L'exercice budgétaire se révèle compliqué : entre 2020 et 2022, les finances de l'État se sont largement détériorées en raison des mesures exceptionnelles relatives d'une part à la crise sanitaire et au confinement, d'autre part à la crise de l'énergie, contre laquelle il a fallu protéger les entreprises et le pouvoir d'achat des ménages. Ces difficultés conjoncturelles et ces choix budgétaires nous ont amenés à un déficit de 171 milliards et à l'émission de 270 milliards de dette ; en 2024, le déficit sera de 147 milliards, nous emprunterons 285 milliards sur les marchés et nous paierons 51 milliards d'intérêts de la dette. On conçoit la faiblesse qu'entraîne l'évasion de telles sommes. Nous en avons débattu hier encore en commission des finances : certains soutiennent qu'elle est de bonne politique, car plus le marché est large, plus les taux sont avantageux. Ce raisonnement constitue un non-sens macroéconomique, car mieux vaudrait une souscription plus élevée et plus autocentrée. Que l'on imagine ce que ces dizaines de milliards représentent chaque année de pertes en matière de consommation, d'investissement, de richesses, d'emploi, et in fine de revenus pour les finances publiques ! Sur ce point, il convient que la discussion reprenne, et nous y veillerons.
Plus généralement, la programmation budgétaire n'est pas optimale. En ce qui concerne les recettes, le groupe LIOT, comme d'autres, estime que le Gouvernement aurait pu rechercher davantage de solutions de financement. Nous avions pourtant proposé des mesures susceptibles de rapporter des milliards sans peser sur les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME) ni sur les ménages de la classe moyenne. Ainsi, l'augmentation de deux points de la fiscalité des revenus du capital financier et l'extension de la taxe sur les transactions financières (TTF), dispositions portant essentiellement sur les plus aisés, auraient témoigné d'une ferme volonté politique d'encadrer la financiarisation de l'économie, les dérives qui en découlent, les dividendes extravagants. Associées à d'autres mesures, elles auraient en outre procuré au moins 6 milliards à l'État.
Un autre combat est celui de la réduction des dépenses : par exemple, le crédit d'impôt recherche (CIR) constitue un dispositif efficace, utile, mais trop coûteux, qu'il conviendrait d'aménager afin de mettre un terme aux indéniables effets d'aubaine. Le Gouvernement fait le choix de ne pas améliorer les recettes et d'augmenter les dépenses : en toute hypothèse, à moins d'imaginer un sursaut de croissance, il est impossible qu'il en résulte un redressement de la situation financière.
Autre point important : le Gouvernement a privé le Parlement de ses prérogatives fiscales et budgétaires. S'agissant du projet de loi de finances de l'année, recourir au 49.3 revient à confier à l'administration la gestion des affaires du pays. Privés de toute possibilité d'amendement, les parlementaires ne peuvent même plus exprimer leurs points de vue, faire valoir leurs propositions. Le débat ne demeure possible qu'en commission des finances, et encore : sachant que le 49.3 va tomber, les groupes surchargent la commission d'amendements redondants, d'autant plus vite expédiés que les délais sont contraints. Paradoxalement, le Gouvernement présente cet état de fait comme une obstruction et justifie ainsi son utilisation du 49.3. Tout cela n'est guère positif, alors même que le Gouvernement aurait pu choisir une autre voie : j'en veux pour preuve l'adoption dans cet hémicycle, sans qu'il ait été besoin de 49.3, du projet de loi de finances rectificative de fin 2022 et du projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023.
La négociation, principe de base d'un fonctionnement démocratique, reste donc possible. Pourquoi avoir déclenché le 49.3 avant même les explications de vote sur la première partie du texte ? Pourquoi n'avoir pas avoir cherché un consensus minimal ? Sans doute le Gouvernement veut-il éviter d'affronter les contre-propositions qui émergent au sein même de sa propre majorité relative. Je n'oublie pas que le groupe Démocrate a présenté en commission des amendements parfois plus radicaux que ceux de mon groupe, faisant adopter l'indexation différenciée sur l'inflation du barème de l'impôt sur le revenu, une taxe de 1 % sur les rachats d'actions ou encore le maintien en l'état du prêt à taux zéro (PTZ). De même, plusieurs députés des groupes Horizons et Renaissance ont fait des propositions judicieuses, issues de leurs réflexions et de leur connaissance concrète du terrain. Le 49.3 balaie ces dissonances tout en faisant porter le chapeau aux oppositions : c'est sans doute de bonne guerre, mais, encore une fois, bien peu satisfaisant.
Dans ce contexte difficile, le groupe LIOT s'est battu, en commission comme dans les couloirs, afin d'obtenir ce qu'il croit juste et nécessaire. Une victoire : la reconduction et l'extension du chèque carburant. En 2023, le Gouvernement a créé un dispositif temporaire visant à aider les Français qui utilisent leur voiture pour se rendre au travail. Il était limité à la moitié des ménages ; le manque de communication ayant entraîné un non-recours massif, seuls 4 millions des 10 millions de bénéficiaires potentiels ont encaissé cette aide. En 2024, grâce à notre action, plus de 1,5 million de travailleurs supplémentaires profiteront de ce chèque, que nous ne souhaitons naturellement pas conditionner à un prix donné du carburant à la pompe. D'ailleurs, je tiens à remercier la Première ministre et Thomas Cazenave de leur écoute sur ce point – bien qu'elle ait quelquefois été relative.
Autre progrès à l'actif du groupe LIOT : la suspension de la redevance sur la consommation d'eau potable payée par les particuliers à Mayotte. Nous regrettons toutefois que l'archipel guadeloupéen ne bénéficie pas de cette disposition, comme cela aurait été légitime.
La suppression du malus écologique pour les services départementaux d'incendie et de secours (Sdis) a fort heureusement été préservée, et les plafonds des taxes affectées aux chambres de commerce et d'industrie (CCI), chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) et chambres d'agriculture augmentés, quoique leur contribution à l'effort budgétaire collectif reste prégnante.
Je salue évidemment la rédaction finale de la réforme des meublés de tourisme et du dispositif relatif à la libération du foncier – soit dit en passant, la Corse est soumise à des contraintes démographiques et sociétales particulières, et les mesures prises en la matière ne peuvent généralement s'y appliquer telles quelles, la spéculation immobilière désorganisant profondément la vie économique et sociale.
Le futur zonage France ruralité revitalisation est également important, de même que la hausse de 100 millions d'euros de la DGF et l'abondement du fonds d'aide pour les départements. Nous avons poussé pour l'augmentation des moyens de l'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD), obtenu des dispositions en faveur de la Guadeloupe, de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que le bénéfice de la dotation particulière relative aux conditions d'exercice des mandats locaux (DPEL) pour les communes de moins de 1 000 habitants. Enfin, il convient de citer la reconduction de la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (Crim), adoptée dans la rédaction du rapporteur général.
Je rappellerai cependant deux grandes déceptions : d'une part, la réduction d'impôt dont bénéficient les résidents des Ehpad n'a pas été transformée en crédit d'impôt ; d'autre part, la hausse des crédits destinés à la revalorisation et à l'augmentation des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH), souhaitée par ma collègue Béatrice Descamps, a disparu. En commission, ces dispositions avaient été adoptées à une large majorité ; vous ne les avez pas retenues.
J'exprimerai en revanche ma satisfaction, en tant qu'élu de la Corse, de constater que vous avez partiellement pris en compte les surcoûts qui affectent les transports entre l'île et le continent, par l'attribution d'un complément de dotation de continuité territoriale (DCT). Sur le fond, il conviendrait du reste de mettre à plat les dispositifs fiscaux accumulés au fil du temps, qui s'enchevêtrent et ne sont pas dépourvus d'effets pervers, et de les remplacer par un système unique, à la fois fiscal, social et de développement : c'est là une demande que nous réitérons sans cesse.
Plus largement, le Président de la République s'est engagé, il y a quelques semaines, au sujet de l'autonomie de la Corse. Je veux le redire, cette évolution institutionnelle ne répond pas à un besoin de se singulariser : elle peut constituer une réponse plus adaptée que le cadre actuel aux problèmes économiques, sociaux, culturels, historiques, que rencontrent les Corses. Néanmoins, elle suppose une définition claire des compétences transférées et l'indispensable maîtrise de leur financement. Il importe de régler cette question, et pour cela de renouer le fil du processus de Beauvau.
Voilà les quelques remarques que nous tenions à formuler. En résumé, ce budget, même amélioré à la marge, demeure imparfait ; nous regrettons de surcroît la méthode qui a présidé à son élaboration et souhaitons à l'avenir des débats budgétaires qui respectent les prérogatives de notre assemblée, dans l'esprit de la démocratie.