Depuis deux ans, vingt-quatre mois et sept cent trente-cinq jours, les postiers sans papiers tiennent le piquet de grève devant Chronopost, sous-traitant de La Poste, à Alfortville. Depuis deux ans, vingt-quatre mois et cent cinq semaines, ils manifestent trois fois par semaine devant les préfectures du Val-de-Marne, des Hauts-de-Seine et de l'Essonne, mais aussi devant les ministères de l'intérieur et du travail.
Depuis le lancement de la mobilisation, cela représente plus de 300 manifestations. Ce sont les postiers chargés de décharger, trier et recharger des dizaines de milliers de colis dans des entrepôts, au cœur de la nuit ; ceux sans lesquels aucun de ces colis n'arriverait à destination ; ceux qui ont été en première ligne pendant le covid ; ceux que personne ne voit, mais dont tout le monde a besoin.
Que demandent-ils ? Deux choses : la fin de leur surexploitation par les sous-traitants de La Poste – Chronopost, Derichebourg, Start People, Axxis, Atalian, Partnaire et Missions intérim ; la reconnaissance du travail effectué, qui leur donne le droit d'être régularisés. Un titre de séjour, c'est la fin de la peur de la clandestinité, la lueur d'espoir de pouvoir enfin vivre une vie normale après de douloureux parcours d'exil.
Mais les employeurs ne veulent pas : un titre de séjour, ça ne leur apporte rien et il est plus facile de piétiner grossièrement le droit du travail quand les travailleurs sont vulnérables et subissent une précarité absolue. C'est ce qu'ont connu ces postiers sans-papiers et leurs soutiens : des heures non payées ou payées au lance-pierre ; le travail de nuit, loin des transports en commun ; des cadences infernales ; le manque de protections. Ils représentent la quintessence du capitalisme : une main-d'œuvre corvéable à merci.
Les sous-traitants ne leur facilitent pas la tâche et refusent de les reconnaître comme salariés, au-delà de leurs alias. Peu importent les fiches de paie, les badges, les photos dans les entrepôts, les témoignages ou les dossiers savamment constitués et étayés. La Poste a pourtant été condamnée la semaine dernière par le tribunal de grande instance de Paris, notamment pour manquement à son devoir de vigilance envers ses sous-traitants et pour travail dissimulé. Cette condamnation est un petit pas pour la reconnaissance des postiers sans papiers, mais un grand pas pour lutter contre la dilution de la responsabilité des donneurs d'ordres dans les cascades de sous-traitants. Tout cela vous le savez. L'État est actionnaire de La Poste, un groupe à capitaux 100 % publics. Vous êtes responsables.
Grâce à la dématérialisation, à l'absence de moyens donnés aux préfectures et à l'aveuglement résultant de cette obsession identitaire qui nous empoisonne, l'État fabrique des sans-papiers à tour de bras. Vous êtes responsables.
Depuis deux ans, vous refusez de reconnaître cette lutte des postiers pour préserver leur dignité et sortir de la clandestinité. Vous êtes responsables.
Précaires parmi les précaires, les grévistes d'Alfortville s'organisent, résistent et ne baissent pas la tête ; ils se mettent en grève, se battent pour leurs droits et ceux de tous les travailleurs et, surtout, ils tiennent bon.
Madame la ministre déléguée, régularisez les travailleurs sans papiers de Chronopost et tous les travailleurs sans papiers ! Ils travaillent, cotisent, payent leurs impôts et vivent avec nous. Quand cesserez-vous de détourner le regard face à leurs justes et légitimes revendications ? Quand cesserez-vous d'être dans l'illégalité et de participer sciemment à l'exploitation de travailleurs sans papiers ?