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Intervention de Patrice Vergriete

Réunion du mardi 12 décembre 2023 à 17h15
Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Patrice Vergriete, ministre délégué :

Le débat sur le rôle du maire dans l'attribution des logements locatifs sociaux est ouvert et je crois que nous ne devons pas nous interdire d'aller plus loin et de réfléchir aussi au rôle du logement social.

Dans le cadre de la loi « logement », on pourrait ainsi envisager de faire une place aux travailleurs clés, à ceux qui travaillent dans les services essentiels et dont le logement est à 50 ou 80 kilomètres de leur lieu de travail. Vous avez peut-être lu comme moi qu'à la RATP, l'absentéisme est proportionnel à la distance entre le domicile et le lieu de travail des agents. Depuis soixante-dix ans, le modèle de développement territorial qui prévaut est celui de la ville du pétrole pas cher, qui a pour conséquence d'éloigner les gens de leur emploi, de les rendre dépendants du prix du carburant et de leur imposer un rythme de vie absolument insupportable.

Demain, le logement social pourrait contribuer à rapprocher les travailleurs des services essentiels – soignants, conducteurs de la RATP, fonctionnaires, etc. – de leur lieu de travail. Songez au serveur du café d'en face, qui a une coupure dans son service entre quinze et dix-huit heures, mais qui met une heure et demie pour rentrer chez lui... Peut-être faut-il faire évoluer le mode d'attribution des logements sociaux en intégrant un quota de travailleurs clés, qui pourrait être fixé localement par l'Autorité organisatrice de l'habitat, en contrepartie de la construction de logement social. Selon moi, les maires ne seraient pas forcément opposés à ce qu'il y ait davantage de travailleurs clés, donc de mixité, dans le logement social. Le débat est ouvert et il est politique : je vous invite à réfléchir, non plus seulement aux moyens, mais aussi aux objectifs du logement social. Qui souhaite-t-on y héberger ?

Une fois défini l'objectif du logement social, se pose la question du rôle du maire. J'ai entendu plusieurs hypothèses, qui sont autant de pistes de travail. Certaines associations d'élus disent qu'il faudrait réserver la première attribution aux maires ; ce serait une façon de donner une prime à ceux qui jouent le jeu. D'autres disent que le maire devrait avoir un droit de veto sur les attributions. Je suis ouvert à toutes les propositions sur le sujet.

Comme vous, je constate la difficulté des rénovations énergétiques en site classé. J'en ai parlé à ma collègue Rima Abdul-Malak, car il est essentiel que les architectes des bâtiments de France contribuent à la rénovation énergétique. C'est un enjeu pour les habitants, mais aussi pour les collectivités locales, qui ont beaucoup de patrimoine classé. Il faut travailler avec la ministre de la culture pour sensibiliser davantage les architectes des bâtiments de France à la question de la rénovation énergétique. Ce n'est pas évident, car il peut y avoir des réactions épidermiques entre les tenants de la préservation du patrimoine et les acteurs de la transition écologique. Nous pourrons revenir sur la question des arrêtés de péril lorsque nous examinerons le projet de loi relatif aux copropriétés dégradées, même s'il est d'ores et déjà possible d'obtenir une dérogation pour que l'Anah assume 100 % des dépenses avant même la publication de l'arrêté.

J'en viens à l'hébergement d'urgence. Je ne crois vraiment pas que le vote d'hier soit une bonne chose. La loi « immigration » prévoyait la régularisation des travailleurs ; or on estime que les étrangers en situation irrégulière représentent 60 % des personnes accueillies en hébergement d'urgence et qu'un tiers à la moitié d'entre eux travaille. Si la loi « immigration » était passée, je pense qu'elle aurait en grande partie réglé le problème de l'hébergement d'urgence.

Nous avons déjà annoncé plusieurs dispositions qui vont renforcer le dispositif : outre les 203 000 places, nous allons renforcer le 115, avec 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires, ainsi que la veille sociale et le Samu social. Je ne crois pas que c'est en ajoutant régulièrement 10 000 places en hébergement d'urgence qu'on réglera le problème. J'ai reçu hier les associations concernées et nous avons longuement évoqué le problème structurel qui se pose.

Depuis 2017, on a lancé le Plan pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme, avec un succès que toutes les associations reconnaissent, puisqu'il a permis à 440 000 personnes de retrouver un logement. De 10 00 places supplémentaires en 10 000 places supplémentaires, on est passé de 93 000 à 203 000 places d'hébergement d'urgence. Je crois qu'il faut désormais s'attaquer au problème structurel. Si l'on continue d'augmenter le nombre de places, le système ne suivra pas, parce qu'on n'arrivera plus à recruter assez de travailleurs sociaux. Les associations elles-mêmes disent que les travailleurs sociaux perdent déjà le sens de leur travail, avec cet effet de masse.

Le problème, c'est que 63 % des personnes hébergées à l'hôtel y sont depuis plus de deux ans, et 43 % depuis plus de trois ans. Dans « hébergement d'urgence », il y a urgence : il faut absolument se donner les moyens d'en faire sortir les gens. Certaines familles vivent à l'hôtel depuis cinq ans, parfois même depuis plus de dix ans ; des enfants font leur scolarité à l'hôtel : ce n'est pas acceptable. Je ne nie pas qu'il faut faire face au problème conjoncturel et à l'urgence, mais il importe aussi d'engager une réforme structurelle : il faut absolument lier les deux. La stratégie qui a consisté à ouvrir 10 000 places de plus, année après année, a mené à une impasse. Ce que j'ai dit hier aux associations, c'est que des personnes qui sont depuis plus de deux ans en hébergement d'urgence devraient pouvoir faire valoir leur droit à un logement (Dalo) de façon prioritaire : le premier logement social qui se libérerait serait pour eux. On pourrait tout à fait envisager d'accélérer les procédures préfectorales dans ce cas.

Vous évoquez les collectivités locales. Je suis moi-même le président d'une communauté urbaine où vivent 1 300 à 3 000 migrants. Je mets constamment des gymnases à leur disposition ; je le fais en ce moment même, gratuitement, et je ne demande rien à l'État. C'est aussi la responsabilité des maires : parce que c'est la compétence de l'État, les maires ne devraient rien faire ? L'élu local aussi est partie prenante de la solidarité et des valeurs de la République. Je suis très agacé quand j'entends certains opposer ainsi l'État et les collectivités locales sur les valeurs de la République. Hier, j'ai proposé aux associations d'expérimenter avec certaines collectivités locales, dans certains territoires, une réforme structurelle de l'hébergement d'urgence. Il faut que nous travaillions ensemble. Les associations se sont engagées à me dire en toute transparence qui est accueilli en hébergement d'urgence : c'est important, car nous manquons de données à ce sujet. Qu'il n'y ait pas de méprise : je suis pour l'inconditionnalité de l'accueil, c'est notre fierté française et je ne la remettrai jamais en cause, mais il faut réformer structurellement les choses.

Vous me parlez de passoires thermiques, mais l'aide à la rénovation énergétique n'a jamais été aussi importante qu'en ce moment. Pour les ménages très modestes, 90 % des travaux sont pris en charge dans le cadre de MaPrimeRénov', et si les collectivités locales prennent à leur charge les 10 % restants, les ménages très modestes ne paient rien pour rénover leur logement. On ne peut pas dire que les aides à la rénovation énergétique n'existent pas ! Par ailleurs, à partir du 1er janvier 2024, des mesures particulièrement généreuses que vous avez votées dans le cadre du projet de loi de finances vont entrer en vigueur. Et, pour l'adaptation au vieillissement, on vient de créer MaPrimeAdapt' qui, en général, est également complétée par les collectivités locales – départements, communautés urbaines, communes.

S'agissant des logements vacants, les réquisitions qui ont eu lieu dans les années 1990 et 2000 ont globalement été des échecs et tout le monde est revenu dessus. Mais il y a désormais le plan national de lutte contre les logements vacants. Dans mon territoire, on a la liste de tous les propriétaires de logements vacants et on les appelle un par un. Or on s'aperçoit que ce sont souvent des gens qui ne connaissent pas les dispositifs existants, comme Loc'Avantages. Nous travaillons avec eux et je peux vous dire que nombre de logements vacants reviennent ainsi sur le marché. La ville de Paris a lancé récemment un grand plan de lutte contre la vacance : c'est une très bonne chose. Les communes peuvent lancer de tels plans et l'État les accompagne.

Pour les étudiants, la création de 35 000 logements sociaux d'ici à la fin du quinquennat, dont 8 000 à la rentrée prochaine, vient d'être annoncée. Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2024 a introduit des mesures favorisant le logement locatif intermédiaire dans les résidences gérées. Cela signifie qu'il y aura demain des résidences étudiantes en logement locatif intermédiaire, à un prix inférieur de 15 % à celui du marché. Certains investisseurs s'y intéressent déjà. Selon leurs moyens, les étudiants auront donc désormais le choix entre le logement social ou intermédiaire étudiant et le privé.

Une part de la question relève aussi de l'aménagement du territoire et de l'organisation des universités. Une université peut très bien délocaliser une partie de ses formations dans des villes moyennes, où le loyer est moins cher. L'université d'Angers est en train de discuter avec le maire de Laval pour y décentraliser certaines de ses formations : ce serait une bonne chose à la fois pour Laval et pour les étudiants, qui dépenseront 200 euros de moins chaque mois.

S'agissant du foncier, je pense comme vous, madame Ferrari, que nous devons y travailler davantage, donner plus de moyens aux collectivités et aux établissements publics fonciers (EPF), en veillant à ce que les petites villes puissent disposer d'un tel établissement, et avancer en matière de droit de préemption et autres. La future loi doit comporter davantage d'outils pour agir sur le foncier, enjeu majeur pour l'avenir, notamment dans le cadre de la production de logements.

Comme vous aussi, il m'attriste de voir que le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes puisse vouloir faire perdurer le modèle de développement territorial développé depuis soixante-dix ans, qui a placé certains de nos concitoyens dans une situation très difficile de dépendance aux carburants. Contrairement à lui, je pense qu'il est temps de s'engager dans la transition écologique.

L'évolution des critères du DPE m'inspire deux réflexions. Tout d'abord, il me semble indéniable que les petites surfaces sont pénalisées par le mode de calcul – une réflexion a été engagée avec les services de Christophe Béchu pour tenter de corriger cet effet. Ensuite, j'estime que nous devons dépasser ces débats sur le DPE, c'est-à-dire sur le thermomètre : il fait chaud et il y a urgence, ne perdons pas de temps à épiloguer pour savoir s'il fait 38 ou 39 degrés. La loi « climat et résilience » a prévu le DPE, qui reste un bon outil. Utilisons-le et faisons avancer la rénovation énergétique car, sans elle, je doute qu'un logement actuellement classé parmi les passoires thermiques soit tout à coup considéré comme très confortable et bien isolé. À un moment, il faut y aller. Vous devez, tout comme moi, être attristés et désolés par les résultats de la COP28 à Dubaï. Essayons au moins de faire en sorte que notre pays porte un peu plus haut le flambeau de la transition écologique.

Vous avez évoqué un autre sujet qui reviendra très certainement lors de nos débats sur la future loi : l'acceptabilité de la construction pour la population. Il fut un temps, une partie de la population avait une forme d'hostilité à l'égard de la construction de logements sociaux ; actuellement, cette hostilité se manifeste à l'égard de toute construction, ce qui interpelle sur le plan démocratique et politique. D'aucuns diront que ce n'est pas récent, mais le phénomène évolue dans un sens qui n'est pas celui du vivre-ensemble, dirais-je pour aller vite.

Il faut certes revoir le modèle économique de la production de logements, notamment de logements sociaux, pour les communes. Cependant, la solution ne réside pas seulement dans une aide aux maires bâtisseurs : il faut aussi entendre ceux de nos concitoyens qui contestent la densité urbaine croissante. Comment concilier un modèle de développement territorial fondé sur la transition écologique, et donc sur une limitation de la consommation foncière, avec une acceptation de la forme urbaine ? Tous les maires et présidents d'agglomération se posent la question au quotidien. Nous devons pousser la réflexion pour appréhender de manière plus fine ce sujet auquel nous ne pourrons échapper. La nature en ville n'est pas incompatible avec la densification, comme en témoignent les expériences réussies dans de nombreuses villes. Il faut avoir une vraie réflexion sur l'urbanisme à un moment où la question du cadre de vie pose de façon nouvelle, notamment au sein des métropoles.

J'en viens à l'accompagnement de l'État, que je n'avais pas évoqué dans ma présentation liminaire. Dans le cadre de la décentralisation de la politique du logement, l'État doit évidemment rester garant de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (loi SRU) dont vous connaissez maintenant le bilan triennal, mais probablement aussi de l'hébergement d'urgence et de l'APL. Ce texte n'est pas un prétexte à refiler le mistigri aux collectivités locales. Cela ne signifie pas que ces dernières n'ont pas un rôle à jouer dans la répartition des places en hébergement d'urgence. On pourrait ainsi demander à l'AOH d'établir un schéma d'organisation des places d'hébergement d'urgence à l'échelle de l'agglomération. Pourquoi ce qui existe pour les gens du voyage ne pourrait-il pas être envisagé pour l'hébergement d'urgence ? L'État conservera évidemment un rôle majeur en ce qui concerne le livret A, la TVA, les produits du logement social et la fiscalité, en particulier la fiscalité locative qui fait l'objet d'une mission qui vous a été confiée, madame Ferrari. Il restera garant et responsable du modèle économique du logement.

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