Nos enseignants sont la clé de voûte de notre système scolaire. Malheureusement, notre modèle de recrutement et de formation initiale rencontre des difficultés désormais structurelles.
D'abord, une pénurie de candidats aux concours de l'enseignement : 4 000 postes restaient vacants à l'issue des concours 2022, 3 100 en 2023. Ensuite, une baisse progressive, en conséquence, du niveau des enseignants : les barres d'admissibilité sont tombées à 4,5 sur 20 pour le concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) et à 5,5 pour le Capes (certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré) de mathématiques. En conséquence également, se développe le recours aux contractuels, moins bien formés ; ils représentent désormais 9 % des effectifs d'enseignants.
C'est une spirale noire à laquelle nous devons, ensemble, mettre un terme, car elle contribue à dégrader notre niveau pédagogique national. Toutes les études montrent le caractère central de la qualité du corps professoral dans un système scolaire ; c'est ce que l'on appelle l'effet maître. C'est à résoudre ce problème que la proposition de loi entend s'atteler.
Elle ne prétend pas être exhaustive. J'ai dit plusieurs fois clairement qu'il faudrait des revalorisations salariales massives pour nos enseignants ; mais cela relève du projet de loi de finances, non d'une proposition de loi. En effet, il y faudrait plusieurs milliards d'euros, à intégrer dans le budget général de l'Éducation nationale et non dans une « niche » parlementaire.
De même, j'aurais aimé pouvoir évoquer les conditions de travail ou la formation continue, qui me tiennent à cœur ; mais, ne pouvant tout aborder dans le cadre d'une proposition de loi devant être examinée pendant une journée d'ordre du jour réservé à un groupe politique, j'ai choisi de prendre à bras-le-corps la question des concours et de la formation initiale, déjà un immense chantier. Si nous pouvions au moins tomber d'accord sur ce point, ce serait une grande avancée collective.
La version initiale de la proposition de loi était plus large : elle traitait aussi du premier degré et du dumping entre titulaires et contractuels, qui contribue lui aussi à la dégradation du système. « Niche » parlementaire oblige, j'ai ramené son champ au second degré, à propos duquel, après des mois de discussions partout en France, j'ai vu se dessiner un vrai consensus. Évidemment, je suis tout à fait favorable à un alignement des règles du premier degré sur celles du second, et je suis prêt à voter les amendements proposés par Mme Rilhac en ce sens.
Le texte vise deux objectifs : accroître le vivier de candidats et améliorer leur formation. Ce n'est pas l'un ou l'autre, ou l'un au détriment de l'autre, mais bien l'un et l'autre, voire l'autre grâce à l'un.
L'article 1er autorise le passage des concours du second degré dès le niveau bac + 3 aux candidats ayant suivi des études dans la discipline du concours visé. Il a pour but de permettre un choc de candidatures à court terme, et non dans dix ou quinze ans. Il assure l'égalité de traitement entre les différentes filières, en particulier générale et professionnelle.
L'article 2 porte à deux ans la durée de la formation comme fonctionnaire stagiaire après l'obtention du concours, pour qu'une plus grande partie du temps de formation des futurs enseignants soit rémunérée. C'est essentiel pour sécuriser les parcours et garantir l'attractivité de la filière. Il faut aussi cesser de confondre l'élève professeur avec un « moyen d'enseignement », pour reprendre le jargon technique du ministère. L'élève professeur, qui est d'abord un apprenti, doit disposer des meilleures conditions pour apprendre le métier.
L'augmentation du temps de formation en Inspé (institut national supérieur du professorat et de l'éducation) doit permettre de renforcer ses acquis pédagogiques et didactiques. Ce n'est pas un petit sujet : 87 % des nouveaux enseignants sont satisfaits de leur formation disciplinaire, mais 33 % se disent insatisfaits de ce qui touche à l'art pédagogique, notamment à la gestion de classe. C'est donc sur cet aspect que nous devons concentrer nos efforts. Dans la formule de formation renforcée que je propose, les nouveaux enseignants seront mieux outillés pour apprendre aux élèves à apprendre, par exemple en faisant plus de place à l'apport des neurosciences ou des sciences cognitives.
Nous pourrons aussi garantir la formation à l'école inclusive dans le second degré. Avec Servane Hugues, j'ai présenté il y a quelques jours, dans le cadre de la délégation aux droits des enfants, un rapport d'information sur l'instruction des enfants en situation de handicap. Si, dans le premier degré, nous avons fait des progrès, grâce aux 25 heures intégrées à la formation initiale, dans le second, la formation des enseignants en la matière n'est pas à la hauteur des enjeux. Nous avons de vraies difficultés à emmener ces enfants jusqu'au lycée et, a fortiori, jusqu'à l'enseignement supérieur. Cet aspect doit faire partie de la formation initiale.
Enseigner est un métier qui s'apprend. Dans le dispositif proposé, les élèves professeurs bénéficieront d'une immersion progressive en établissement au fil des deux ans – c'est tout l'intérêt de la prolongation de cette période – et de stages au volume horaire croissant et non plus en bloc, afin de pouvoir aller et venir entre l'expérience au sein de l'établissement et le travail avec les formateurs en Inspé.
La proposition de loi tend donc non à supprimer la masterisation, mais à optimiser l'organisation du continuum de formation de cinq ans après le bac. C'est la formule très majoritairement adoptée en Europe ; je ne souhaite pas revenir sur ce choix, mais il faut la moduler plus intelligemment. Mon amendement AC32 vise à préciser que le master restera bien le niveau d'intégration de nos enseignants dans le métier.
Tous les acteurs le constatent : la masterisation a fait considérablement chuter le nombre de candidats aux concours et accru les phénomènes d'évaporation d'étudiants qui ne parviennent pas à aller au terme du master pour passer leur concours ; l'année de master 2 est trop chargée pour les futurs enseignants, qui doivent en même temps faire un master, des stages, rédiger un mémoire et passer le concours.
Voilà pourquoi cette proposition de loi peut faire l'objet d'un large consensus. Les auditions et mes échanges avec de nombreux collègues ont montré que des précisions et des propositions étaient attendues ; je les ai intégrées dans mes amendements. Les acteurs interrogés – le Conseil supérieur des programmes, le réseau des Inspé, France Universités – se sont montrés très favorables à ce que je propose. Une partie des syndicats semble ouverte à une évolution qui sécurise le parcours de formation et fait un pas vers le prérecrutement. Les différentes directions ministérielles rencontrées – la Dgesco (direction générale de l'enseignement scolaire), la DGRH (direction générale des ressources humaines), la Dgesip (direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle) – ont confirmé que cette proposition était la piste privilégiée par le ministère de l'Éducation nationale ; elle a été évoquée par Pap Ndiaye avant son départ et à nouveau, récemment, par Gabriel Attal.
Il y a un temps pour les discours et un temps pour les actes. C'est aux actes qu'il s'agit de passer par cette proposition de loi.