…ni contrôler plus efficacement l'immigration clandestine, il est extravagant d'en faire porter la responsabilité à la Constitution. Certes, comparaison n'est pas raison ; mais, en 2008, au moment de l'importante réforme constitutionnelle effectuée sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il n'était pas question de perte de souveraineté de la France. Le défi migratoire ne peut justifier un tel changement de pied ; pour nous, il s'agit plutôt d'un appel du pied au Rassemblement national.
Sur la forme, de l'aveu même de certains membres du groupe LR, il s'agit d'un texte d'appel. En tant qu'élus, nous portons une lourde responsabilité républicaine. Je m'inquiète donc de voir une partie du groupe LR, qui nous a pourtant habitués à des exigences d'ordre et de droit, répondre ainsi aux sirènes du populisme.
Si l'immigration augmente – en raison des désordres géostratégiques, des guerres et du réchauffement climatique –, elle est loin de justifier d'agiter ainsi les peurs : pour moitié, l'immigration est liée aux migrations estudiantines ; pour un quart, elle est liée au travail ; pour un dernier quart, aux demandes d'asile. Imposons-nous donc de faire la pédagogie de la complexité plutôt que la démagogie de la simplification.
Sur le fond, c'est un texte au mieux inutile – car apportant de la confusion juridique –, et, au pire, dangereux et mortifère pour les droits fondamentaux. Inutile, l'article 1er , qui interdit de se prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire à la loi, l'est : à travers une formulation négative, il ajoute une disposition redondante dans la Constitution, laquelle pose déjà clairement le principe de laïcité dans son article 1er .
Par ailleurs, ce texte crée de l'insécurité juridique. L'article 3 rend inintelligible le principe de la hiérarchie des normes, dont l'application n'a pourtant pas révélé d'excès. Rester au sein de l'Union européenne sans faire primer les textes européens sur le droit national est impossible en l'état actuel du droit européen. Au lieu de se replier sur elle-même, la France doit être le fer de lance d'une coopération renforcée en matière migratoire.
La ratification des traités par les parlements nationaux permet d'émettre des réserves sur des dispositions internationales. Sans doute devons-nous en revanche exiger que notre Parlement soit davantage consulté sur l'engagement européen et international de la France. Ceci pourrait faire l'objet d'une disposition dans la loi fondamentale, mais il n'en est pas question dans le texte dont nous débattons.
Nous comprenons aussi que cette proposition de loi constitutionnelle constitue en réalité un Frexit conventionnel, dont l'une des motivations est de contrevenir à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Or c'est méconnaître le second alinéa de cet article qui prévoit déjà des limitations extrêmement fortes. La jurisprudence équilibrée de la Cour européenne des droits de l'homme laisse par ailleurs une très grande latitude aux États.
Enfin, il s'agit d'un texte dangereux et mortifère pour les droits fondamentaux. L'extension du champ des textes pouvant être soumis au référendum – lequel nécessiterait d'ailleurs un simple avis, et non pas une décision du Conseil constitutionnel –, prévue à l'article 2, emporte un risque d'atteinte aux principes, droits et libertés garantis par la Constitution. C'est ici tout l'esprit du constituant de 1958, puis de 1995, qui est remis en question, puisqu'il s'agissait d'exclure les référendums susceptibles de susciter des tentations démagogiques.
Ce n'est pas pour des raisons démocratiques que vous souhaitez étendre le champ du référendum ; il s'agit plutôt d'utiliser cet outil pour aller chercher le vote populiste. Vous n'avez donc oublié les propos d'un des vôtres, Jacques Toubon, qui affirmait : « À un référendum sur l'immigration, la réponse ne peut être que populiste », puisque la question ne peut être qu'ambiguë et floue.