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Intervention de Thibaut Guilluy

Réunion du mercredi 6 décembre 2023 à 9h00
Commission des affaires sociales

Thibaut Guilluy :

Mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur pour moi de me présenter devant vous, en tant que candidat à la direction générale de Pôle emploi. Cette audition constitue une occasion de détailler les enjeux, les priorités et les défis de Pôle emploi, qui écrira bientôt une nouvelle page de son histoire avec l'avènement de France Travail. En m'autorisant à défendre ma candidature devant vous, le Gouvernement m'honore de sa confiance et je souhaite désormais solliciter la vôtre, afin de me voir confier cette mission au service de l'objectif du plein emploi.

Par cette marque de confiance, il me semble que le Gouvernement réaffirme sa volonté de mettre en œuvre les propositions du projet France Travail, qui ont fait l'objet d'une vaste concertation avec tous les acteurs de l'emploi, de l'insertion et de la formation, puis d'un débat parlementaire de qualité, jusqu'à l'adoption définitive du projet de loi pour le plein emploi. Je crois que le Gouvernement valide également une méthode, celle de la coconstruction, que j'ai toujours défendue et qui me paraît essentielle pour parvenir à transformer Pôle emploi en France Travail et pour assurer une meilleure coopération entre les acteurs. En ce qui me concerne, enfin, cette candidature est une chance unique de poursuivre l'engagement personnel auquel je consacre toute mon énergie depuis vingt-cinq ans et qui consiste à permettre l'accès du plus grand nombre à l'autonomie et à la dignité par le travail.

Si vous le permettez, avant de détailler ma vision des priorités pour France Travail, je reviendrai brièvement sur mon parcours.

D'abord j'ai consacré plus de vingt ans de ma vie à l'entrepreneuriat social, avec toujours la même aspiration : faire en sorte que chacun puisse retrouver un emploi. Je crois fondamentalement à l'émancipation par le travail et je suis convaincu qu'il est de la responsabilité des entreprises de la favoriser. C'est ce rôle social et sociétal des entreprises que j'ai incarné dans mes différents engagements, au service bénévole d'associations comme Emmaüs, Action Prévention Sport ou Apprentis d'Auteuil, en fondant les structures d'insertion Sport sans frontières et Ateliers sans frontières, ou encore en développant pendant quinze ans le groupe Ares qui, en accompagnant près de 3 000 personnes par an, est devenu le premier acteur de l'insertion par l'activité économique en Île-de-France.

Depuis cinq ans, j'ai poursuivi cette même ambition en me consacrant aux politiques publiques, d'abord au service de la ministre Muriel Pénicaud, pour lancer le pacte d'ambition pour l'insertion par l'activité économique ou organiser l'évolution du rôle des entreprises adaptées, notamment avec la création du CDD « tremplin », dont l'expérimentation vient d'être pérennisée grâce à vous, dans le projet de loi pour le plein emploi.

Puis j'ai œuvré auprès de la ministre Élisabeth Borne pour déployer le plan « 1 jeune, 1 solution », qui a contribué à faire baisser significativement le taux de chômage des jeunes, malgré les effets de la crise sanitaire. D'une certaine manière, ce plan préfigurait la démarche de France Travail : mobiliser les acteurs publics, les associations et les entreprises et travailler ensemble au service d'une cause partagée. Ce plan, c'est pour moi la preuve que toutes les forces du pays, bien coordonnées et bien orientées, peuvent produire des résultats tangibles et concrets pour nos concitoyens et la dynamique de l'emploi. Pour favoriser la mobilisation des entreprises, il existe désormais la communauté Les entreprises s'engagent, qui a été lancée par le Président de la République et que je copréside avec Sylvie Jéhanno, directrice générale de Dalkia. Elle regroupe désormais plus de 70 000 entreprises partout sur le territoire – de la très petite entreprise (TPE) au grand groupe –, qui s'engagent concrètement en faveur de l'inclusion des jeunes, des personnes en situation de handicap, des personnes placées sous main de justice ou encore des personnes réfugiées.

Enfin, il y a un peu plus d'un an, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, Olivier Dussopt, m'a confié une nouvelle mission, celle de préfigurer France Travail par des propositions concrètes pour contribuer à l'objectif du plein emploi d'ici à 2027. C'est ainsi que pendant neuf mois, avec mon équipe, nous avons mené une large mission de concertation pour formaliser un plan d'action partagé et structuré autour de dix principes clés et de quatre-vingt-dix-neuf propositions opérationnelles, que nous avons remis au Gouvernement, aux partenaires sociaux et à l'ensemble des parties prenantes associées au mois d'avril.

France Travail, c'est une méthode : celle qui consiste à partir des idées qui marchent sur le terrain ; celle aussi de la coconstruction, avec l'exigence de remettre l'usager au centre. Nous avons donc mené plus d'une centaine de rencontres territoriales, autant d'échanges bilatéraux, ainsi que des dizaines d'ateliers collectifs pour aboutir à des propositions qui, pour la plupart, ont fait leurs preuves et répondent aux besoins des personnes, des entreprises et de celles et ceux qui les accompagnent.

France Travail, c'est aussi un pari : celui de la coopération et de l'investissement social, plutôt que d'un énième exercice de meccano institutionnel. L'ambition de France Travail, c'est avant tout une meilleure coopération entre les acteurs concernés – un principe fondateur que vous avez validé par l'adoption du projet de loi pour le plein emploi. J'en profite pour vous remercier du débat sincère, parfois animé mais toujours constructif, qui a eu lieu dans le cadre de l'examen du texte au Parlement et lors des concertations. Ce débat a permis d'améliorer le projet à bien des égards. Je pense notamment à la place confortée des partenaires sociaux dans la gouvernance, à la meilleure prise en compte des situations individuelles dans l'accompagnement proposé par le contrat d'engagement, à la situation des proches aidants, à la compétence donnée aux Cap emploi d'orienter les publics qu'ils accueillent, ou encore aux précisions apportées sur les jeunes accompagnés par les missions locales et concernés par l'inscription à France Travail.

Le texte adopté reconnaît aussi plus clairement la place des missions locales dans la mise en œuvre de la réforme et je m'en réjouis, parce que je sais le précieux travail qu'elles réalisent sur le terrain. C'est d'ailleurs pourquoi je suis attaché à renforcer la coopération avec elles, comme avec Cap emploi et tous les acteurs de l'insertion. C'est la première des conditions si nous souhaitons parvenir à construire un accompagnement adapté à chacun vers l'emploi. C'est aussi en nous organisant mieux autour des bassins d'emploi et en assurant un pilotage plus collectif des actions que nous pourrons répondre plus efficacement aux besoins des personnes, comme aux attentes des entreprises, notamment à celles des TPE et des PME.

Si vous m'accordez votre confiance, ma prochaine mission pourrait donc être d'assurer la direction de Pôle emploi, qui deviendra France Travail dès le 1er janvier, et qui sera doté de nouvelles missions pour le compte de tous, avec l'ambition de créer les conditions de la collaboration et de l'efficacité collective.

Avant de vous présenter mes priorités pour France Travail, je tiens d'abord à saluer l'actuel directeur général, Jean Bassères, qui a largement contribué à transformer la maison Pôle emploi pendant ses douze années de mandat, et avec qui j'ai eu le plaisir d'œuvrer ces dernières années à la réalisation de nombreuses actions. Son héritage est immense et constitue le socle solide sur lequel nous pouvons bâtir France Travail. Une organisation solide et territorialisée, un pilotage par la performance, la création de parcours d'accompagnement intensif, à l'instar de l'accompagnement global ou, plus récemment, du contrat d'engagement jeune (CEJ), le développement de la relation avec les entreprises, avec la constitution d'un réseau de près de 5 700 conseillers, la création plus récente des conseillers spécialisés pour l'indemnisation, ou encore la transformation digitale des services sont autant de fondations solides pour France Travail. Au-delà de son action, ce sont aussi des valeurs d'intégrité, de professionnalisme et d'engagement qu'il a su partager avec les 55 000 collaborateurs de Pôle emploi, dont je tiens à saluer l'implication sans faille au quotidien pour les demandeurs d'emploi, comme pour les entreprises. Je tiens enfin à remercier l'ensemble des membres du conseil d'administration, qui m'ont fait l'honneur de leur confiance en émettant un avis favorable à ma nomination.

Pour mettre en œuvre l'ambition de France Travail, je vois trois grandes priorités.

La première, c'est d'engager la transformation de l'opérateur pour qu'il puisse assumer ses nouvelles missions le plus efficacement possible.

En premier lieu, avec ses partenaires et en accord avec sa gouvernance, France Travail devra s'adapter aux évolutions législatives qui entreront en vigueur au 1er janvier 2025, notamment l'inscription de toutes les personnes dépourvues d'emploi à France Travail, dans le souci de ne laisser personne sur le bord de la route. Il faudra les orienter rapidement vers le bon référent d'accompagnement afin de définir un contrat d'engagement et un parcours adapté assurant leur retour le plus rapide possible vers l'emploi. Il conviendra aussi d'appliquer la nouvelle sanction dite de suspension-remobilisation et les nouvelles modalités de contrôle. Ces différentes dispositions supposeront un travail important dans les prochains mois avec les partenaires du réseau pour l'emploi, notamment la Caisse nationale des allocations familiales, les conseils départementaux, les missions locales et Cap emploi.

France Travail devra aussi assurer la mise en œuvre opérationnelle des missions pour le compte de tous. L'opérateur devra tout d'abord remplir une fonction d'appui à la mise en place des gouvernances du réseau pour l'emploi. Il s'agit ici de l'opérationnalisation et de la déconcentration des décisions, notamment avec la mise en place des comités locaux du réseau pour l'emploi et le travail de feuille de route partagée au niveau des bassins d'emploi. Pour l'opérateur, il s'agira en particulier de renforcer la culture du pilotage aux résultats, avec la capacité donnée à l'ensemble des acteurs et des gouvernances de prendre de meilleures décisions fondées sur des résultats factuels et mesurés. C'est la logique que nous poursuivons déjà avec les expérimentations et qu'il nous faudra faire monter en puissance. Je crois fondamentalement que les décisions doivent se prendre au plus proche du terrain et des usagers.

Deuxièmement, il faudra développer un système d'information plateforme et des communs numériques pour simplifier le quotidien des professionnels, des entreprises et des demandeurs d'emploi. Il faut également garantir un meilleur partage de la donnée pour tenir la promesse du Dites-le nous une fois, supprimer progressivement les charges de reporting et permettre un pilotage de l'ensemble sur la base d'indicateurs partagés. France Travail devra également accélérer ses investigations sur l'intelligence artificielle, qui risque de bouleverser nos manières de travailler.

Troisièmement, il nous appartient de favoriser l'interconnaissance entre les professionnels, de valoriser leur capacité d'initiative et d'innovation et d'accompagner la montée en compétences de chacun, grâce à la mise en œuvre de l'académie France Travail. C'est une condition nécessaire pour parvenir à réaliser les grandes transformations que nos ambitions appellent. J'ai confiance dans l'engagement de tous ses agents et je tiens à prendre soin de ceux qui prennent soin, car c'est par eux que nous réussirons.

La deuxième grande priorité, dans une logique d'efficacité et face à une conjoncture incertaine, est de mener avec la gouvernance de France Travail les actions qui présentent le plus haut rendement en termes de créations d'emplois. Il s'agit d'abord de déployer progressivement les actions du « aller vers » et l'accompagnement intensif des personnes qui en ont besoin. C'est notamment la philosophie des quinze heures d'activité au moins. Les premiers retours sur le CEJ montrent déjà qu'il a des effets bénéfiques sur le retour à l'emploi.

Comme cela a été rappelé lors des débats au Sénat, à l'Assemblée nationale, puis en commission mixte paritaire, cette intensification de l'accompagnement doit se faire en préservant la logique de personnalisation des parcours et en s'adaptant aux situations de chacun, comme le précise bien la dernière version du texte. Il convient ensuite de prospecter et d'accompagner davantage les entreprises, notamment les TPE et les PME. L'opérateur France Travail doit être demain le partenaire relations humaines de l'ensemble des entreprises qui recrutent et non plus seulement des entreprises qui le sollicitent. C'est l'un des principes du rapport de préfiguration de France Travail : aider les employeurs à recruter plus simplement et plus rapidement pour s'ouvrir à tous les talents possibles ; mieux pourvoir à tous les besoins, notamment dans les secteurs en tension ; créer, in fine, plus d'emplois durables. Dans le même esprit, il faudra poursuivre le travail aux côtés des conseils régionaux et des branches professionnelles pour relever le défi des compétences d'aujourd'hui et de demain en se mobilisant pour proposer aux demandeurs d'emploi des formations plus simples et plus efficaces pour leur retour à l'emploi. Je crois par exemple qu'un dispositif comme la préparation opérationnelle à l'emploi, dont les effets sur le retour à l'emploi sont prouvés, mériterait d'être simplifié et accéléré.

Sur ces différents objets, nous avons un enjeu de pilotage et de montée en puissance itérative. C'est d'ailleurs dans cette logique que nous travaillons dans le cadre de la préfiguration. Avec les conseils départementaux, sur l'accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), ce sont dix-huit territoires pilotes qui sont entrés dans l'expérimentation, avec déjà plus de 12 000 bénéficiaires du RSA en parcours d'accompagnement rénové et des premiers signes de satisfaction : une prise en charge beaucoup plus rapide, un diagnostic socioprofessionnel partagé qui permet une meilleure prise en compte de la situation des personnes et une accélération de l'accompagnement vers l'emploi ; des données de pilotage accessibles à tous en temps réel permettant un suivi au plus près du terrain des plans partagés de mobilisation des entreprises du territoire. Nous travaillons aussi avec les partenaires sociaux, les élus locaux et les régions, dont sept ont d'ores et déjà signé des protocoles de préfiguration de France Travail, déclinant des feuilles de route opérationnelles autour des enjeux de formation professionnelle, de services aux entreprises et d'adaptation aux besoins économiques et sociaux de chaque bassin de vie. Nous devrons mener des évaluations d'étape au fil de nos transformations et en tenir compte dans le déploiement des différentes initiatives de la réforme et de la priorisation des moyens budgétaires qui y seront affectés. Je tiens à cet égard à pouvoir rendre des comptes régulièrement devant vous, mesdames et messieurs les députés, selon les modalités que vous voudrez bien m'indiquer.

Enfin, la troisième et dernière grande priorité est de gagner en efficacité sur l'indemnisation. Pôle emploi verse, pour le compte de l'État et des partenaires sociaux gestionnaires du régime d'assurance chômage, un ensemble d'allocations appuyées sur une réglementation complexe et qui évolue régulièrement. Les agents de Pôle emploi le font avec un niveau de qualité et de rapidité très élevé et, désormais, chaque demandeur d'emploi a un conseiller qui connaît son dossier et l'aide à comprendre et anticiper les évolutions de ses droits. France Travail devra continuer dans cette voie ; c'est sa mission fondamentale, celle qui sécurise les demandeurs d'emploi sur leurs ressources et leur permet de se tourner en confiance vers le retour à l'emploi.

Dans ce domaine, France Travail devra relever deux défis. L'opérateur devra d'abord lutter plus fortement contre les versements d'allocations qui sont faits à tort. Lorsque l'usager n'a pas fait sa déclaration à temps, qu'il ne l'a pas faite de manière complète, ou à la suite d'une erreur, il arrive que des allocations soient versées de manière indue et doivent ensuite être récupérées. Nous devrons renforcer nos efforts pour empêcher ces trop-perçus et, lorsqu'ils surviendront, récupérer cet argent de manière volontariste, mais en prenant en compte la situation de chacun. Le deuxième défi, c'est de lutter contre le non-recours aux droits, en simplifiant les demandes d'allocations et en accélérant les échanges de données entre administrations pour faire vivre, là aussi, le principe du Dites-le nous une fois.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, les quelques grandes priorités que je tenais à mettre en avant dans ce propos liminaire et qu'il conviendra de décliner avec la gouvernance de France Travail et l'ensemble de ses collaborateurs et de ses partenaires. J'ai eu l'honneur de travailler à la préfiguration de France Travail. Vous connaissez mes convictions ; je serais heureux de pouvoir les mettre au service de cette belle et grande mission et me réjouis de pouvoir en discuter avec vous.

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