Je tiens tout d'abord à remercier le Président de notre commission pour avoir bien voulu s'associer à ma démarche et inscrire à l'ordre du jour ce sujet si important.
Comme vous le savez, suite au passage de la tempête Ciaran et à des épisodes pluvieux intenses et continus, la région des Hauts-de-France dont tout particulièrement le Pas-de-Calais, subit des inondations exceptionnelles. Plusieurs centaines de communes sont sous les eaux. On compte 200 000 habitations, commerces, bâtiments et entreprises sinistrés et plus de 200 établissements scolaires contraints à la fermeture, des milliers d'hectares de culture perdus, des milliers de personnes déplacées. Bref, une immense catastrophe qui n'en est pas à son terme puisque la décrue est extrêmement lente avec des terres gorgées d'eau qui n'absorbent plus.
Permettez-moi de vous livrer ici mon vécu personnel de cette catastrophe dans ma circonscription du Boulonnais : le tiers des communes a été submergé par la rivière Liane, à ce jour toujours pas rentrée dans son lit. Un exemple de désastre industriel, la SIB, très importante imprimerie, a vu ses ateliers ravagés et ses machines mises hors d'état. Les compagnies d'assurances évaluent l'ensemble des dégâts à plus de 650 millions d'euros. En réalité elles vont probablement dépasser le milliard, bien qu'il faudra attendre un an pour pouvoir chiffrer toutes les conséquences de ces inondations.
La région Hauts-de-France a décidé de prendre en charge les franchises prévues dans les contrats des sinistrés et le gouvernement de classer les évènements en « catastrophe naturelle » et en « calamité agricole ». Tout cela malheureusement ne peut suffire à reconstruire en zones inondées les routes, les ponts, les écoles, les bâtiments industriels – digues et systèmes de pompage. C'est pourquoi j'ai demandé à notre Ministre des Affaires européennes, par un courrier officiel, et à nos élus du Parlement européen de se mobiliser pour obtenir de Bruxelles le soutien du Fonds de Solidarité de l'Union européenne (FSUE), l'activation de l'instrument d'aide d'urgence et de tout outil financier qui pourrait venir en aide à nos territoires.
D'après les informations fournies par les ministères concernés, les dommages directs doivent être supérieurs à 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) de cette région. Pour le Nord-Pas-de-Calais, cela représente un seuil de 1 706,67 millions d'euros. Le ministre de l'Intérieur a confié une mission d'évaluation du coût précis de cette catastrophe naturelle au Préfet de Région. Ce n'est qu'une fois le montant connu qu'il sera possible de déterminer si le fonds FSUE est activable. Si la catastrophe concerne plusieurs régions, le seuil est appliqué au PIB moyen de ces régions (ce dernier est pondéré en condition de la part du total des dommages occasionnés dans chaque région). Des échanges sont donc en cours avec la Belgique et les Pays-Bas.
Je souhaite que nous puissions nous mobiliser collectivement face à la catastrophe. C'est le premier objectif de la communication et de l'avis politique que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui. Il faut répondre à l'urgence.
Le deuxième objectif de cette communication est d'entamer une réflexion collective sur les outils de prévention, de réponse et de reconstruction face aux catastrophes climatiques et météorologiques. Les terribles inondations que nous connaissons actuellement dans les Hauts-de-France ne seront malheureusement pas les dernières. Il faut nous préparer à la multiplication des catastrophes climatiques dans les années à venir.
Dans un rapport publié en novembre 2023, l'Agence européenne pour l'environnement revient sur les conditions météorologiques extrêmes et leurs conséquences pour les populations, l'économie et l'environnement en Europe. Les conclusions, qui s'appuient sur les dernières données disponibles, sont édifiantes. On constate une croissance de cinq grands phénomènes météorologiques extrêmes qui semblent selon le rapport « devenir la nouvelle norme » : vagues de chaleur, inondations, sécheresses, incendies de forêt et propagation des maladies sensibles au climat.
Les coûts humains et financiers de ces catastrophes climatiques sont considérables. Les pertes « annuelles moyennes dues aux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans l'ensemble des États membres s'élèvent aujourd'hui à 14 milliards d'euros » selon M. Lenarčič le commissaire européen à l'Aide humanitaire et à la Réaction aux crises. Les catastrophes météorologiques et climatiques ont causé 56,6 milliards d'euros de dommages en 2021. Entre 1980 et 2021, les pertes totales pour 41 années se sont élevées à 560 milliards d'euros. Les dommages liés aux inondations en Europe augmentent en moyenne de plus de 2 % par an.
Il faut bien avoir à l'esprit que les phénomènes météorologiques extrêmes vont encore augmenter en fréquence et en intensité en raison du changement climatique. Comme le souligne l'Agence européenne pour l'environnement, la fréquence des épisodes de fortes précipitations va augmenter dans la majeure partie de l'Europe, entraînant une augmentation des inondations, en particulier en Europe du Nord-Ouest et en Europe centrale. Pour ne donner que quelques exemples, les régions du centre de l'Italie ont été touchées par des inondations fluviales en septembre 2022, et le total des dommages directs a été estimé à 837 millions d'euros.
La Slovénie a également été touchée en août 2023 par la plus grande catastrophe naturelle depuis 30 ans. Une tempête et des inondations ont provoqué des dégâts importants pour l'agriculture et l'industrie agroalimentaire. Les coûts pourraient atteindre 500 millions d'euros. La Grèce a été la victime d'inondations en septembre 2023 qui ont tué 15 personnes et touché plus de 70 000 hectares de terres cultivées en Thessalie. La catastrophe agricole est estimée à plus de 2 milliards d'euros.
Alors face à la multiplication des catastrophes climatiques quelle est la réponse européenne ?
Je souhaite saluer ici l'existence du Fonds de Solidarité de l'Union européenne et du Mécanisme de protection civile de l'Union européenne qui donnent corps à l'esprit de solidarité européen.
Le Mécanisme de protection civile de l'Union européenne a été institué en 2001 pour renforcer la coopération en matière de protection civile entre les pays de l'Union européenne et neuf autres États et pour améliorer la prévention, préparation et réaction aux catastrophes. La France y participe activement et doit continuer d'y apporter son plein soutien. Cependant il ne doit pas être « surutilisé » en dehors de son objectif premier : la protection des populations de l'Union européenne et la facilitation de la solidarité d'urgence européenne vis-à-vis de pays en proie à des crises ou catastrophes majeures.
Le Fonds de solidarité de l'Union européenne a de son côté été pensé pour répondre aux situations de post-crise. C'est d'ailleurs en réaction aux graves inondations survenues en Europe centrale au cours de l'été 2002 que sa création avait été actée. Depuis, il a été utilisé après 107 catastrophes naturelles de natures différentes : inondations, incendies de forêt, tremblements de terre, tempêtes et sécheresse. Ce fonds a été largement mobilisé au profit des États membres depuis 2002 pour un total de 7,6 milliards d'euros.
La France en a été l'un des bénéficiaires (312 millions d'euros au 1er avril 2023) de même que l'Italie (3 milliards) l'Allemagne (1,6 milliard d'euros), l'Espagne (100 millions d'euros) ou la Grèce (151 millions).
Ces outils ont le mérite d'exister. Mais face à la multiplication des catastrophes naturelles, le système actuel va atteindre ses limites. Je pense que la France doit être en première ligne pour anticiper la suite.
Il faut tout d'abord répondre à l'enjeu financier. La réserve de solidarité et d'urgence ne peut suffire à compenser les conséquences des catastrophes naturelles, ce n'est d'ailleurs pas son rôle. Le montant maximal disponible pour la mobilisation du FSUE ne correspond pas au montant potentiel de l'aide devant être couverte. Il semble donc nécessaire d'envisager une augmentation des fonds de l'Union européenne et davantage de « flexibilité » pour les réaffecter en cas de besoin. Surtout, j'en appelle à ce que dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel 2021-2027 les États membres fassent le choix d'un renforcement des moyens du FSUE.
Ensuite, les outils existants doivent pouvoir être mobilisés rapidement et efficacement, de la façon la plus transparente possible. Par ailleurs, la procédure d'activation et d'affectation des fonds d'urgence en cas de crise devrait être aussi transparente que possible et menée conformément aux principes de bonne gestion financière.
À plus long terme, j'en appelle à une réflexion collective sur la prévention et la réponse à une menace qui va s'accroître dans les années à venir. Tout d'abord la distinction entre gestion de crise au sens large, protection civile, prévention et aide humanitaire et aide au développement n'est pas toujours clairement posée. Elle pourrait revenir si la création d'une agence européenne de protection civile ou d'un centre européen unique de gestion de crise en charge de l'ensemble du cycle de gestion de crise était envisagée à l'avenir. Nous devons y réfléchir collectivement.
Il est également essentiel de croiser la gestion des crises et les politiques sectorielles de l'Union européenne. Comme le souligne ma communication, la politique européenne d'adaptation au changement climatique doit prendre en compte la prévention des effets des catastrophes climatiques. Ainsi le Fonds de Transition juste, instrument financier de l'Union européenne qui relève de la politique de cohésion et vise à soutenir les territoires confrontés à des difficultés socio-économiques résultant de la transition vers la neutralité climatique, pourrait être mobilisé.
Je tiens aussi à rappeler l'importance cruciale du soutien apporté aux agriculteurs dans la réponse aux crises. Je note avec satisfaction que la Commission a validé une aide française de 500 millions d'euros pour soutenir les agriculteurs dans l'adaptation au changement climatique. Le régime d'aides d'État, approuvé par Bruxelles le 30 novembre, vise à renforcer la résilience du secteur agricole, tout en contribuant à la « sécurité alimentaire à long terme ». Cela va dans la bonne direction, il faut poursuivre les efforts en ce sens.
Par cette communication et cet avis politique, je souhaite initier une réflexion à laquelle j'espère que vous vous associerez.