Voici donc le grand retour, tant attendu, de l'écriture inclusive. Il faut dire que nous n'en avions pas parlé depuis au moins un mois, et la niche de La France insoumise passe complètement à côté de cet enjeu majeur en se contentant de demander l'indexation des salaires sur l'inflation, le blocage des marges abusives des entreprises de l'agroalimentaire et de la grande distribution et un soutien aux mères isolées, et de défendre l'accueil physique dans les services publics – autant de propositions totalement déconnectées des véritables préoccupations des Français, dont chacun sait qu'ils se réveillent le matin en se demandant quand on va enfin interdire l'écriture inclusive.
Collègues du groupe Les Républicains, je salue votre sens des priorités. Il a fallu du courage pour voter ce texte au Sénat et braver la cure d'austérité normative à laquelle Gérard Larcher vous appelait. Je salue aussi votre sens de la solidarité, de la courte échelle, de la passerelle, loin du barrage : grâce à votre niche, celle du RN gagne une seconde vie et vous la sauvez de son naufrage pathétique sur fond d'imprécations de Marine Le Pen contre les services de l'Assemblée et les tableaux Excel.
Mais votre générosité ne s'arrête pas là : un véritable arc réactionnaire contre l'écriture inclusive offre enfin au Président de la République une majorité qu'il peinait tant à trouver. Car vous faites le trait d'union – je n'ose dire le point médian – entre l'extrême droite et Emmanuel Macron : comme vous l'avez fièrement rappelé, il récupère votre obsession en affirmant que « dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n'a pas besoin d'y ajouter des points au milieu des mots, ou des tirets, ou des choses pour la rendre lisible. »
Comme le Président, vous devriez réviser vos classiques. Le grammairien Vaugelas écrivait que « le genre masculin, étant le plus noble, doit prédominer toutes les fois que le masculin et le féminin se trouvent ensemble ». Vous gagneriez aussi à lire les études d'histoire de la langue et de sociolinguistique qui démontrent que non, le masculin n'est pas neutre, que son usage est le fruit d'un choix idéologique opéré au XVIIe siècle, et qu'il influence les représentations en perpétuant les biais sexistes inconscients. Il n'est pas très étonnant que le monarque présidentiel, ses courtisans et ses alliés se reconnaissent dans les grammairiens masculinistes de l'époque de la monarchie absolue ; vous ne vous étonnerez pas que nous nous reconnaissions plutôt dans le foisonnement et l'inventivité de la période humaniste, dont les expérimentations actuelles sont les héritières.
Nous rejetterons votre lubie autoritaire et resterons dans la tradition d'une langue française riche et inventive.