Je vous remercie, Monsieur Guilluy, pour cette présentation. Vous avez été chargé il y a trois ans, et vous l'avez vous-même rappelé, de déployer le programme d'inspiration gouvernementale « 1 jeune, 1 solution ». Lorsqu'il a été lancé, au début de l'année 2020, 12,3 % des jeunes n'étaient ni en emploi, ni en études, ni en formation ; aujourd'hui, 12,3 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. C'est donc au vu de ce résultat que le Gouvernement a souhaité appliquer désormais cette méthode au service public de l'emploi : j'imagine que nous aurons bientôt le plan « 7 millions de chômeurs, 7 millions de solutions ». Pour l'instant, cela s'appelle France Travail. Et vous avez piloté la concertation qui a précédé la création de l'opérateur. Bien sûr, vous ne sauriez être tenu pour responsable de cette expérience, à mes yeux modérément positive. Je souhaite néanmoins vous interroger sur vos intentions.
Si votre nomination est confirmée, votre arrivée à la tête de l'opérateur coïncidera avec l'entrée en vigueur de la loi dite « plein emploi ». J'aimerais donc connaître vos intentions concernant le fonctionnement de l'institution, ses agents et ses prestataires. Le Gouvernement nous a expliqué que la disparition de Pôle emploi serait sans conséquences, mais chat échaudé craint l'eau froide et l'on se souvient de ce qui s'est passé au moment de la fusion entre l'Assedic et l'Agence nationale pour l'emploi.
Avec la loi dite « plein emploi », tous les allocataires du RSA, ainsi que leur conjointe ou leur conjoint, et les personnes reconnues comme travailleur handicapé devront s'inscrire à France Travail. Comment anticipez-vous l'inscription de ces centaines de milliers de personnes supplémentaires à France Travail ? Cette tâche sera-t-elle en partie prise en charge par les conseils départementaux et, si tel est le cas, avec quels moyens humains ? Maintenez-vous l'annonce selon laquelle 300 équivalents temps plein (ETP) seraient créés chez l'opérateur France Travail, soit 0,35 poste par site ?
Au-delà de la question des effectifs, se pose aussi celle du statut des agents, et de leur précarité. Actuellement, de nombreux agents de Pôle emploi sont en CDD ; ce type de contrat représente 80 % du flux des recrutements et 8 % des agents en exercice, alors que la convention collective avait fixé un plafond à 5 %. La nécessité de former ces nouveaux agents, qui arrivent très régulièrement, absorbe une partie du temps de travail de leurs collègues, qui doivent exercer une forme de tutorat. On peine à fidéliser les nouvelles entrantes et les nouveaux entrants, car on les cantonne à des tâches d'accueil aux guichets, en vertu d'une division croissante du travail, elle-même contestable. Comment comptez-vous résorber cette précarité ? Pouvez-vous confirmer que l'ensemble des droits des agents de Pôle emploi, puis de France Travail, contenus à la fois dans le statut pour les agents publics et dans la convention collective, pour les agents de droit privé, seront maintenus, ainsi que les accords en vigueur dans l'établissement concernant le télétravail ou l'accord relatif à l'organisation et l'aménagement du temps de travail ?
Face aux agents, il y aura désormais des usagères et des usagers qui n'auront pas forcément le même profil que par le passé. Quels seront les devoirs des conjointes, conjoints, concubines et concubins des allocataires du RSA qui devront désormais s'inscrire à France Travail ? Ces personnes seront-elles contrôlées par les plateformes de contrôle de la recherche d'emploi (CRE), qui interviennent d'abord à distance, par l'envoi d'un questionnaire, puis par appel téléphonique ? Si tel est le cas, comment se déroulera le contrôle d'une personne qui est inscrite à France Travail parce qu'elle est en couple avec un bénéficiaire du RSA, mais qui travaille ? Comment se déroulera le contrôle d'un agriculteur exploitant, bénéficiaire du RSA agricole, et qui pourra, en tant que demandeur d'emploi, faire l'objet d'un contrôle aléatoire par tirage au sort ?
La loi dite « plein emploi » a instauré quinze heures minimum d'activité obligatoire par semaine pour les bénéficiaires du RSA. De quel type d'activités s'agira-t-il ? Comment pouvons-nous être certains qu'il ne s'agira pas d'une forme de travail dissimulé ou gratuit ? Je pense à ce qui a pu se passer à La Réunion, où des allocataires du RSA ont fait du réassort pour les soldes d'hiver.
Cela nous amène à la question de l'accès aux droits, que vous avez vous-même évoquée à la fin de votre intervention et sur laquelle je crois que nous pouvons tous nous retrouver. Comment comptez-vous déployer votre politique dite du « aller vers » et toucher les 30 à 40 % de personnes qui pourraient bénéficier d'une allocation mais qui ne font pas les démarches nécessaires ? Comptez-vous travailler avec l'Unedic à la détection automatique des personnes ayant perdu leur emploi ?
S'il y a des agents et des usagers, c'est qu'il y a aussi des offres d'emploi. Vous m'avez étonné quand vous avez dit que l'un de vos objectifs était la création d'emplois, car le mandat de l'opérateur public d'intermédiation n'a jamais été de créer des emplois. Son rôle, c'est d'être un intermédiaire entre des personnes demandeuses d'emploi et des offres d'emploi existantes. Comment comptez-vous vous y prendre pour que l'opérateur crée lui-même des offres d'emploi ? Cela m'intéresse ! En tout cas, en tant que directeur général de France Travail, vous serez en première ligne, s'agissant de la régulation du marché du travail. C'est une tâche que vous connaissez, puisque vous avez été le coordinateur du plan présidentiel Les entreprises s'engagent : à ce titre, vous connaissez le processus de publication, puis de diffusion des offres d'emploi. Comment comptez-vous lutter contre les offres d'emploi frauduleuses, illégales ou mensongères ?
La commission mixte paritaire qui s'est réunie pour examiner le projet de loi dit « plein emploi » est revenue sur l'un de nos amendements, alors même qu'il avait fait l'objet d'un vote unanime en séance publique et d'un avis favorable du ministre. Il imposait à Pôle emploi de contrôler la qualité des offres d'emploi. Comment allez-vous procéder, dans le cadre existant, pour réaliser des contrôles a priori de la qualité des offres d'emploi ? Depuis qu'on a mis œuvre les politiques de transparence du marché du travail en 2013, avec l'agrégation des offres depuis l'extérieur, ce contrôle a priori n'a plus lieu. J'ai apporté quelques offres d'emploi illégales que j'ai trouvées ce matin dans ma circonscription : CDD de trente-six mois, mission intérimaire de vingt-trois jours payée en dessous du Smic, offres mensongères en tout genre...
Des contrôles existent aujourd'hui à Pôle emploi, mais les moyens ne sont pas suffisamment dimensionnés et le personnel n'est pas suffisamment nombreux pour combler par son dévouement le manque de moyens. Les offres frauduleuses sont d'autant plus problématiques que les offres d'emploi ne sont plus uniquement collectées et distribuées par les agents de Pôle emploi. La loi instituant France Travail a totalement dérégulé le recours aux opérateurs privés, y compris pour détecter les ayants droit. Comment, dans ces conditions, comptez-vous analyser le bilan de ces sociétés privées à but lucratif qui se voient déléguer une partie des tâches ? Les études publiées – Behaghel, Crépon et Gurgand en 2009, Dares Analyses n° 2 en 2012 et la synthèse Éval' Dares de 2013 – montrent que l'accompagnement par les agents de Pôle emploi permet d'obtenir de meilleurs résultats. Depuis ces études, aucune évaluation n'a malheureusement été publiée. Au vu des piètres résultats des opérateurs privés, allez-vous renforcer les capacités du public ? Quelle part du budget allez-vous dédier aux opérateurs privés ? Elle sera, pour nous, toujours excessive.
Le recours à des prestataires privés extérieurs pose également la question de la cybersécurité et de la protection des données. Des amendements au projet de loi dit « plein emploi » visant à les renforcer ont malheureusement été balayés en commission mixte paritaire après leur adoption en séance. J'aimerais partager un exemple personnel. J'ai reçu le 12 septembre 2023 un courrier de la direction générale de Pôle Emploi concernant mes quatre mois d'inscription en 2018. Je vous le lis : « Suite à un acte de cybermalveillance dont un de nos prestataires a été victime » – je n'ai pourtant jamais été mis en relation avec un prestataire – « des informations personnelles vous concernant sont susceptibles d'être divulguées, notamment nom, prénoms, statut actuel ou ancien, ainsi que numéro de sécurité sociale ». Comme vous pouvez l'imaginer, j'ai quelque inquiétude de savoir mes données personnelles se promener ainsi dans la nature.
Je souhaite que notre échange soit utile à la fois aux agents qui craignent pour le contenu de leur fiche de poste, aux usagers qui craignent de ne pas être reçu en rendez-vous et aux employeurs qui craignent d'être submergés de candidatures.