Ce serait un euphémisme de dire que cette proposition de loi n'a pas emballé le groupe Socialistes et apparentés tant son objet paraît éloigné des urgences sociales du moment. Rappelons en premier lieu que les jeux d'argent et de hasard font l'objet en France d'une prohibition générale et ce n'est pas un hasard. Ce principe est motivé par plusieurs raisons d'intérêt public : la protection de l'ordre public, la protection des joueurs et de leurs familles contre les pratiques addictives et le surendettement ou encore la lutte contre le blanchiment et la criminalité organisée.
Le secteur des jeux est une activité qui fait l'objet d'une large régulation. Et si diverses dérogations au principe précité ont été prévues, il faut rappeler que, selon l'Autorité nationale des jeux (ANJ), « le jeu d'argent n'est pas un service courant : il porte en lui des potentialités de dérives graves pour les personnes, susceptibles de générer un coût social important pour les finances publiques. Il ne peut donc se développer dans les mêmes conditions qu'un produit ordinaire. ». Notons aussi que le développement des jeux en ligne et des paris sportifs connaît un important essor avec une croissance moyenne de 20 % par an depuis 2017.
L'implantation des casinos est autorisée dans les stations balnéaires ou thermales et dans certaines villes de plus de 500 000 habitants. La proposition de loi vise un élargissement de la dérogation à deux nouvelles zones. Certes, cela contribuerait à attirer davantage de touristes dans les communes concernées mais ce texte inquiète les associations spécialisées dans la lutte contre les addictions. D'après l'ANJ, en 2021, les indicateurs dits d'intensité du jeu ont montré une hausse tant de la fréquence de prise de jeu, en augmentation de 23 %, que du niveau des dépenses, en augmentation de 15 %, en particulier chez les jeunes.
C'est en partie ce constat qui a conduit mon groupe et nos collègues Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta à tenter de limiter et d'encadrer la publicité par les influenceurs en faveur de ces activités. Leur proposition de loi visant à encadrer l'influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux avait recueilli ici un large soutien. Vous comprendrez donc qu'une proposition de loi qui vise, à l'inverse, à favoriser le développement de nouveaux lieux de jeu ne peut pas recevoir un soutien franc et massif de notre groupe, a fortiori dans le contexte économique et social actuel.
Bien sûr, le casino est un lieu où l'on joue de l'argent mais c'est aussi un lieu de divertissement. L'activité ludique, en plus d'être lucrative, suscite des interactions sociales et des échanges. On le sait, et vous l'avez rappelé au cours des débats en commission, mesdames les rapporteures, la notion de spectacle a son importance, que ce soit dans l'organisation d'animations spécifiques ou dans les prestations mêmes du casino – musique de fond en continu, bruitages de monnaie, lumières omniprésentes, décorations évoquant un certain standing social, références aux clichés cinématographiques.
Toutefois, il apparaît que les justifications mises en avant pour desserrer les règles relatives à l'éligibilité des communes pour l'ouverture de casinos sont finalement assez peu étayées.
Nous pouvons partager le constat selon lequel des règles obsolètes créent un déséquilibre territorial mais les évolutions proposées ne correspondent pas au titre à visée générale de la proposition de loi car elles ne tendent nullement à une refonte systémique. La fin de l'expérimentation relative aux clubs de jeux parisiens, le 31 décembre 2024, aurait pourtant pu donner lieu à une réflexion plus globale en vue d'une clarification et d'une remise à plat complète des règles relatives à l'installation des casinos en France.
Par ailleurs, les justifications économiques, en particulier en matière d'emploi, doivent être relativisées. Une étude menée à partir des données des comptes de la nation de l'Insee a permis de démontrer que la dépense de consommation dans les jeux génère significativement moins d'emplois dans l'économie que la dépense de consommation dans les autres secteurs domestiques. À niveau égal, ce secteur génère deux fois moins d'emplois directs que le reste de l'économie. Ainsi, chaque unité de dépense des ménages dans les autres secteurs domestiques donne lieu à significativement plus d'emplois que la même dépense dans le secteur des jeux. En clair, toute autre activité économique domestique implantée sur vos territoires, mesdames les rapporteures, serait source d'autant voire de plus d'emplois directs qu'un casino.
Enfin, cette proposition de loi ne prend en compte ni les conséquences sociales potentielles de cette activité liées à la prise en charge des conséquences du jeu addictif – surendettement, déséquilibre du sommeil et de l'alimentation, souffrances psychiques – ni le coût de la lutte contre les activités de blanchiment ou de fraude fiscale.
Cela dit, ce texte ne change rien à la législation relative à la régulation, à la publicité et à la fiscalité des jeux et ne prévoit pas d'octroyer d'avantages particuliers aux territoires accueillant déjà des casinos. En outre, il est soutenu par une demande forte des élus locaux et des populations concernées et a fait l'objet d'un travail déterminé des rapporteures. Enfin, il a été adopté au Sénat. Nous ne nous opposerons donc pas à son adoption malgré les réserves que nous avons exprimées, préférant une bienveillante abstention.