Comme vous le savez, nous examinons la présente proposition de loi votée à l'unanimité au Sénat en raison de l'échec de négociations déséquilibrées entre exploitants de cinéma et distributeurs, parmi lesquels des majors américaines qui font pression sur la réglementation, alors que les films américains représentant 80 % de la distribution dans les outre-mer. Un bras de fer inégal entre majors de la distribution et PME ultramarines a conduit le législateur à intervenir.
Dans ce secteur comme dans tant d'autres, nos acteurs économiques sont confrontés à des difficultés structurelles auxquelles ils répondent différemment selon que la situation du marché est monopolistique, duopolistique ou oligopolistique.
Les difficultés structurelles auxquelles font face les exploitants de salle dans les outre-mer sont connues : marchés étroits, coûts d'exploitation et d'investissement plus élevés en raison des normes parasismiques et anticycloniques, coût des matériaux plus élevés en raison des exigences particulières de sécurité. Tout cela entraîne une rentabilité plus faible, en partie compensée par une fiscalité moindre ou le recours aux fonds européens.
L'équilibre précaire du modèle prévalant dans les outre-mer est menacé alors même qu'il fonctionne malgré tout : bon gré, mal gré, le prix du billet y est très proche de celui acquitté dans l'Hexagone, tandis que le montant touché sur chaque ticket par les distributeurs – malgré la limitation à 35 % du taux de location et grâce à la fiscalité avantageuse – y est sensiblement le même que celui touché sur un ticket hexagonal ; les exploitants arrivent donc à vivre et à proposer une diversité de films.
L'alignement des taux de location sur ceux de l'Hexagone, souhaité par les distributeurs internationaux, est insoutenable pour les exploitants ultramarins. Il aboutirait à fragiliser le secteur et, potentiellement, à des fermetures de salles. Il obligerait également de nombreux exploitants à se recentrer sur les blockbusters américains, qui assurent plus d'entrées, au détriment de la diversité. Ce serait une opération gagnant-gagnant pour les majors américaines, qui récupéreraient, selon les chiffres du CNC, 4 des 5 millions d'euros supplémentaires si le taux de location s'établit à 40 % et verraient de plus la diffusion de leurs propres films augmenter mécaniquement, au détriment des autres.
Pour toutes ces raisons, les députés du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale voterons cette proposition de loi, malgré les réserves exprimées en commission par ma collègue Sarah Legrain – dont je salue le travail de fond mené sur ce dossier et ceux liés à la culture en général. Ces réserves, il faut le dire, émanent de l'ensemble des syndicats de la distribution, ainsi que de la CGT, FO, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC, qui s'opposent d'une seule voix à ce texte. Nous avons entendu et compris leurs arguments, tout comme nous avons écouté l'ensemble des acteurs du secteur, parfois fort opposés les uns aux autres.
Gouverner c'est prévoir. Avec ce vieil adage en tête, nous avons pris notre décision afin de préserver l'emploi, la diversité de l'offre, le prix du billet, ainsi qu'un secteur économique aussi fragile qu'essentiel à la vie culturelle ultramarine.
Pour autant la proposition ne réglera pas une question fondamentale dont on ne parle que trop peu : la production, la distribution et l'accès à nos propres films dans nos propres territoires. Il est parfois plus facile de voir des films réunionnais ou de l'Océan indien ici, à Paris, que chez nous ! Si, comme le disait Godard, « le cinéma, comme la peinture, montre l'invisible », notre propre invisibilité sur nos écrans en dit très long sur la réalité des sociétés postcoloniales, et ce bien au-delà de l'industrie cinématographique.