Je vous propose de faire un point sur le déplacement des vices présidents de la Commission en Ukraine qui s'est tenu les 8 et 9 novembre derniers. J'étais accompagné de nos collègues Pierre-Henri Dumont, Frédéric Petit et Charles Sitzenstuhl. Marietta Kamaranli en qualité de vice-présidente était également conviée mais elle n'a pas pu se déplacer. Nous nous sommes rendus sur place en Ukraine afin de nous rendre compte de la situation et de témoigner au gouvernement et au peuple ukrainien notre solidarité dans le double défi que doit relever ce pays.
Le premier de ces défis est l'agression russe qui a commencé en février 2022 et qui se poursuit aujourd'hui. Le second est l'affirmation du destin européen de l'Ukraine par sa candidature au statut d'État membre de l'Union européenne.
Nous avons eu de nombreux entretiens à haut niveau, aussi bien au niveau du gouvernement que du parlement et je souhaiterais remercier le service diplomatique sur place.
Ce déplacement s'est tenu dans un contexte singulier, celui de l'approche de l'hiver redouté par les Ukrainiens ainsi que la publication par la Commission européenne du rapport d'élargissement 2023 qui a été le principal fil conducteur de nos entretiens sur place.
Permettez-moi de vous faire part de certaines convictions au retour de Kiev. La première c'est qu'en dépit des difficultés rencontrées sur le champ de bataille, l'exposé que nous en a fait l'attaché militaire ou le ministère de la Défense fait état d'une guerre difficile où chaque offensive de part et d'autre se révèle extrêmement coûteuse en hommes et en matériel. Les pertes humaines subies par l'Ukraine ne sont pas communiquées publiquement mais on les devine importantes, même si elles restent inférieures aux pertes russes. Malgré cette situation difficile et le détournement de l'attention internationale vers le Proche-Orient, la détermination des Ukrainiens demeure intacte. Notre visite, comme celle de Catherine Colonna il y a quelques semaines, ont été appréciées et vues comme une marque de soutien de la France dans la durée.
Après deux ans de guerre, j'ai porté un message simple : nous sommes aux côtés de l'Ukraine pour qu'elle puisse recouvrer sa souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale car il en va également de la sécurité de la France et de l'Europe.
La France est louée pour son soutien en faveur de l'Ukraine, à travers la fourniture de matériels et la formation de militaires ukrainiens, soit en France même, soit en Pologne.
Les Ukrainiens reconnaissent bien entendu que leur capacité à modifier la situation dépend étroitement de l'assistance des pays occidentaux, et notamment de la poursuite, voire de l'intensification des livraisons de matériel et de munitions. Tous les responsables que nous avons rencontrés ont souligné l'importance de la coopération dans le domaine militaire et, surtout, leur volonté de ne pas être un acteur passif mais un véritable contributeur à la sécurité de l'Europe.
Il nous a cependant été rappelé à plusieurs reprises, au Parlement comme au sein du gouvernement, que l'Ukraine aura très rapidement besoin d'une aide militaire accrue avec l'arrivée de l'hiver, qui devrait s'accompagner de frappes aériennes russes visant les infrastructures énergétiques. L'Ukraine craint que les capacités russes se soient accrues depuis l'hiver dernier et aura par conséquent besoin de renforcer ses défenses aériennes afin de les protéger. Les systèmes français ont un rôle important à jouer dans cette phase du conflit.
La seconde conviction dont je voulais vous faire part concerne la candidature de l'Ukraine à l'Union. Nous étions sur place le jour de la remise du rapport de la Commission sur l'état d'avancement de la candidature ukrainienne.
Les autorités ukrainiennes ont fait en sorte de pouvoir rendre compte de l'usage fait de chaque matériel fourni par les partenaires occidentaux. Un système de suivi de ces matériels, appuyé sur une base de données nourrie en temps réel, permet ainsi de couper court aux rumeurs qui ont pu courir faisant état d'un écoulement frauduleux de certains armements. L'industrie ukrainienne s'efforce également, à chaque fois qu'elle le peut, d'assurer elle-même l'adaptation ou la réparation de matériels endommagés. Malgré sa dépendance actuelle, qui est inévitable, l'Ukraine vise un degré d'autonomie maximal.
Les responsables que nous avons rencontrés ont surtout souligné que l'Ukraine voulait jouer un rôle actif dans la défense du continent. L'assistance militaire à l'Ukraine, comme nous l'ont rappelé plusieurs de nos interlocuteurs, doit être vue comme un investissement dans notre propre sécurité.
Il est surtout important que notre attention ne se détourne pas de l'Ukraine malgré la situation internationale, et en particulier les événements du Moyen-Orient. En réalité la discussion ne porte plus sur la question de l'acceptation de l'Ukraine dans l'Union européenne. En effet, elle a obtenu le statut de pays candidat sous présidence française en 2022. La question est sous quelle forme et selon quelles modalités cette adhésion doit se réaliser. De nombreuses réformes ont été demandées aux Ukrainiens et ils les mènent avec abnégation bien qu'ils soient encore loin d'avoir tout accompli notamment concernant la corruption, l'état de droit ou l'indépendance judiciaire entre autres. Ils reconnaissent leurs propres manquements mais conservent une volonté et une habilité à réformer en temps de guerre qui est admirable. Soit nous les excluons de l'espace de l'Union et ils resteront soumis à la déstabilisation et à la guerre, soit nous les accompagnons sur le chemin de l'adhésion et nous stabiliserons le continent européen. Je précise qu'une candidature au rabais ne serait acceptable ni pour nous ni pour les Ukrainiens. Quelle que soit la décision des chefs d'États en décembre, l'adhésion de l'Ukraine prendra plusieurs années pour permettre la libération, la reconstruction et la réforme de ce pays
Je voulais faire un dernier point sur la déportation de dizaines de milliers d'enfants ukrainiens. Il y a quelques mois, nous avions fait adopter une PPRE sur ce sujet. Nous avons rencontré sur place des acteurs gouvernementaux, des parlementaires et des ONG qui nous ont fait état d'une situation critique pour ces dizaines de milliers d'enfants qui sont souvent déportés très loin des frontières de l'Ukraine au cœur de la Fédération de Russie pour empêcher leur retour bien que quelques-uns y soient arrivés. C'est une blessure profonde pour la société ukrainienne et ce problème ne pourra être résolu que par la défaite militaire de la Russie et la mobilisation de la communauté internationale. S'il n'a pas fait la une des gazettes en France, notre texte avait été remarqué en Ukraine et je pense qu'il est important de rappeler que nos résolutions ne sont pas vaines : elles ont un poids à l'étranger.