des prix du foncier me semble donc indispensable. D'ailleurs les promoteurs le souhaitent, de même que les membres du Conseil national de la refondation (CNR) sur le logement. Ces derniers me disent tous que s'il n'y avait qu'une mesure à retenir du CNR logement, ce serait la régulation des prix du foncier. Ce qui nous a conduits au bord du vide, c'est une concurrence effrénée sur les prix du foncier, conjuguée à une demande artificielle de logements, dopée par les dispositifs fiscaux. Nous en sommes là.

Notre stratégie consiste à rééquilibrer les choses, à rendre l'accession possible, à développer les logements locatifs intermédiaires (LLI) et les logements locatifs sociaux (LLS). Nous avons donc demandé à la branche habitat de la Caisse des dépôts et consignations, CDC Habitat, et au groupe Action Logement de racheter aux promoteurs certains de leurs programmes en suspens. Nous étudions la possibilité de poursuivre en 2024 ce plan qui fonctionne plutôt bien puisque quelque 47 000 logements ont été rachetés.

S'agissant du logement locatif intermédiaire, j'ai participé hier soir à un débat avec des investisseurs institutionnels sur les conditions de leur retour sur ce marché où ils occupent une position certes très modeste – environ 1 % du marché locatif privé. Si cette part passait à 4 %, cela permettrait d'apporter quelques réponses en matière de résidences pour les étudiants ou de LLI avec des loyers encadrés.

Pour favoriser l'accession sociale à la propriété, nous avons gardé le PTZ sur l'ensemble du territoire national dans ce domaine. Je crois beaucoup à des dispositifs de démembrement, du type bail réel solidaire (BRS), qui se développent sous l'impulsion de divers acteurs tout en restant pour l'instant moins répandus que dans d'autres pays. On peut aussi recourir à des innovations financières telles que les prêts in fine, notamment sur le foncier, afin de redonner des moyens pour l'accession. Nous avons passé un accord avec le mouvement HLM pour équilibrer la rénovation et la production et lancé un plan en faveur du logement étudiant.

Vous comprenez la stratégie : plutôt que de proposer une solution miracle qui va orienter toute la production de logements vers un objet, nous cherchons un équilibre en veillant aux prix du foncier. Rappelons que jusqu'à la mi-2023, les promoteurs donnaient à leurs acteurs la consigne de continuer à renchérir sur les prix du foncier. N'oublions pas que la crise conjoncturelle ne doit pas masquer la profonde crise structurelle qui se concrétise dans les prix, mais aussi dans des phénomènes tels que l'éloignement des populations.

S'agissant des AOH, le débat est ouvert. Dans le cadre de la concertation que nous aurons au sujet du futur projet de loi, n'hésitez pas à nous faire part des modifications que vous souhaitez apporter, sachant qu'il faudra couvrir la France d'AOH afin de se conformer à ce qui est l'essence même de la décentralisation. Il n'y aura pas de zone blanche. À la rigueur, nous pouvons nous interroger sur l'opportunité de procéder en deux temps, considérant que les départements d'outre-mer et la métropole du Grand Paris ne sont peut-être pas mûrs pour la décentralisation de la politique du logement. En tout cas, il me semble qu'il n'y a pas trop débat sur cette couverture par les AOH de la province hexagonale. Les critères des AOH devront donc évoluer.

J'en viens à la loi SRU dont j'ai été un coauteur de l'article 55 – il me semble que vous le savez tous à présent. C'est une bonne loi, dont on mesure l'importance à un chiffre : en France, un logement social sur deux trouve son origine dans la loi SRU. On peut toujours trouver la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine, mais cette donnée est forte. Certains estiment que cette loi est un irritant, d'autres qu'elle ne va pas assez vite. Pour ma part, je retiens une chose : elle fait évoluer la situation, j'en veux pour preuve les appels de maires qui voudraient que leur commune ne soit plus considérée comme carencée. Cette loi a survécu à toutes les majorités, de gauche comme de droite, depuis vingt-cinq ans, en donnant des résultats. Quand la Fondation Abbé-Pierre estime qu'elle n'est pas satisfaite, elle est dans son rôle. Cela étant, sur le temps long, cette loi a prouvé son efficacité à rééquilibrer le logement social à l'échelle des territoires.

Je ne crois pas à la décentralisation de l'hébergement d'urgence. Certains présidents d'intercommunalité – que je ne citerai pas – me l'ont demandée et pensent qu'ils devraient prendre toutes les compétences, dont les APL et l'hébergement d'urgence. Cependant, je ne crois pas qu'il y aura un consensus des associations d'élus locaux pour prendre en charge l'hébergement d'urgence, dont on voit bien qu'il doit rester une prérogative étatique.

Nous pourrions toutefois en débattre au sein des AOH, par exemple pour définir un schéma de développement des places d'hébergement d'urgence. La réunion de l'ensemble des maires d'une intercommunalité est l'occasion de trouver des équilibres, et inscrire à l'un de leurs ordres du jour la création de places d'hébergement d'urgence – c'est-à-dire la question d'une juste répartition de ces places, et en tenant notamment compte, bien sûr, de l'accès à la mobilité – n'est peut-être pas une si mauvaise idée. Plutôt donc qu'une décentralisation de la compétence d'hébergement d'urgence, je pensais tout à l'heure à un débat sur les responsabilités des collectivités en la matière et sur leur participation à une politique nationale qui me semble être républicaine.

Quant au débat sur la décentralisation et la production de logement locatif social, c'est un beau débat politique, que l'on peut aborder de deux façons. La première est la responsabilité politique à l'échelle de l'AOH : l'État exprimerait publiquement, dans un porter à connaissance, le nombre de logements sociaux à construire, ce qui revient à responsabiliser les élus politiques de terrain. La deuxième option consiste à introduire dans la loi des garde-fous en termes de production de ces logements.

Dans les zones tendues, Paris est la seule ville qui pourrait faire le bilan suggéré – et à Paris, globalement, ça marche. Cependant, la proposition de loi Le Meur-Echaniz apporte des outils complémentaires, notamment le quota et un meilleur suivi des autorisations, de changement d'usage, qui donneront encore plus de moyens aux maires.

Pour ce qui concerne le complément de loyer, je souscris à l'idée qu'il est peut-être nécessaire d'en intégrer une définition dans la loi.

Quant aux maires qui construisent moins que ce qu'autorise le PLU, cette situation renvoie à la question de fond de l'acceptabilité pour la population.

Nous sommes ici plusieurs à avoir été maires, et nous n'oublions pas qu'un maire n'exprime jamais que des choses qui viennent du plus profond de la population. Il faut donc certes poser des garde-fous pour éviter que certains maires s'abandonnent à la facilité de ne plus construire dans des zones où il serait nécessaire de le faire, mais il faut aussi, puisque nous vivons dans une société démocratique, entendre l'aspiration de la population à vivre autrement la densité. Je ne sais pas comment résoudre ce problème, mais cela ne peut pas être seulement par la contrainte et un débat politique me semble nécessaire.

Pour les meublés touristiques, le changement d'usage est lié au DPE. Si donc on ne veut pas imposer de DPE, il suffit de ne pas imposer le changement d'usage.

Quant aux plus-values de cessions immobilières, je partage pleinement votre point de vue et, comme je le disais tout à l'heure à Mme Ferrari, il faut formuler des propositions beaucoup plus fortes pour ce qui concerne le foncier. Je milite fortement, et je ne suis sans doute pas le seul ici, pour que nous retouchions le dispositif des plus-values de cessions foncières. Allez-y ! Tout ce qui ira dans ce sens contentera le ministre du logement – même si je ne suis pas certain que cela contentera tous les ministres. Le foncier nécessite une action très forte et il faut y travailler.

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