Intervention de Marc Fesneau

Réunion du mercredi 6 décembre 2023 à 15h00
Commission des affaires économiques

Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire :

Je vous remercie de votre invitation ; nos échanges prolongeront ceux que nous avons eus avec les deux co-rapporteurs au mois d'octobre dernier au sujet du pacte et du projet de loi d'orientation agricole. Je souligne moi aussi le caractère inhabituel de la démarche que vous avez choisie, consistant à baliser des perspectives avant la rédaction du projet de loi. Ce faisant, vous préparez au mieux les débats que nous aurons au Parlement.

Je salue la qualité des travaux que vous avez menés et votre recherche de consensus, qui vous aura aussi permis d'identifier les dissensus entre vous. Votre travail fait écho à la concertation qu'a menée le ministère durant plus de six mois, dans les territoires et au niveau national, pour essayer de construire un pacte et un projet de loi dont l'objectif premier est d'assurer le renouvellement des générations d'agriculteurs tout en répondant à nos attentes en termes de souveraineté et de transition écologique. Plus de 1 500 propositions sont remontées du terrain ; certaines seront reprises dans la loi, d'autres dans le pacte.

En termes de méthode, nous avons appuyé les échanges de vue sur des constats factuels, pour penser ensuite les leviers des politiques publiques à actionner. Nous avons également assuré le respect de la diversité des avis, des pratiques, des solutions et des modèles et, enfin, cherché à projeter les parties prenantes à l'horizon 2040.

Cette concertation a permis de faire émerger un certain nombre de consensus. Certains ne figurent ni dans le pacte, ni dans le projet de loi mais ont déjà été reçus des réponses. Les lois Egalim, par exemple, ont permis de soulever la question du revenu des agriculteurs. Elles ne sont pas parfaites, certes, mais elles nous ont placés sur une trajectoire nouvelle s'agissant de la rémunération des agriculteurs. À cet égard, le système d'assurance récolte s'est déployé cette année dans de bonnes conditions.

Le deuxième consensus porte sur le cadre européen, sans lequel je ne crois pas que nous puissions penser l'agriculture française. En cherchant à nous isoler de tous, nous ferions une grave erreur en termes de compétitivité et risquerions de provoquer la défiance du monde agricole vis-à-vis des autres acteurs européens.

Il y a consensus également sur la nécessité d'avancer sur la transition écologique : l'agriculture ne sera pas en mesure de nourrir aujourd'hui et demain si elle ne se place pas dans cette perspective. Le premier défi est climatique et le statu quo serait la pire des choses. J'explique souvent à mes interlocuteurs du monde agricole que, si nous ne changeons rien, un certain nombre de territoires vont se trouver en difficulté.

Sur ces bases, la consultation a permis de déterminer plusieurs leviers. Je précise à ceux qui s'inquiéteraient des lacunes dans le futur projet de loi que je me suis fixé une règle très claire : ce qui relève du domaine réglementaire sera renvoyé au règlement, ce qui relève du domaine budgétaire sera renvoyé au budget. Nos lois sont parfois trop bavardes et nos réglementations trop nombreuses.

Le texte répondra d'abord à la nécessité d'améliorer l'attractivité des métiers du vivant. Nous savons tous que la difficulté première est liée à l'image que renvoie l'agriculture et, en ce domaine, nous sommes tous coresponsables : plus nous parlerons positivement de ces métiers, plus nous attirerons des jeunes. Ce n'est évidemment pas en dénigrant la profession que nous y parviendrons. Nous ferons en sorte que chaque jeune puisse bénéficier d'une action de découverte in situ – dès la rentrée 2024, pour les premiers d'entre eux –, conformément au souhait d'ouverture exprimé par le monde agricole lui-même.

Le pacte et la loi contiendront aussi des mesures visant la poursuite de la transformation de l'enseignement agricole. Ses missions seront renouvelées, pour intégrer notamment les questions liées à la transition écologique ; un bachelor « agro » sera créé ; un outil de contractualisation visant à mobiliser l'ensemble des acteurs d'un territoire servira à relancer et à ouvrir des classes préparant aux métiers de l'agriculture. Un programme national de formation de l'ensemble des acteurs qui gravitent autour de l'agriculture sera également lancé en 2025. Pour prendre le virage des grandes transitions, il faut que non seulement les agriculteurs soient formés, mais que ce souci de formation touche aussi tous ceux qui les conseillent, des chambres d'agriculture aux coopératives.

Le pacte et la loi doivent permettre par ailleurs de concevoir des systèmes de production à l'échelle des exploitations, des filières et des territoires. Pour ce faire, un réseau France Services Agriculture sera créé ; c'est l'un des points importants du projet. Ce réseau devra être ouvert à tous les porteurs de projets et accompagner les parcours d'installation et de transition dans leur diversité. Il devra être en lien étroit avec les régions, qui sont également compétentes en matière d'installation. L'idée de ce guichet est l'un des consensus ayant émergé au fil de la concertation.

Je veux également insister sur la nécessité de créer des outils pour agir en matière de foncier agricole – même si j'ai toujours dit que cette loi ne serait pas une loi foncière. Les acteurs que nous avons entendus lors de la concertation ont en effet exprimé le besoin que le sujet soit traité dans le pacte ou dans le projet de loi, mais ont également souligné qu'ils avaient besoin de stabilité législative, alors que la loi portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires (dite loi « Sempastous ») n'est appliquée que depuis le 1er janvier 2023. Avant de faire évoluer la loi, commençons par en dresser un bilan – je ne doute pas que vous le ferez.

Je connais votre impatience. Notre objectif est de soumettre le texte au débat parlementaire au cours du premier trimestre 2024. En attendant, nous pouvons avancer sur certains sujets. Ainsi, un fonds de garantie couvrant un portefeuille de 2 milliards d'euros de prêts, dont 400 millions destinés au secteur de l'élevage, favorisera l'installation de nouveaux agriculteurs. Pour sa part, le fonds de portage évoqué par la rapporteure Aurélie Trouvé pourra être déployé dès le premier semestre 2024, sans attendre la loi. Un fonds en faveur de la souveraineté et des transitions, doté de 200 millions, est aussi prévu dans le projet de loi de finances pour 2024. Il permettra d'accompagner les filières à l'échelle territoriale, en associant l'amont et l'aval. En région Occitanie par exemple, un certain nombre de filières se trouvent dans l'impasse en raison des effets du dérèglement climatique. Or, au-delà de la réponse immédiate qu'il convient d'apporter à cette crise, il faut se projeter dans l'avenir et déterminer ainsi les filières pour lesquelles il conviendra d'accompagner la transition ou celles qu'il faudra développer. Au total, c'est un effort de près d'un milliard d'euros que nous proposons de consacrer à la planification écologique, dont 250 millions seront attribués à la réduction de l'utilisation des produits phytosanitaires et 110 millions aux haies.

Il me semble important d'ajouter que le crédit d'impôt pour les services de remplacement sera revalorisé dès cette année, conformément à une demande exprimée depuis un certain temps. Ces services bénéficient plus particulièrement aux éleveurs, dont on sait qu'ils ont souvent du mal à dégager du temps pour se former.

De la même façon que ce qui ressort du réglementaire sera renvoyé au règlement, les mesures relevant de politiques publiques seront mises en œuvre dans ce cadre. L'excès de normes et de réglementation donne en effet le sentiment que nous freinons la volonté de transition plutôt que de l'accompagner.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion