Le titre II est très important car il vise à obtenir du Parlement les moyens d'expulser ou d'éloigner du territoire national – car ce sont deux choses différentes – des étrangers délinquants. Pour résumer les choses à gros traits, en 2022, j'ai fait expulser 2 500 étrangers en raison des actes délinquants ou criminels qu'ils ont commis, tandis que 4 000 autres, qui auraient pu être expulsés ou éloignés pour les mêmes faits, ne l'ont pas été parce que la loi les protège au titre de « réserves d'ordre public », par suite de la suppression, sous le mandat de M. Chirac, de la « double peine », c'est-à-dire du cumul de l'expulsion et/ou de l'éloignement avec une peine de prison accomplie par une personne condamnée par la justice.
C'est, comme le dit le Conseil d'État lui-même, la loi française, sans que l'adhésion de la France à la Convention européenne des droits de l'homme ni la Constitution y aient à voir, qui empêche le ministre de l'intérieur et ses services d'expulser des personnes qui seraient pourtant aussi redevables d'expulsion, par principe d'égalité, que d'autres étrangers, la différence étant que ces derniers ne sont pas arrivés avant l'âge de 13 ans sur le territoire national, ne sont pas mariés ou n'ont pas eu d'enfants en France – autant de motifs qui relèvent des réserves réserve d'ordre public que le Gouvernement propose précisément de lever, compte tenu de la gravité des infractions considérées.
Ce mécanisme existe déjà pour les personnes qui menacent les intérêts fondamentaux de la nation, c'est-à-dire qui commettent des actes de terrorisme. Nous ne demandons pas, toutefois, la levée de la réserve pour les mineurs qui ont commis des actes graves pendant leur minorité, car la France est signataire de la Convention européenne des droits de l'enfant et, par ailleurs, ces expulsions relèvent du juge judiciaire, et en aucun cas le juge administratif.
Les articles 9, 10 et 13, qui se complètent, sont très importants. L'article 9 vise les arrêtés ministériels d'expulsion (AME) et l'article 10 l'application des OQTF dans les cas d'éloignement. Le Conseil d'État nous a en effet rappelé à plusieurs reprises qu'il s'agissait de deux régimes différents, même si le législateur et la jurisprudence les ont progressivement rapprochés, et qu'ils ne correspondent pas à la même unité d'action, apportant des garanties et une efficacité différentes. En cas de confusion, si l'éloignement était trop rapproché de l'expulsion, le risque serait donc assez fort d'une censure du dispositif par le juge constitutionnel.
L'article 9 vise à permettre au ministre de l'intérieur de prendre des arrêtés ministériels d'expulsion à l'encontre d'étrangers réguliers sur le territoire national si ces personnes ont commis des actes graves, notamment des crimes ou des délits encourant une peine de cinq ou dix ans ou en récidive. L'arrêté ministériel d'expulsion ainsi conçu est plus efficace pour le ministre de l'intérieur, en ce qu'il suppose beaucoup moins de difficultés administratives, de recours et de possibilités pour le pays d'origine de s'y opposer. La contrepartie est un plus grand encadrement, notamment par une commission qui n'est certes que consultative, mais qui fait parfois un peu traîner les choses. Un régime d'expulsion est donc bien prévu pour les personnes régulières qui commettent des crimes ou des délits, le débat portant alors sur la peine encourue justifiant ce dispositif.
L'article 10, quant à lui, porte sur l'éloignement des personnes irrégulières faisant l'objet d'une OQTF mais relevant des réserves de protection liées à la fin de la double peine, qui rendent systématiquement cette sanction inopérante. Ainsi, je ne peux pas signifier une OQTF à une personne de 19 ans qui aurait, par exemple, tué quelqu'un si cette personne est arrivée sur le territoire national avant l'âge de 13 ans – si je le faisais, cette mesure serait cassée par le tribunal administratif. Je pourrais, en revanche, l'expulser pour le même acte si elle était arrivée à 13 ans et demi.
Nous relevons donc les réserves d'ordre public pour les personnes ayant commis des crimes ou des délits graves pour l'ordre public, notamment le fait de s'être attaqué à des policiers, à des élus ou à des personnes dépositaires de l'autorité publique – ce qui n'est actuellement pas le cas –, des crimes, quels qu'ils soient, des tentatives d'homicide, le trafic de stupéfiants ou la fraude fiscale, ainsi que les violences conjugales. Aujourd'hui, quelqu'un qui frappe sa mère et qui est arrivé avant l'âge de 13 ans sur le territoire national ne peut pas être expulsé : c'est le cas du tueur d'Arras, connu par les services de police, mais sans casier judiciaire, qui avait été mis en garde à vue pour avoir frappé sa mère, mais auquel nous n'avons pas pu signifier d'OQTF parce qu'il était arrivé avant l'âge de 13 ans sur le territoire national.
Avec ces nouvelles dispositions, le ministère de l'intérieur pourra procéder à l'éloignement de 4 000 étrangers délinquants par an, ce qui permettrait de multiplier par trois le nombre d'expulsions et d'éloignements.
Ces mesures sont complétées par l'article 13, qui prévoit la possibilité de retirer son titre de séjour à toute personne adhérant à une idéologie radicale. Nous pourrons évidemment en discuter. Le rapporteur général et le rapporteur ont précisé le dispositif en procédant par copier-coller des formules que nous avons adoptées dans la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite loi séparatisme, validée par le Conseil constitutionnel.
Les trois articles que je viens d'évoquer manquaient au ministre de l'intérieur, qui pourra désormais, si vous les votez, prendre un arrêté ministériel d'expulsion en vertu de l'article 9 ou, avec l'article 10, signifier une OQTF et, avec l'article 13, dégrader le titre de séjour d'une personne condamnée pour trouble à l'ordre public ou adhérant à une idéologie radicale. Si on constate à l'occasion d'une perquisition qu'un étranger a dans son téléphone portable cent photos de décapitations – ce qui n'est pas bon signe –, on peut le poursuivre pénalement, mais je ne peux actuellement pas l'expulser en lui retirant son titre de séjour. Si donc, avec l'article 13, on lui retire son titre de séjour, cette personne tombera sous le coup de l'article 10 et je pourrai procéder à son éloignement.
Ces trois articles consistent donc, je le répète, à retirer toutes les réserves d'ordre public – à l'exception des actes commis par un mineur, qui relèvent du juge judiciaire, et non du juge administratif –, à procéder à l'expulsion de personnes régulières par AME ou à l'éloignement de personnes irrégulière par OQTF, et à permettre que des personnes soient jugées non pas parce qu'étrangères, mais parce qu'ayant commis des actes contraires à ce que suppose l'accueil sur le sol républicain.
Ces dispositions ont toutes été validées par le Conseil d'État, qui n'y a rien vu à redire en termes de constitutionnalité et de conventionalité. J'ajoute que le Conseil d'État a jugé ce texte constitutionnel et conventionnel dans la mesure où le Gouvernement s'y attache aux crimes ou aux délits graves – de fait, il ne serait pas constitutionnel d'expulser des gens condamnés à de la prison avec sursis pour le vol de pommes ou d'une mobylette.
Je remercie le Sénat d'avoir, à une exception près, eu la sagesse nécessaire pour éviter la non-constitutionnalité qui aurait frappé ces dispositions si les protections avaient été trop réduites. De fait, si tous les délits devaient être susceptibles d'expulsion, tous ceux qui commettent des excès de vitesse seraient menacés d'être expulsés, ce qui serait évidemment disproportionné et ferait censurer le dispositif que nous proposons.
Ces articles sont très importants et je suis donc défavorable à l'amendement de Mme Diaz.