Recouvrer notre souveraineté en matière d'immigration, tel est l'objectif louable que s'est fixé le groupe Les Républicains à travers cette proposition de loi constitutionnelle.
Force est de constater que, depuis 1986, nous avons voté plus de vingt lois sur l'immigration dans cet hémicycle. Pourtant, nous voici une nouvelle fois amenés à débattre de cette question qui – pour des raisons idéologiques mais aussi souvent intimes –, nous anime profondément et conduit malheureusement certains à se murer dans des postures regrettables.
Oui, pour l'Europe, la question migratoire est avant tout une question de résilience de long terme. Toutefois, elle ne saurait se poser sans tenir compte de la conjoncture géopolitique, dont l'évolution est très difficilement prévisible – qu'on songe aux guerres, aux crises économiques et, bientôt, aux effets du changement climatique. Selon certaines projections, l'Afrique comptera 4 milliards d'habitants en 2100, contre 650 millions en Europe, et sa population sera bien plus jeune. Nous partageons avec nous ce constat : face à ce vertige démographique, il faut agir.
Je crains cependant que le groupe Horizons et apparentés ne diverge quant aux solutions proposées pour y répondre efficacement. D'abord, il ne nous semble pas raisonnable de procéder à des modifications aussi substantielles du contenu et de l'équilibre de notre Constitution dans le cadre d'une niche parlementaire.
Ensuite, sur le fond, il est évident que personne ne doit pouvoir se prévaloir de son origine ou de sa religion pour enfreindre les lois de la République, ni accéder à la nationalité française sans en partager les valeurs, les coutumes et la langue. Ces principes, qui sous-tendent déjà la Constitution, nécessitent-ils que celle-ci soit modifiée ? Je ne le crois pas, d'autant qu'inscrire le principe d'assimilation dans la Constitution conduirait in fine le juge constitutionnel à décider ce qu'est être français – je ne crois pas que cette tâche doive lui revenir.
Outre ces propositions principielles, vous souhaitez que certaines demandes de titres de séjour s'effectuent en dehors de nos frontières, dans des lieux sûrs. C'est une excellente mesure. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous croyons profondément qu'il est nécessaire que les négociations portant sur le pacte européen sur la migration et l'asile aboutissent, afin de remédier aux insuffisances du règlement de Dublin.
Soyons lucides et honnêtes : la France n'est pas une île. Ce serait mentir que de faire croire qu'une politique française isolée et individuelle est possible au sein d'un espace de libre circulation des personnes – les promesses déçues de Mme Meloni en sont l'exemple le plus flagrant.
Deux des dispositions que vous proposez m'interrogent davantage et me semblent constituer une rupture avec l'Union Européenne, l'Europe et le monde. En proposant d'inscrire dans la Constitution la possibilité de déroger aux engagements européens et internationaux de la France, cette proposition de loi constitutionnelle me paraît à la fois remettre en cause la crédibilité et la fiabilité de la France, et légitimer le non-respect du droit européen et international par d'autres pays.
Le groupe Horizons et apparentés ne nie pas la nécessité d'infléchir l'interprétation jurisprudentielle de certains principes – tels que le droit à une vie privée et familiale – lorsqu'elle ne correspond pas aux enjeux sécuritaires auxquels l'Europe fait désormais face. Toutefois, nous sommes également convaincus que le dialogue des juges peut permettre d'atteindre cet objectif – les récents arrêts du Conseil d'État en témoignent.
Cette proposition entre aussi en rupture avec l'esprit même de notre Constitution telle que le général de Gaulle l'a imaginée. Les constituants de 1958 ont fait un choix auquel nous sommes attachés : celui de la démocratie représentative, qui, par le jeu entre une majorité et une opposition, permet de relayer et de structurer les débats qui animent notre société, selon des procédures claires et surtout en vertu d'un mode de désignation au suffrage universel direct qui assoit la légitimité de ceux qui font la loi.
S'il faut reconnaître que ce modèle souffre et qu'il est nécessaire d'instaurer des mécanismes de démocratie directe, on ne saurait opposer les souverainetés. Le groupe Horizons et apparentés considère qu'une telle extension du champ de l'article 11 de la Constitution constituerait une rupture avec l'héritage gaulliste et avec le principe même d'une démocratie représentative, auquel nous sommes particulièrement attachés.
Je me réjouis néanmoins que les dispositions permettant de donner les moyens juridiques à l'administration pour expulser les étrangers délinquants recueillent votre assentiment. Nous aurons l'occasion d'en débattre à compter de lundi prochain.
Vous l'aurez compris : le groupe Horizons et apparentés considère que la question migratoire, qui inquiète légitimement les Français, suppose de rétablir de la nuance – cela n'empêche ni la fermeté, ni, surtout, le réalisme. Or, il ne nous semble pas que cette proposition de loi constitutionnelle soit de nature à changer concrètement la donne en matière migratoire ; notre groupe ne la votera donc pas.