Les questions que vous posez à propos de notre politique migratoire, donc de l'identité de la nation, sont légitimes. Néanmoins, beaucoup d'entre elles sont l'objet du projet de loi ordinaire que nous examinerons la semaine prochaine à l'Assemblée nationale – nous y reviendrons. D'autres soulèvent plusieurs interrogations, qui relèvent du droit constitutionnel.
L'article 1er de votre proposition de loi constitutionnelle, qui pose le principe selon lequel « Nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire aux lois de la République et s'exonérer du respect des règles communes » est intéressant. Cependant, permettez-moi de rappeler que le Gouvernement a déjà créé le délit de séparatisme – réforme que vous avez accompagnée, et je vous en remercie – à l'article 433-3-1 du code pénal, dont l'efficacité a été prouvée. Nous aurons l'occasion, au cours du débat, de vous exposer les premières jurisprudences des tribunaux, toutes conformes à la volonté du législateur.
Ce même gouvernement vous propose d'ailleurs de voter l'article 13 du projet de loi relatif à l'immigration, qui prévoit – conformément à une demande du Sénat, retenue in extenso par la commission des lois de l'Assemblée – la création d'un contrat d'engagement au respect des principes de la République, que tout étranger sollicitant un document de séjour s'engagera à souscrire. En vertu de celui-ci, une personne pourra se voir retirer, si elle se prévaut de ses croyances ou de ses convictions pour s'affranchir des règles communes, son titre de séjour ou sa carte de résident, et les autorités pourront procéder à son expulsion. J'ajoute que cette disposition a été validée par le Conseil d'État. Je ne vois donc pas quelle serait la valeur ajoutée de l'inscrire dans la Constitution. Mais, dans la mesure où qui peut le plus peut le moins, je suis certain que vous adopterez l'article 13 du projet de loi proposé par le Gouvernement et validé par le Sénat.
À cet égard, je me réfère au comité Veil de 2008, dont les réflexions me paraissent de nature à éclairer nos débats : « L'idée d'afficher solennellement au fronton de la République certains principes nouveaux présente sans doute un attrait réel. […] Il n'en reste pas moins que cette conviction n'établit pas, par elle-même, la nécessité d'une révision du préambule de la Constitution au seul effet de procéder à tel ou tel affichage », si les dispositions en question ne trouvent pas de traduction dans la loi ordinaire. Finalement, nous faisons œuvre commune. Vous reconnaîtrez donc tout l'intérêt du projet de loi présenté par le Gouvernement.
Vous proposez par ailleurs d'inscrire le principe d'assimilation dans la Constitution, pour fixer un cadre constitutionnel à un domaine qui y échappe largement. Vous le savez, monsieur le rapporteur, le droit de la nationalité – qui est désormais intégré dans le code civil comme l'a souhaité, il y a quelques années, le ministre Méhaignerie – ne fait l'objet que d'un encadrement constitutionnel minimal. Il est le produit d'une histoire longue de plus de deux siècles qui, loin des débats caricaturaux entre droit du sol et droit du sang, a évolué, les conditions d'accès à la nationalité ayant été plus ou moins ouvertes au gré des régimes politiques et, il faut bien le dire, de la nécessité pour nos armées d'envoyer des soldats à la guerre. Les historiens nous apprennent que proclamer de grands principes est toujours nécessaire pour souder le destin des hommes ; votre proposition de loi constitutionnelle peut y contribuer.
Comme chacun ici le sait, les auteurs de la Constitution montagnarde du 24 juin 1793 – cette Constitution de gauche qui plaît tant à M. Léaument, même s'il n'est pas là pour le rappeler –, déclaraient que « tout étranger âgé de vingt et un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard […] est admis à l'exercice des droits de citoyen français ». Dès 1793, le droit du sol était proclamé et la question du travail posée. Deuxième grande loi ouvrant l'accès à la nationalité, la loi du 28 juin 1889 a ancré le droit du sol dans l'imagerie républicaine. Revenir sur le droit du sol pour lui préférer le droit du sang n'est donc pas une mince affaire – l'objet de votre proposition est sérieux.
La notion d'assimilation des étrangers qui deviennent Français, que je trouve intéressante, a été introduite plus tard dans notre droit, d'abord avec la loi du 10 août 1927, puis avec l'ordonnance du 19 octobre portant code de la nationalité prise par le gouvernement provisoire de la République française du général de Gaulle. Dès lors, je m'étonne que vous souhaitiez figer cette notion en l'inscrivant dans la Constitution, alors que sa plasticité permet précisément d'en modifier les contours par la loi ordinaire – nul doute que le Conseil constitutionnel a accompagné ces évolutions.
Vous avez d'ailleurs admis, en évoquant Mayotte il y a quelques instants, que le Conseil constitutionnel n'a jamais censuré les dispositions particulières relatives au droit du sol dans ce département : il a en effet accepté la dernière réforme législative, en vertu de laquelle un nouveau-né ne bénéficie du droit du sol que si l'un de ses deux parents est Français ou réside régulièrement sur le territoire national depuis plus de trois mois.