Non, ce n'est pas vrai. Le projet comporte deux articles bien distincts, l'article 9 et l'article 10 – et nous avons discuté de ces dispositifs pendant près d'une heure et demie.
L'article 9 traite bien du régime d'expulsion et des arrêtés ministériels pris à cet effet. Vous avez parfaitement compris que l'objectif est d'en augmenter le nombre, car actuellement je ne peux pas prendre un certain nombre d'AME en raison de réserves d'ordre public.
L'article 10 porte quant à lui sur les OQTF. Je répète qu'on en comptait environ 2 500 par an et qu'il devrait y en avoir plus de 3 000 cette année en raison de la politique menée dans les CRA – nous reviendrons plus en détail sur cette question lorsque nous aborderons le rôle du juge des libertés et de la détention (JLD).
Je confirme donc le chiffre de 2 500 personnes que j'ai donné précédemment, avec grosso modo un quart d'AME et trois quarts d'OQTF.
Je le répète, la France est le seul pays en Europe à avoir imaginé des réserves d'ordre public. Cela a été fait lorsque l'on a supprimé la double peine. Ce dispositif n'est ni constitutionnel ni conventionnel. Dans un grand nombre de cas, il a pour effet d'empêcher le ministre de l'intérieur de procéder à des expulsions. Le régime de l'éloignement étant plus simple – puisqu'il concerne des personnes en situation irrégulière –, nous sommes actuellement amenés à retirer d'abord le titre de séjour d'un étranger qui a commis un crime ou un délit pour pouvoir ensuite lui appliquer le régime de l'éloignement.
Mais comme la décision de retrait du titre de séjour est susceptible de recours, je perds du temps. En outre, et vous le savez, il n'est pas si facile que cela de retirer un tel titre. Lorsque la personne est titulaire d'une carte de résident de dix ans, il est seulement possible de la dégrader en ramenant la durée de son titre de séjour à un an. C'était auparavant le cas pour les citoyens algériens et c'est désormais le droit commun – par pudeur, je ne rappellerai pas le nom de celui qui a prévu cette mesure pour les ressortissants d'autres pays que l'Algérie.
La décision de retrait d'un titre de séjour étant susceptible de recours, parfois je gagne, parfois je perds. En tout cas, c'est lorsque le titre de séjour est définitivement retiré et que la personne se retrouve en situation irrégulière, que je peux appliquer le régime de l'éloignement et non plus celui de l'expulsion.
Avec ce texte, je propose d'aller beaucoup plus vite et de considérer que les personnes en situation régulière qui ont commis des crimes et des délits passibles d'une peine de cinq ans peuvent directement faire l'objet d'un AME. Le fait de ne pas avoir à retirer préalablement le titre de séjour supprime une étape de recours juridictionnel – et même deux si l'on prend en compte l'appel.
Actuellement, j'éloigne une personne parce qu'elle est en situation irrégulière et non pas parce qu'elle a commis un délit. Avec l'article 9, je pourrais le faire parce qu'elle a commis un délit. Cela change tout.
Monsieur Marleix, même avec votre réforme constitutionnelle, le juge pourra encore intervenir. Vous ne proposez pas de supprimer l'état de droit, n'est-ce pas ? Je précise au passage que je n'ai jamais dit que j'étais défavorable à une réforme constitutionnelle ; il faut qu'elle soit bien faite. En l'occurrence, je pense que celle que vous proposez, et dont nous débattrons en séance le 7 décembre, comporte des inexactitudes.
Il est quand même très étonnant de ne pas vouloir supprimer les réserves d'ordre public qui figurent dans la loi ordinaire, dont la famille politique à laquelle nous avons appartenu est à l'initiative. Il est vrai qu'à l'époque je n'avais pas encore le bac… En tout cas, la question peut être réglée au niveau de la loi ordinaire : pour éloigner ou expulser les étrangers délinquants, il suffit de voter ce texte. Il faut en revanche une réforme constitutionnelle pour prévoir des quotas prescriptifs.
On peut toujours souhaiter que 100 % des décisions prises par le ministre de l'intérieur soient suivies d'effet – ce n'est pas moi qui vais dire le contraire –, mais ces décisions s'inscrivent dans un ordonnancement juridique où le juge joue son rôle. De ce point de vue, votre réforme constitutionnelle ne réglera pas mieux le problème que ne le fait mon projet, puisque vous ne proposez de modifier ni le Préambule de la Constitution de 1946 ni la Déclaration de droits de l'homme et du citoyen. On pourrait imaginer de s'affranchir des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme – encore que la question ne soit pas vraiment tranchée. Comme je l'ai déjà mentionné, la Cour suprême britannique a en effet estimé que, même dans ce cas, un certain nombre de principes relatifs à la vie privée et familiale continueraient à s'appliquer.
En revanche, vous avez parfaitement raison sur un point : je ne parviendrai pas à expulser ou à éloigner l'ensemble des 4 000 personnes qui sont actuellement protégées par les réserves d'ordre public qui ont été inscrites dans la loi – et non dans la Constitution – il y a vingt ans. Mais, dans 75 % des cas, le juge me donne raison. Nous n'y serions pas arrivés si j'avais écouté ceux qui me disaient que le juge s'y opposerait de toute manière. Il est en effet difficile d'exercer des responsabilités. Je n'aurais pas non plus réussi à expulser M. Iquioussen si j'avais écouté tous ceux qui disaient que ce ne serait pas possible du fait du droit à la vie privée et familiale. Le fait est qu'il vivait en France depuis trente ans et que personne ne l'avait expulsé. Nous y sommes parvenus, parce qu'un préfet courageux me l'a proposé et que nous avons été persévérants.
Heureusement que nous n'attendons pas ad vitam æternam qu'il n'y ait plus de juge pour procéder à ces expulsions.