Nous examinons une proposition de loi de la sénatrice de la Martinique, Catherine Conconne. D'une certaine manière, nous regrettons que ce texte nous soit soumis car, normalement, les négociations entre les parties prenantes auraient dû aboutir. Les distributeurs n'ayant pas été raisonnables, il nous revient de nous exprimer et de légiférer au nom de l'intérêt général.
La proposition de loi a pour objectif de préserver l'équilibre économique des exploitants en outre-mer, en encadrant leur relation avec les distributeurs. Elle fixe ainsi un taux de location plafonné à 35 % pour les exploitants en outre-mer.
Au nom du groupe Renaissance, je soutiendrai cette proposition de loi, ne serait-ce que parce que j'ai déposé un texte quasiment identique sur le bureau de notre assemblée. Celui-ci était toutefois de moins bonne qualité que celui de Catherine Conconne qui a été adopté à l'unanimité au Sénat. Nous espérons un vote conforme afin que la loi entre en vigueur au plus vite.
Les choses s'énoncent simplement. Le coût de la distribution des films dans les salles de cinéma repose sur la rétrocession au distributeur d'une partie des recettes des ventes de billets : 47 % en Hexagone, soit le haut de la fourchette fixée entre 25 % et 50 % par la loi, et 35 %, historiquement, dans les territoires ultramarins.
En effet, l'outre-mer constitue un marché étroit – moins d'une centaine de salles, pour un total supérieur à 6 000 dans tout le territoire national. Ainsi, près de 4 % de la population nationale a accès à moins de 2 % des salles.
En outre, les cinémas concernés assument des coûts spécifiques – bâti, maintenance, sécurité – plus importants que ceux à la charge des salles du reste du territoire. À titre d'exemple, la sécurité représente en moyenne 10 % du chiffre d'affaires des salles ultramarines contre environ 1 % de celui des cinémas de l'Hexagone. Les charges d'exploitation sont également plus élevées en outre-mer où l'usure du matériel est plus rapide à cause de l'humidité. De plus, le surcoût d'investissement y est deux fois plus important, lequel n'est qu'à moitié compensé par le mécanisme de crédit d'impôt et de subventions.
Ces ajustements permettent, depuis des années, de ne pas accentuer les différences liées à l'éloignement et aux spécificités de ces départements. Ce taux de location, justifié par un coût supplémentaire pour les exploitants et des dépenses moindres pour les distributeurs, a permis de maintenir à l'équilibre un modèle économique restreint et fragile.
En matière d'aménagement culturel, l'écart entre les territoires d'outre-mer et la France hexagonale est manifeste, révélant une fragilité structurelle préoccupante et des inégalités criantes dans l'accès à la culture. À titre d'exemple, Mayotte, malgré une population qui s'élève à 310 000 habitants selon l'Insee, ne peut se vanter de disposer de deux salles de cinéma, soit un ratio d'une salle pour environ 155 000 personnes. Cette réalité crée un fossé considérable dans l'accès à la culture cinématographique, ainsi que l'attestent les difficultés rencontrées par les habitants de l'île pour accéder à une offre culturelle diversifiée et à la hauteur de leurs appétences.
La Guyane, avec près de 294 071 habitants selon l'Insee, présente également des disparités notables. Bien que disposant de onze salles de cinéma, le ratio est d'une salle pour environ 26 733 habitants. En comparaison, en France hexagonale, ce rapport est bien plus favorable, avec une salle pour environ 12 000 habitants. Ces données révèlent des déséquilibres significatifs, qui se traduisent par la difficulté d'accéder à des offres culturelles dans les régions ultramarines.
Ainsi, au-delà de la simple analyse quantitative, ces chiffres témoignent d'une réalité complexe : la fragilité des infrastructures culturelles en outre-mer est exacerbée par des disparités d'accès et aggrave le déséquilibre entre les outre-mer et l'Hexagone.
L'attractivité est un des enjeux de ces territoires. L'offre culturelle contribue à l'attractivité et appelle à l'application de politiques d'aménagement culturel volontaristes et protectrices pour garantir un accès à la richesse culturelle et cinématographique.
Pour cette raison, il est nécessaire de maintenir le taux historique de 35 % afin de préserver l'équilibre économique des exploitants en outre-mer. Celui-ci est aujourd'hui mis en péril par la volonté unilatérale des distributeurs d'aligner le taux de location appliqué en outre-mer sur celui de l'Hexagone, menaçant de ne plus distribuer certains films phares en raison d'une absence de rentabilité.
Pourtant, aucune donnée n'établit que cette distribution se ferait à perte. En revanche, en extrapolant les estimations du CNC, la hausse coûterait 15 millions d'euros aux exploitants, sur quelque 100 millions d'euros de recettes. Au-delà de l'aspect choquant du chantage perpétré à l'endroit de territoires et de populations pour qui l'essor de la vie culturelle est essentiel, chaque salle subirait un manque à gagner de plus de 150 000 euros.
Personne ne peut croire que les 15 millions d'euros d'écart sont susceptibles de déstabiliser l'économie de la distribution des films sur le territoire national, mais tout indique que cette ponction mettrait en danger l'équilibre financier de nombreux exploitants – les auditions de la délégation aux outre-mer l'ont confirmé. En raison de l'échec des négociations, nous considérons qu'il faut légiférer. Nous souhaitons donc l'adoption à l'unanimité du texte dans la version du Sénat.