Intervention de Sophie Taillé-Polian

Séance en hémicycle du samedi 16 décembre 2023 à 18h30
Motion de censure — Discussion et vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSophie Taillé-Polian :

Nous avons assisté jeudi au vingt et unième recours au 49.3 depuis le début de la législature. Cela signifie que le Gouvernement gouverne seul, isolé comme dans une forteresse assiégée, sans le Parlement, sans les corps intermédiaires, sans les élus locaux, sans le peuple. Ultime fantasme d'une élite qui se croit éclairée, alors qu'elle participe à faire renaître les ombres du passé, persuadée qu'elle est seule à savoir ce qui est bon pour le peuple et qu'elle peut avoir raison contre lui.

Vous rejetez sur l'opposition la responsabilité du blocage de la France, mais vous en êtes les seuls auteurs. Vous nous avez même accusés, avec l'adoption de la motion de rejet de votre projet de loi sur l'immigration, de refuser le débat. Cependant, si vous aviez voulu le débat, vous auriez cherché à composer avec celles et ceux qui ont appelé à voter pour vous au second tour de la présidentielle, et dans tant de circonscriptions aux législatives. Bien au contraire, vous adoptez une logique opposée à la nôtre. Coincés dans vos certitudes et vos dogmes ultralibéraux, vous ne voyez comme issue qu'une pratique solitaire et autoritaire du pouvoir.

Bien sûr, nous aurions voulu débattre du budget à donner à la France. Que signifie ce budget pour le quotidien des Français ? Il coûtera 2 700 postes de professeurs dans les écoles, collèges et lycées de nos enfants, qui souffrent déjà tant des absences non remplacées et des classes surchargées.

Il coûtera un lit et un abri pour la nuit aux milliers de gosses à la rue, en raison du gel du budget de l'hébergement d'urgence, malgré toute une société civile mobilisée.

Il coûtera aux victimes du dérèglement climatique les conséquences de votre inaction : sécheresse, inondations et autres tempêtes, parce que, coincés dans vos certitudes, vous n'écoutez même plus vos soutiens de la première heure, alors que le rapport remis par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz à Mme la Première ministre le 22 mai 2023 sur « Les incidences économiques de l'action pour le climat » exposait en détail ces questions. Nous aurions voulu débattre de la taxe sur les infrastructures de transport de longue distance ou de la réforme des redevances des agences de l'eau pour laquelle, in extremis, vous avez battu en retraite face au lobby de l'agro-industrie.

Nous aurions voulu débattre du nouveau paradis fiscal pour des fédérations sportives internationales gavées d'argent des médias privés, ou encore de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus revue à la hausse, d'abord défendue par le groupe Écologiste et la NUPES à l'Assemblée, puis votée par vos amis centristes au Sénat.

Le plus grave dans cet isolement, au fil des 49.3 qui s'enchaînent, c'est que vous entraînez dans votre chute la démocratie tout entière, car le débat parlementaire est au cœur du modèle républicain de la démocratie représentative. Madame la Première ministre, chaque fois que vous montez à la tribune pour mettre fin aux débats parlementaires, vous affaiblissez un peu plus la démocratie.

À chaque promesse de grand débat, de plan « banlieue », de CNR (Conseil national de la refondation), qui accouchent tous d'une souris, votre politique d'affaiblissement démocratique se poursuit et prépare le lit d'une extrême droite qui n'attend que l'effondrement du cadre républicain pour prendre le pouvoir et ne plus le lâcher.

Cependant, ce mépris de l'Assemblée nationale ne s'exprime pas seulement à travers cette suite insensée de 49.3. Vous avez d'autres moyens de fouler aux pieds nos débats et nos délibérations lorsqu'ils ne vous conviennent pas. J'en veux pour preuve la législation européenne sur la liberté des médias.

En janvier dernier, à l'Assemblée nationale, nous avons débattu, sur proposition de Soumya Bourouaha, et nous avons adopté, avec le soutien de la minorité présidentielle, une résolution portant la voix de la France dans le débat sur cette législation. Nous avons ainsi demandé au Gouvernement de défendre absolument et sans équivoque le secret des sources des journalistes.

Et qu'apprend-on ? Grâce à une enquête de Disclose et à une note du ministère de l'intérieur révélée par Reporters sans frontières, on sait que le gouvernement français exige, à l'échelon européen, aux côtés des représentants du gouvernement hongrois, qui espionne ses journalistes, d'établir une clause d'exclusion des questions de sécurité nationale et de défense de la protection du secret des sources. C'est cette clause qui a valu à la journaliste Ariane Lavrilleux une perquisition à son domicile par des hommes lourdement armés et qui a permis que son appartement et ses outils de travail soient fouillés, que son téléphone soit saisi.

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