Monsieur le président, je tiens à saluer la contribution que représente votre rapport, sur lequel nous pourrons nous appuyer.
Le logement connaît en effet une crise, qui est à la fois conjoncturelle et structurelle. Vous avez repris mes mots pour évoquer une triple crise qui est à la fois une crise conjoncturelle, provoquée par la hausse des taux d'intérêt et des coûts de construction, et une crise conjoncturelle, qui se situe à une autre échelle. On voit bien qu'avant même l'augmentation des taux et des coûts de construction, certains déséquilibres étaient déjà apparus de très longue date dans la politique du logement : il s'agissait de déséquilibres économiques, avec des prix immobiliers qui ont totalement décroché du pouvoir d'achat des ménages à partir de l'année 2000, de déséquilibres sociaux, avec la concentration des plus démunis dans les mêmes quartiers et des enjeux liés à l'hébergement d'urgence, et de déséquilibres environnementaux, comme on le voit avec la consommation foncière excessive dans certains territoires ou avec les enjeux de la rénovation énergétique.
Cette crise exigeait donc à la fois des réponses de court terme et une profonde transformation de la politique du logement. Comme vous l'avez dit, des premières mesures ont été prises dans le projet de loi de finances, dont le PTZ. Des engagements forts ont également été pris en faveur de la rénovation énergétique des logements, avec une augmentation inédite de MaPrimeRénov' et la création de MaPrimeAdapt' pour l'adaptation des logements au vieillissement. A également été annoncé le pacte de confiance avec le mouvement HLM qui, dans les grandes lignes, permet de tenir à la fois l'objectif de rénovation énergétique du parc social, avec notamment une enveloppe de 1,2 milliard d'euros sur trois ans, et l'objectif de production, avec des prêts particulièrement bonifiés de la Caisse des dépôts, déjà disponibles pour les bailleurs sociaux. Quant au fonds de 1,2 milliard, un premier volet de 400 millions sera débloqué des 2024, comme indiqué dans le projet de loi de finances : cela répond à la question du timing.
Il ne s'agit pas aujourd'hui de citer toutes les mesures qui figurent dans le projet de loi de finances, mais celles que je viens de citer constituent une première réponse. Du reste, le projet de loi de finances n'est pas achevé à ce stade.
L'objectif était également d'enclencher une refondation de la politique du logement, ou du moins de ses instruments, afin de pouvoir répondre à une crise beaucoup plus structurelle. Plusieurs supports devraient permettre de faire évoluer cette politique.
Ainsi, l'Assemblée nationale débat actuellement de la proposition de loi de Mme Annaïg Le Meur et M. Inaki Echaniz sur les meublés touristiques, qui vise à permettre aux maires de réguler efficacement ce marché. Dans la commune de Dunkerque, par exemple, que je connais particulièrement bien, le nombre de meublés touristiques a augmenté de 47 % en deux ans. Les maires doivent donc avoir à leur disposition un outil de régulation que les communes menacées par l'attrition du nombre de logements à cause de la multiplication des meublés touristiques pourraient utiliser, tandis que d'autres communes, qui considéreraient au contraire cette multiplication comme une aubaine, pourraient ne pas en faire usage. Il s'agit donc de mettre dans la boîte à outils des élus locaux un nouveau dispositif de régulation – j'y reviendrai tout à l'heure lorsque nous évoquerons la décentralisation de la politique du logement.
Une proposition de loi de M. Romain Daubié sera également examinée prochainement, portant sur la transformation de bureaux en logements.
J'ai, quant à moi, présenté ce matin en conseil des ministres un projet de loi sur les copropriétés, qui arrivera à l'Assemblée dans la semaine du 22 janvier et vise à simplifier et à accélérer les dispositifs permettant de traiter les copropriétés dégradées et l'habitat indigne. Ce projet de loi s'appuie pour une grande part sur le rapport commandé à Mathieu Hanotin et Michèle Lutz, qui rappelle, s'il en était besoin, que plus on tarde à intervenir sur une copropriété dégradée ou un habitat indigne, plus il est difficile de remonter la pente. Ce projet de loi donnera davantage d'outils aux opérateurs et aux collectivités locales pour prévenir à temps de la dégradation de ces copropriétés dégradées et faciliter les expropriations le plus en amont possible en cas de dégradation. L'habitat indigne concerne un million de personnes : l'enjeu est donc de taille et ce problème concerne la vie au quotidien.
Une mission parlementaire sur la fiscalité locative a été confiée à Mme Marina Ferrari et Mme Annaïg Le Meur. Au-delà de la question de justice fiscale que posent notamment les meublés touristiques, il se trouve que le locatif privé représente un quart du parc français de logement : la fiscalité locative doit donc permettre de développer l'investissement dans ce secteur. Le rapport de vos deux collègues aura ainsi la responsabilité de répondre aux enjeux de justice fiscale et d'efficacité économique dans le domaine du logement, tout en veillant à l'équilibre de l'investissement locatif privé entre le neuf et l'ancien.
La loi sur le logement évoquée par M. le président ne devrait être présentée en conseil des ministres qu'en mai ou juin, afin de nous laisser le temps de procéder d'ici là à de larges concertations avec les élus locaux. Cette loi abordera diverses perspectives, dont celle de la décentralisation de la politique du logement, qui peut être une réponse à la question de la crise structurelle du logement.
D'abord, la diversité des marchés du logement dans les différents territoires est un constat évident : il n'y a plus grand-chose de comparable entre l'agglomération parisienne et Vesoul, Lunéville ou Montluçon. Cette différenciation territoriale n'a jamais été aussi marquée et elle appelle des réponses adaptées à chaque territoire.
En outre, cette différenciation ne fera que s'accroître dans les prochaines années, en raison notamment du changement climatique. Je vous laisse imaginer la différence sur le marché du logement, ne serait-ce qu'en termes de normes de construction, entre la situation à Nîmes, où le logement sera confronté assez régulièrement à des températures de plus de 50 degrés, et à Dunkerque, où il sera exposé trois fois par hiver à des vents de plus de 150 kilomètres à l'heure : adapter le patrimoine de Nîmes à de telles tempêtes ou le logement de Dunkerque à des températures de plus de 50 degrés serait coûteux et ne serait guère utile.
Ensuite, certains éléments de la politique du logement doivent désormais être traités au plus proche de la population. C'est le cas notamment de la rénovation énergétique – mais je pourrais prendre également l'exemple de l'adaptation au vieillissement. De fait, à l'échelle d'un monogeste, comme le remplacement d'une chaudière, l'intervention au niveau de l'État peut être relativement efficace, à l'instar de la prime à la casse pour les voitures, mais ce n'est pas le cas pour une rénovation globale – qui est précisément l'ambition affichée aujourd'hui, puisqu'il n'y aurait guère de sens à installer des pompes à chaleur dans des logements classés G. De telles opérations exigent du sur-mesure, du cousu main : il faut se rendre dans chacune des maisons concernées, recruter des diagnostiqueurs et des accompagnateurs Rénov, repérer le marché des entreprises et accompagner ces dernières. Ce pilotage très fin de la politique de rénovation énergétique sera certainement mieux fait au niveau local par des élus locaux qui appellent pratiquement tous les habitants de leur territoire par leur prénom. Identifier pour la politique du logement un chef de filât beaucoup plus proche de la population serait donc beaucoup plus efficace.
La décentralisation de cette politique suscite quatre grandes questions, auxquelles nous devrons répondre dans le chapitre correspondant de la loi « logement ».
La première question est celle du niveau territorial du chef de file – ou « pilote » ou « pivot » – de la politique du logement, et qui devra en porter la première responsabilité. Parmi les associations d'élus locaux, des convergences s'expriment à cet égard : si la métropole, les communautés urbaines et les comités d'agglomérations ont une certaine légitimité pour jouer ce rôle, la question se pose au niveau des communautés de communes. L'hypothèse que vous avez évoquée et selon laquelle cette compétence pourrait leur être confiée sur la base du volontariat ou, à défaut, transférée aux départements, est une piste réelle et sérieuse. Nous avons six mois pour trancher cette question dans la discussion avec les associations d'élus locaux.
La deuxième et la troisième questions, qui sont intimement liées, portent respectivement sur les ressources et les compétences. De quelles ressources doit demain disposer l'autorité organisatrice de l'habitat au niveau territorial qui aura été identifié à la question précédente ? Doit-il s'agir d'un nouveau levier fiscal, d'un transfert des moyens de l'État, ou des deux, selon les compétences ? Cette question est ouverte et les réponses des associations d'élus locaux sont beaucoup plus hétérogènes. Sans doute cela donnera-t-il lieu à un long débat.
Pour ce qui est des compétences, il semble que la décentralisation de tout ce qui a trait au logement social, à l'aide à la pierre, à l'agrément, à l'autorisation de vente et de démolition et de tout ce qui touche au logement social fasse l'objet d'un relatif consensus de la part des associations d'élus locaux. Pour ce qui relève d'un traitement sur-mesure en matière de rénovation énergétique et d'adaptation au vieillissement de la population, et qui devrait sans doute être financé par un transfert de ressources de l'État vers les collectivités plutôt que par un levier fiscal, il est tout à fait imaginable que MaPrimeRénov' et MaPrimeAdapt' soient gérées par des communautés – à titre personnel, je pense même que ce serait beaucoup plus efficace.
Au-delà de ces questions, tout est ouvert et on peut tout imaginer. Si nous voulions nous amuser, nous pourrions même élargir la réflexion aux APL et à l'hébergement d'urgence, mais il n'est pas certain que cela fasse aujourd'hui consensus. Toujours est-il que, six mois avant le dépôt de la loi, nous n'en sommes pas encore au moment où il faudra faire converger toutes les positions : toutes les questions peuvent donc être discutées librement. Je suis très ouvert à toutes vos suggestions en matière de décentralisation de la politique du logement.
Une quatrième question, essentielle mais souvent négligée, est celle de la boîte à outils de la régulation du marché du logement. Ce dernier est très imparfait et a donc besoin de régulation publique, à l'échelle nationale comme locale, ce qui suppose des outils appropriés. Dans le cas des meublés touristiques, par exemple, la boîte à outils de la régulation est indispensable.
Quant à savoir ce que doit contenir cette boîte à outils, la question est posée aux associations d'élus. Les collectivités doivent pouvoir maîtriser le développement des meublés touristiques, mais on peut s'efforcer d'aller plus loin. Il serait ainsi envisageable de renforcer le droit de préemption urbain, ne serait-ce qu'en matière de lutte contre la spéculation immobilière. L'encadrement des loyers est un autre de ces outils : sera-t-il « open bar », ou conditionné à la production de logements, les collectivités devant alors prendre des engagements en ce sens ? Sans production d'offre, l'équilibre entre l'offre et la demande de production de logements ne bouge pas.
On peut aller très loin pour ce qui concerne cette boîte à outils de régulation, mais il faut également demander aux collectivités ce dont elles ont besoin pour mieux gérer demain le marché du logement et mieux trouver les équilibres locaux.
La loi « logement » ne se limite évidemment pas à la décentralisation. Elle vise aussi à réformer les outils nationaux de la politique du logement. Je pense ainsi mettre sur la table la question du modèle économique de la production du logement, souvent évoquée avec les maires. De fait, la production de logement social ne génère pas de ressources fiscales, en raison de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), mais des charges. C'est là un exemple de déséquilibre de ce modèle pour les communes françaises.
Pourrait également être abordée la question du rôle du logement social. Historiquement, le modèle français était généraliste mais, dans les faits, sans débat politique, ce modèle généraliste est devenu un modèle résiduel – en d'autres termes, on concentre les plus démunis dans les mêmes quartiers. Alors que tous les élus locaux et les bailleurs sociaux me disent leur attachement à un modèle généraliste, notre modèle de logement social est désormais résiduel. Il est donc temps d'engager un débat politique sur la mixité sociale dans le logement social, et donc de revoir le système d'attribution actuellement en vigueur, qui contribue à instaurer un modèle résiduel.
Ces questions peuvent se poser dans le cadre de la loi « logement ». Nous sommes au début d'une concertation et d'échanges avec les associations d'élus.
Permettez-moi de revenir un instant, avec un autre exemple, sur la boîte à outils de la régulation de la décentralisation. Mme Natacha Bouchart, maire de Calais, m'a récemment téléphoné pour me faire part du souhait de sa commune de lancer une grande offensive contre la vacance dans le centre-ville, et pour me demander si elle pouvait moduler la taxe sur les logements vacants. Or la loi ne le permet pas : donnerons-nous demain au maire – et pas nécessairement à l'AOH –, dans la boîte à outils de la régulation, la possibilité de débrider le taux de cette taxe sur les résidences secondaires ? Dans ma ville, le taux de résidences secondaires est inférieur de neuf points au taux moyen du département, mais je ne peux pas toucher à cette taxe, car son taux est lié à celui de la taxe foncière, à laquelle, précisément, je ne veux pas toucher. Je ne peux donc pas moduler la taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Voilà quelques exemples de réflexions en cours dans la perspective de la décentralisation de la politique du logement.