Intervention de Laurence Vichnievsky

Réunion du mercredi 6 décembre 2023 à 11h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurence Vichnievsky, rapporteure :

Situé en effet au carrefour de l'Europe et de l'Asie, le Kazakhstan est appelé à prendre une importance géostratégique considérable au cours des mois et des années à venir.

Nous sommes saisis d'un traité de coopération judiciaire en matière pénale, conclu entre le Kazakhstan et la France en octobre 2021. Précisons d'emblée qu'il ne concerne ni l'extradition de personnes recherchées, ni le transfèrement de personnes condamnées, comme c'est souvent le cas.

Le Kazakhstan est un partenaire grandissant de la France en Asie centrale. Depuis 2008, nos deux pays sont unis par un traité de partenariat stratégique très étendu qui concerne notamment la politique, l'économie et les affaires culturelles. Les visites se multiplient à très haut niveau depuis deux ans : le président Tokaïev est venu à Paris en novembre 2022 ; le président Macron est allé à Astana en novembre 2023 ; l'année prochaine, le président kazakhstanais sera l'invité d'honneur du Forum de Paris sur la paix.

Le contexte de la guerre en Ukraine a été déterminant dans le resserrement des liens entre nos deux pays, faisant apparaître le caractère stratégique de cette relation. Le Kazakhstan est le seul Etat de cette région à avoir parlé de guerre, même s'il l'a fait très prudemment car il est toujours très lié à la Russie. Au-delà de ce contexte particulier, le Kazakhstan manifeste depuis longtemps sa volonté de se rapprocher de notre pays ; l'ambassadrice, que j'ai auditionnée, a beaucoup insisté sur ce point. Il est aussi un fournisseur de matières premières – uranium, pétrole, gaz liquide, terres rares – absolument déterminant pour la souveraineté énergétique de la France. Premier partenaire économique et commercial de la France en Asie, le Kazakhstan est le cinquante-huitième client et le trente-troisième fournisseur de la France. Une diversification de nos échanges est en cours dans des secteurs tels que celui de l'écologie, notamment par le biais de partenariats dans le domaine de l'eau. Le Kazakhstan est aussi un partenaire dans les domaines de la culture et de l'éducation. L'Alliance française y a quatre centres – à Almaty, Astana, Chimkent et Karaganda – et deux écoles vont y ouvrir très prochainement : l'une à Astana et l'autre à Almaty.

En matière judiciaire, la coopération bilatérale est limitée, comme le confirment les données citées par le président Jean-Louis Bourlanges, mais elle est pertinente. Le Kazakhstan est confronté à des types de criminalité qui existent ailleurs mais qui prennent une ampleur particulière dans ce pays immense et de transit : trafics d'êtres humains, notamment à des fins sexuelles ; trafics de stupéfiants ; criminalité économique et financière ; terrorisme. La porosité des frontières favorise le développement de ces criminalités.

Pourtant, jusqu'en 2021, nous n'avons signé que des conventions spécialisées de l'ONU avec le Kazakhstan ; aucune convention d'entraide judiciaire. La coopération était restreinte, fondée sur le principe de la réciprocité et de la courtoisie diplomatique internationale. Cette situation n'était pas satisfaisante, même si l'intérêt d'un tel traité demeure beaucoup plus important pour le Kazakhstan que pour la France : depuis 2012, notre pays n'a émis que neuf demandes d'entraide, contre vingt-neuf pour le Kazakhstan. C'est d'ailleurs ce dernier qui a insisté à plusieurs reprises, depuis un premier refus opposé par la France en 2017 en raison du faible intérêt opérationnel d'une telle convention, pour parvenir à cet accord. Les négociations ont repris à la demande du Kazakhstan et des échanges ont eu lieu en 2020 et 2021.

Les dispositions de ce traité sont assez classiques, sauf une.

L'article 1er définit le champ d'application de la coopération, qui est très large mais exclut les décisions d'arrestation et d'extradition, l'exécution des condamnations pénales et les infractions pénales strictement militaires.

Les articles 3, 4 et 5 définissent les autorités compétentes, les modalités de communication et de transmission. Si ces dispositions sont assez classiques, je tiens cependant à souligner que les transmissions se feront d'autorité centrale à autorité centrale : le ministère de la justice pour la France ; le parquet général pour le Kazakhstan. Or, d'après mon expérience de praticienne, en cas d'urgence, les conventions d'entraide prévoient souvent une transmission directe entre les autorités judiciaires, c'est-à-dire de juge à juge. En des temps anciens, nous avions obtenu cela grâce aux travaux effectués dans le cadre de la Commission européenne. Vous comprendrez sans que je vous fasse un dessin que les transmissions directes sont plus efficaces, surtout en matière économique et financière. Si l'on attend l'appréciation des administrations centrales respectives sur un blocage de fonds, par exemple, ces fonds ont eu le temps de faire cinq fois le tour de la planète avant que le juge puisse effectuer la demande d'entraide. L'article 3, qui précise que la partie requise exécute rapidement la demande d'entraide, est important pour le Kazakhstan, la France en ayant exécuté très peu.

L'article 6 précise les modalités d'exécution.

Enfin, me traité offre la possibilité de recourir à toutes les techniques modernes de coopération : les auditions en visioconférence ; les demandes d'information en matière bancaire ; les saisies-confiscations ; les écoutes téléphoniques.

J'en viens à l'aspect le plus important de mon avis : le traité présente de nombreuses garanties pour la France. Si le président Tokaïev a engagé des réformes politiques et économiques depuis son arrivée au pouvoir en mars 2019, et surtout depuis les événements de 2022, le régime de ce pays pourrait encore être qualifié d'hyperprésidentiel ; il reste quand même autoritaire. L'article 40.3 de la Constitution permet au président de la République de coordonner le gouvernement, ce qui veut tout dire. En outre, les droits et les libertés de la population kazakhstanaise ne sont à ce jour ni suffisants, ni assez protecteurs, notamment en ce qui concerne les violences faites aux femmes et les personnes LGBT. À cet égard, l'article 2 doit nous rassurer car il prévoit de nombreux motifs de refus d'entraide et les formulations choisies sont très protectrices.

Ce texte permettra de disposer d'un cadre juridique plus précis et plus complet, tout en protégeant les personnes concernées par les demandes d'entraide. Il a un effet préventif important, peu de conséquences juridiques et administratives pour la France. Enfin, malgré les nombreuses réserves que j'avais en tant qu'ancienne commissaire aux lois, je pense qu'il faut adopter ce projet de loi compte tenu de l'intérêt judiciaire et politique que présente ce traité. Il permettra à nos deux pays d'avoir une relation plus institutionnelle et à la France de conforter sa place de partenaire privilégié dans cette région du monde.

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