Je me réjouis de rejoindre pour ce texte la commission des Affaires culturelles et de l'éducation et vous remercie de votre hospitalité ; habituellement membre de la commission de la Défense, je ne m'en éloigne à vrai dire pas tant que cela, car c'est pour la défense de la langue française que j'ai le plaisir de me joindre à vous. Nous savons tous depuis du Bellay que la France est la « mère des arts, des armes et des lois ».
L'intelligibilité et la neutralité axiologiques de la langue sont des valeurs qui dépassent tous les clivages politiques : elles sont les clés de la transmission de l'information et de la délibération démocratique.
Chaque fois que nous laissons un langage militant prendre le pas sur cette fonction neutre de communication, nous rendons celle-ci un peu plus difficile. Nous contribuons alors à l'archipélisation d'un langage commun, notre belle langue française, qui est pourtant un lien essentiel de notre communauté nationale.
Cette opinion est si largement partagée, que je me permettrai de rapporter ici les mots prononcés le 30 octobre dernier par le Président de la République à Villers-Cotterêts : « Il faut permettre à cette langue de vivre, de s'inspirer des autres (…), de continuer à inventer, mais d'en garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe, et de ne pas céder aux airs du temps. Dans cette langue, le masculin fait le neutre. On n'a pas besoin d'y rajouter des points au milieu des mots ou des tirets ou des choses pour la rendre visible. »
Les difficultés liées aux progrès de l'écriture dite inclusive ont déjà fait l'objet de plusieurs propositions de loi visant à établir une base juridique plus solide pour assurer l'emploi d'un français clair et accessible à tous nos concitoyens. Cela témoigne d'un réel besoin de clarification et de l'existence d'un vide juridique que les parlementaires ont à plusieurs reprises tenté de combler. En dépit de ces efforts, qui manifestent une volonté politique venue de rangs très différents, force est de constater que le débat public n'a pas encore permis de donner à la langue française les outils indispensables à sa protection.
La présente proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l'écriture dite inclusive, adoptée le 30 octobre 2023 au Sénat – le même jour que le discours de Villers-Cotterêts – constitue une nouvelle opportunité de débattre de ces enjeux, qui sont loin d'être anecdotiques, et d'apporter les solutions législatives nécessaires, en clair, de passer des discours aux actes.
L'apparition et la multiplication des usages de certains outils de l'écriture inclusive conduisent les juridictions à se prononcer de façon croissante sur la validité des textes où ils sont employés. Les décisions judiciaires peuvent avoir des répercussions très concrètes dans la vie de nos concitoyens, dès lors qu'elles concernent la légalité des statuts d'une association aujourd'hui et qui sait, demain, la validité d'un texte d'examen universitaire. Comme cela a récemment été le cas à l'université de Lyon, il arrive en effet que les épreuves d'un diplôme puissent être données en écriture inclusive ou même non-binaire.
Si la jurisprudence est source de droit, elle ne devrait pas avoir pour mission de se substituer à un législateur défaillant. Une jurisprudence hésitante peut en outre se révéler porteuse de grandes insécurités juridiques. Nous devons donc prendre nos responsabilités.
Concernant la protection de la langue française contre certaines pratiques syntaxiques et rédactionnelles nouvelles, qui pourraient mettre en danger l'intelligibilité de la langue, le seul outil normatif existant relève du domaine réglementaire. Les défis que doit relever notre langue, si nous souhaitons qu'elle reste un vecteur de diffusion culturelle et d'influence, sont pourtant divers et nombreux. Ils dépassent largement le champ des circulaires, dont l'efficacité demeure toute relative.
Alors que l'année 2024 sera celle des trente ans de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, dite loi Toubon, dont le principal objectif était de renforcer l'usage de notre langue face à la diffusion rapide de termes anglophones, il nous faut avoir le courage politique d'affronter les nouvelles menaces de complexification et d'affaiblissement que constituent certaines pratiques de l'écriture dite inclusive.
Un encadrement législatif est plus que jamais nécessaire, non pour restreindre la liberté d'usage des termes qui composent la langue française ou empêcher ses évolutions, mais bien pour préserver les contours de la sphère publique du langage, cet espace commun partagé par tous les Français. Cela passe par la réaffirmation d'une grammaire commune.
Le texte proposé affirme la nécessité de conserver une certaine neutralité de la langue en se conformant aux standards grammaticaux existants, qui permettent à chacun de conserver une forme de neutralité. En ce sens, ce texte est véritablement un texte de liberté. Nos concitoyens peuvent, particulièrement dans certains milieux professionnels, se trouver embarrassés d'avoir à choisir entre utiliser ou non les procédés d'écriture inclusive. Faut-il les employer pour suivre la tendance, même lorsque leur pertinence leur échappe ? Faut-il les éviter, au risque de passer pour un opposant à l'égalité des sexes ? Et que dire des examens ou des lettres de motivation dans lesquels leur emploi ou leur absence conduit à situer le rédacteur, créant de fait un a priori favorable ou défavorable ? C'est pourquoi ce texte est un texte de neutralité : il ôte à nos concitoyens la préoccupation d'opter pour une solution ou une autre en réaffirmant un standard commun, sans brider d'aucune sorte la liberté d'expression. Il évite de devoir choisir, pour complaire à un interlocuteur, l'une ou l'autre forme grammaticale. Il est aussi un texte d'égalité pour tous ceux qui éprouvent déjà certaines difficultés face à la langue française : pensons particulièrement à nos concitoyens en situation de handicap, déficients visuels ou personnes souffrant de troubles dys qu'égare cette nouvelle complexité langagière – nos auditions ont confirmé ce constat. Aider à préserver l'intelligibilité de notre langue, c'est aussi garantir à chacun un meilleur accès aux outils d'émancipation qu'elle propose.
Pour atteindre ces objectifs, la proposition de loi vise à prohiber certaines pratiques de l'écriture inclusive dans tous les cas où l'usage du français est requis, selon les dispositions de la loi Toubon. Dès lors qu'il sera fait usage de « pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l'emploi du masculin, lorsqu'il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l'existence d'une forme féminine », l'obligation d'usage du français sera considérée comme n'ayant pas été respectée. Cette disposition concerne une variété d'actes juridiques dans les domaines de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics.
La loi vise également à interdire les mêmes usages de l'écriture dite inclusive dans les publications, revues et communications mentionnées à l'article 7 de la loi du 4 août 1994, soit « les publications, revues et communications diffusées en France et qui émanent d'une personne morale de droit public, d'une personne privée exerçant une mission de service public ou d'une personne privée bénéficiant d'une subvention publique ». Cette disposition est déterminante, car ces publications sont essentielles pour l'information du public et dans les relations entre le service public et ses usagers. Là encore, il s'agit d'assurer la diffusion d'un français accessible à tous, notamment aux personnes atteintes d'un handicap physique ou cognitif.
Le quatrième alinéa de l'article 1er vise à rendre nul de plein droit tout acte juridique utilisant l'écriture inclusive telle que définie précédemment : cette disposition vise à garantir une pleine effectivité de la loi car la mise en œuvre difficile et souvent lacunaire de la loi Toubon a montré toute la nécessité d'un dispositif de sanction strict.
Le cinquième alinéa de l'article fait de l'article 19-1 de la loi du 4 août 1994 une disposition d'ordre public, ce qui signifie qu'aucune convention ne pourra s'en écarter.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 1er étend cette interdiction à la langue utilisée pour l'enseignement, les examens, les concours, les thèses et les mémoires dans les établissements publics et privés d'enseignement. Là encore, il ne s'agit nullement de chercher à combattre les motivations qui peuvent exister à la promotion de telles pratiques, mais bien de mettre les élèves, candidats et étudiants dans une situation de stricte égalité.
Mes chers collègues, cette proposition de loi n'est pas un texte de combat : elle ne vise aucunement à aller contre la promotion indispensable de l'égalité entre les femmes et les hommes. Il n'est ainsi nullement question d'aller contre la féminisation des titres et des fonctions, ou d'interdire le « Mesdames, messieurs ».
La proposition de loi dont nous allons débattre s'inscrit dans la droite ligne de la loi Toubon qu'elle vise à enrichir : elle partage avec elle le souci de protéger l'intégrité de la langue et la volonté d'en préserver l'accessibilité. Je crois réellement que nos débats permettront de dégager un accord – nous accepterons de nombreux amendements – fondé sur ces objectifs et de parvenir à un texte concerté pour la défense du patrimoine commun qu'est la langue française, ce trésor que Paul Valéry qualifiait de « saint langage » et « d'honneur des hommes ».