Intervention de Nicole Le Peih

Séance en hémicycle du lundi 4 décembre 2023 à 15h00
Adaptation du droit de la responsabilité civile — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicole Le Peih, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui concerne l'engagement de la responsabilité civile en cas de trouble anormal de voisinage. Rappelons le contexte : cette responsabilité est une création jurisprudentielle ; elle ne repose sur aucune disposition législative, mais sur un principe autonome révélé par la Cour de cassation en 1986, selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. C'est une responsabilité sans faute.

Le propriétaire du bâtiment dans lequel le trouble trouve son origine peut être tenu responsable, mais la jurisprudence a étendu la responsabilité au locataire et à l'occupant du bâtiment. Les tribunaux sont allés jusqu'à consacrer la responsabilité du voisin occasionnel, à savoir le constructeur qui réalise des travaux dans le bâtiment.

L'anormalité du trouble est appréciée in concreto par le juge, c'est-à-dire au cas par cas. Je vous épargne le panorama complet de la jurisprudence en la matière, mais il ressort des décisions des juridictions qu'elles apprécient non seulement la gravité et la durée du trouble, mais également le contexte dans lequel il se produit. Un même trouble pourra être anormal en milieu urbain – par exemple le chant du coq – mais acceptable en milieu rural, et inversement.

J'en viens aux conditions exonératoires de cette responsabilité. Le législateur a souhaité réduire la portée de la responsabilité sans faute en prévoyant que le juge pourrait l'écarter s'il constatait la réunion de trois critères cumulatifs : l'activité à l'origine du trouble est antérieure à l'installation du requérant, elle s'est poursuivie dans les mêmes conditions et elle respecte la législation en vigueur.

Le champ d'application de cet article est toutefois restreint, pour ce qui regarde tant les activités – il ne concerne que les dommages causés par des activités industrielles, artisanales, commerciales, agricoles, aéronautiques, culturelles ou sportives – que les personnes : seuls les dommages causés aux occupants du bâtiment en relèvent. La jurisprudence a ainsi exclu son application aux rapports des copropriétaires entre eux.

Si cet article a pu être interprété comme un « droit à polluer » pour le premier occupant, le Conseil constitutionnel a rappelé en 2011, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, que les obligations réglementaires et législatives incluaient évidemment la préservation et la protection de l'environnement et que ces dispositions ne préjugeaient en rien de l'engagement de la responsabilité pour faute.

On se trouve ainsi face à un fait curieux : un principe jurisprudentiel doté d'une exception fixée par la loi. D'où la présente proposition de loi, qui vise à créer un article 1253 du code civil comportant deux alinéas.

Le premier codifie la théorie de la responsabilité pour trouble anormal de voisinage. Il s'inscrit dans la continuité de plusieurs projets de réforme de la responsabilité civile, comme celui de Pierre Catala, celui de François Terré ou celui du ministre Urvoas en mars 2017.

L'alinéa reprend, à une exception près, les cas soulevés par la jurisprudence. La rédaction que je propose écarte néanmoins la responsabilité sans faute du constructeur, qui avait été questionnée par plusieurs universitaires. En effet, s'agissant de troubles occasionnés par des travaux, de deux choses l'une : soit le constructeur a commis une faute, et sa responsabilité pour faute peut être engagée ; soit les troubles sont occasionnés par les travaux eux-mêmes, auquel cas il revient au propriétaire d'en répondre. Je proposerai d'ailleurs un amendement visant à écarter la responsabilité du constructeur tout en garantissant que les personnes ayant la jouissance du bien, comme l'usufruitier, sont bien concernées.

Le deuxième alinéa inscrit dans le code civil la clause exonératoire de responsabilité, en énumérant les trois critères cumulatifs nécessaires à son application : l'antériorité de l'activité, la conformité à la législation et la poursuite de cette activité dans les mêmes conditions. Il procède à un élargissement du champ d'application de la théorie de la pré-occupation : toutes les activités seront concernées – y compris les activités sportives.

Je me suis interrogée sur l'articulation à prévoir entre la règle générale posée par le code civil et la règle spéciale prévue par le code de la construction et de l'habitation (CCH). Il me semble qu'une telle coexistence serait source de confusion ; c'est pourquoi je proposerai un amendement tendant à abroger l'article L. 113-8 du CCH, qui applique la théorie de la pré-occupation.

En matière de trouble anormal de voisinage, il est nécessaire de trouver un juste équilibre pour préserver les intérêts de tous. Tel est l'objet de cette proposition de loi. Cette préoccupation est d'ailleurs partagée par plusieurs groupes, dont le groupe GDR et le groupe LR, qui ont déjà déposé des propositions de loi sur le sujet.

Certains parmi vous ont la tentation de profiter de cette codification pour élargir l'exception de responsabilité. Cependant, un tel élargissement se ferait au détriment du droit au recours des personnes qui subissent le trouble. De plus, soyons réalistes : même une exonération complète de responsabilité ne mettrait pas fin aux conflits entre voisins ; elle entraînerait plutôt un glissement vers l'abus de propriété et la responsabilité pour faute.

Aller en justice doit constituer le dernier recours. C'est le message que nous avons envoyé en prévoyant une médiation obligatoire avant toute saisine du juge en matière de trouble anormal de voisinage. Il faut aussi veiller à la bonne information des parties ; dans mon département du Morbihan, une convention conclue entre les notaires et la préfecture prévoit ainsi que les nouveaux arrivants sont sensibilisés à leur environnement immédiat, afin qu'ils ne soient pas surpris. De telles initiatives locales, visant à apaiser les relations entre voisins, sont à encourager. L'objectif est le bien vivre ensemble sur un même territoire.

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