Monsieur Lucas, je me permets de vous lire le considérant 26 de l'avis que le Conseil d'État, qui est le garant de l'État de droit, a rendu sur ce projet de loi : « Le Conseil d'État considère que le fait d'excepter des protections prévues aux articles L. 631-2 et L. 631-3 l'étranger qui, d'une part, a été condamné à une peine, quel qu'en soit le quantum, pour des faits pour lesquels la peine maximale encourue est, selon les cas, de cinq ans d'emprisonnement ou plus ou de dix ans d'emprisonnement ou plus et, d'autre part, continue de menacer gravement l'ordre public ne se heurte à aucun obstacle d'ordre constitutionnel ou conventionnel dès lors que les décisions d'expulsion sont soumises au respect du principe de nécessité et de proportionnalité et de l'article 8 de la CEDH, et qu'elles sont placées sous le contrôle du juge. » Vous avez évoqué les propos de la Défenseure des droits et l'amour de l'État de droit : le Conseil d'État a précisément considéré que ces dispositions sont constitutionnelles, conventionnelles et proportionnées.
La législation actuelle, inventée par le ministre de l'intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, n'a pas d'équivalent en Europe. Certes, le recours au juge est toujours possible, mais il faut utiliser le moment de l'expulsion ou de l'éloignement et ne pas s'autocensurer en anticipant la décision du juge. C'est ainsi que nous avons pu expulser M. Iquioussen. Le Conseil d'État a d'ailleurs jugé que, dans le cas de son expulsion, l'intérêt de la nation justifiait l'atteinte au respect de sa vie privée et familiale.
Monsieur Lucas, le critère de l'exception à la protection de l'étranger n'est pas la peine encourue. Le texte de l'article 9 est clair : « Par dérogation au présent article, peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631‑1, l'étranger mentionné aux 1° à 4° du présent article lorsqu'il a déjà fait l'objet d'une condamnation définitive pour des crimes ou des délits punis de trois ans ou plus d'emprisonnement. » Il s'agit donc bien, comme le dit le Conseil d'État, de faits pour lesquels la peine maximale encourue est, selon les cas, de trois à cinq ans. La personne a donc eu un procès et elle a bien été reconnue coupable. Vos propos sur le critère de la peine encourue pourraient laisser penser que le projet de loi permet d'expulser quelqu'un qui est simplement soupçonné d'un crime, sans qu'il soit passé devant un tribunal.
Vous me dites que je n'aime pas l'État de droit, cela me choque, car, en tant que ministre de l'intérieur, je suis ministre des libertés publiques. Je respecte donc à ce titre la Convention européenne des droits de l'homme. Nous pourrons poursuivre cette discussion sur l'État de droit plus tard.
Je le répète : le texte ne permet pas l'expulsion d'un étranger simplement soupçonné par les services de police. Cette personne doit avoir été condamnée, en première instance ou en appel, pour des faits sanctionnés par une peine de prison d'au moins cinq ans pour pouvoir être expulsée. Elle pourra l'être même si, en raison de circonstances atténuantes par exemple, elle n'a pas été effectivement condamnée à la peine maximale. Cet article est dur, mais il est juste. Je pense que personne ne contestera que l'expulsion est méritée pour les cas que j'ai cités tout à l'heure.
Monsieur Lucas, vous devez accepter l'idée que l'état de droit consiste aussi à protéger les victimes et, précisément, ces dispositions sont nécessaires à la sécurité de nos concitoyens.