Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du lundi 4 décembre 2023 à 15h00
Défense des démocraties face aux multiples menaces et tentatives de déstabilisation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

La proposition de résolution que nous examinons contient des mesures dont l'objectif est de préserver la démocratie, et plus précisément les régimes politiques revendiquant une visée démocratique, contre les attaques qu'ils subissent. Les motivations qui poussent à vouloir fragiliser les régimes démocratiques sont multiples : la faiblesse géopolitique de certains, qui les conduit à adopter une attitude agressive pour se protéger ; la volonté de leadership de telle ou telle puissance sur une partie du monde ; ou encore l'intention d'annexer des territoires et d'accéder à des ressources.

J'ajoute que les modalités de diversion et d'attaque sont nombreuses et sont même, malheureusement, aussi infinies que l'imagination ; je pense notamment aux ingérences dans les processus électoraux, à la manipulation d'images et de récits, aux cyberattaques et au terrorisme.

La proposition de résolution livre de nombreux exemples d'États se livrant à des manipulations, à des menaces et à des intrusions. Elle ne peut évidemment en établir la liste complète, mais elle pourrait mentionner des États qui sont fortement suspectés de financer des organisations dont les branches armées mènent des attaques contre des civils.

Si l'objectif du texte se conçoit facilement, plusieurs des réponses qu'il propose pour défendre la démocratie peuvent être interrogées, et je me contenterai ici d'en montrer quelques limites. Sont proposées, entre autres, des sanctions telles que le gel des avoirs d'États ou de familles impliqués dans des organisations criminelles, mais aussi une meilleure coordination en matière de lutte contre le terrorisme et une responsabilisation des États.

Par exemple, le gel et la réutilisation des avoirs de la Russie semblent être efficaces sur le papier, mais c'est une solution fragile. Environ 300 milliards de dollars de réserves de change de la banque centrale russe se trouveraient dans les pays du G7 et en Australie, dont deux tiers dans des pays de l'Union européenne. Les règles actuelles prévoient que dans le futur, lorsque les sanctions seront levées, les propriétaires de ces avoirs – à savoir la banque centrale de Russie – devront les récupérer intégralement. Si l'UE étudie la possibilité d'en gérer les intérêts au bénéfice de l'Ukraine, le réalisme conduit à penser que l'effet d'une telle mesure sera – en droit et en fait – limité.

Quant au gel d'avoirs de familles impliquées dans des actions terroristes, il peut se révéler fragile sur le plan juridique : on aurait pu l'assortir de modalités plus solides et plus explicites, comme le fait de restreindre l'exportation de certains composants vers les États qui les utilisent pour armer des belligérants intervenant dans les conflits au Moyen-Orient.

En matière de lutte contre le terrorisme, le texte aurait pu rappeler l'intérêt d'informer tous les acteurs mobilisés contre ce phénomène, et notamment les parlements. C'est d'ailleurs ce que s'emploie à faire l'ONU.

Appeler à la responsabilisation est facile, mais ce qui manque pour rendre effectives les mesures déjà en place et, à l'avenir, les sanctions qui seront prises, ce sont des alliances diplomatiques solides au sein des instances internationales. À l'évidence, la diplomatie de l'Élysée n'est plus vue comme une exception, susceptible de rapprocher des États qui ont certes des intérêts différents mais ont en commun la volonté, dans un monde multipolaire, d'exprimer une voix à la fois réaliste et indépendante.

Nous nourrissons en effet une grande inquiétude à l'égard de la politique étrangère menée depuis six ans : nous craignons de voir la France perdre encore de son influence, y compris dans des pays avec lesquels les relations sont traditionnellement bonnes. Cela a été le cas en Afrique et c'est le cas au Moyen-Orient, comme l'illustrent de récentes analyses et prises de position, en France et dans les pays concernés.

En Europe, les relations franco-allemandes traversent une crise persistante, qui se traduit par des choix divergents en matière de défense européenne. Oui, nous partageons l'objectif formel de la proposition de résolution, mais des interrogations de fond émergent. Elles ont trait d'une part aux modalités concrètes de sa mise en œuvre, pour tenir le cap face aux défis qui se posent aux démocraties ; et d'autre part à la façon dont l'Élysée mène en solitaire la politique étrangère de la France. Beaucoup jugent qu'une telle attitude fragilise nos positions, davantage qu'elle ne renforce les alliances que nous devons nouer pour rendre effectives des initiatives et des sanctions à même de préserver l'idéal démocratique.

Le groupe des députés Socialistes et apparentés votera donc en faveur du texte, car il approuve son objectif, tout en exprimant ses interrogations et ses réserves.

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