Les vieilles histoires sont comme les vieux amis : il faut savoir leur rendre visite de temps en temps. Je commencerai donc avec une vieille histoire que j'ai lue et fait étudier à mes élèves quand j'enseignais au lycée, La Promesse de l'aube, de Romain Gary. Roman Kacew, de son vrai nom, était un enfant migrant, exilé, juif, qui a vécu en Russie, en Pologne puis en France. Son histoire et celle de sa mère sont à l'image du parcours de millions de Françaises et de Français venus des quatre coins du monde et qui ont fait la France, l'ont sauvée parfois, alors qu'ils avaient été confrontés à son visage le plus sombre, celui du racisme et de l'extrême droite.
Je ne peux que vous inciter à lire ce roman, qui raconte aussi un parcours de logement. Enfant, Romain Gary est expulsé avec sa mère de leur logement en Pologne pendant un hiver glacial. Arrivé en France, après Nice puis Aix-en-Provence, où il passe sa première année d'études, il part pour Paris, où il est confronté à la cherté de la vie. Pour se nourrir, il en est réduit à voler des croissants dans une brasserie, avec la complicité d'un serveur auquel il fait incarner dans son livre la part d'humanité qui peut exister en chacun de nous.
Ce livre parle d'humanisme. C'est bien de cela qu'il est question dans notre proposition de loi, qui vise à ne plus laisser des millions de nos jeunes dans la précarité. Il s'agit d'apporter des solutions fortes à une crise grave. Pour les jeunes, qu'ils soient étudiants, travailleurs ou privés d'emploi, l'accès au logement est plus difficile, car leurs ressources sont plus faibles et plus précaires que celles des autres ménages. Selon l'Observatoire des inégalités, les 18-29 ans sont la tranche d'âge la plus touchée par la pauvreté : 19 % d'entre eux, soit 1,5 million, se trouvaient sous le seuil de pauvreté en 2019.
Ils sont confrontés à un marché locatif presque bloqué, alors que les parcs publics comme les résidences et les foyers qui leur sont réservés sont déjà saturés. La concurrence entre demandeurs leur est particulièrement défavorable et les loyers s'envolent à des niveaux insoutenables pour des petits budgets. La dépense dévolue au logement mobilise ainsi une part de plus en plus lourde de leurs ressources. Pour les étudiants, elle s'élèverait, en moyenne nationale, à 60,58 % de leur budget, ce qui laisse très peu pour le panier alimentaire, sans parler des loisirs.
Certains préfèrent renoncer à leurs ambitions universitaires, évitant les villes où les loyers sont trop chers ; d'autres sautent des repas – nous avons tous en tête les images des files d'attente devant les distributions assurées par des associations humanitaires ; nous avions d'ailleurs proposé le repas à 1 euro pour les étudiants dans notre précédente niche. Certains vivent dans leur voiture, dans des campings, à la rue.
Il y a urgence à agir. Si la situation s'est aggravée ces dernières années, le constat n'est pas nouveau : un candidat à l'élection présidentielle, un certain Emmanuel Macron, promettait en 2022 de construire 60 000 logements pour les étudiants et 20 000 pour les jeunes actifs, tout en mobilisant les bailleurs sociaux pour créer au sein du parc social 30 000 « logements jeunes ». Au final, le nombre de logements créés pour les étudiants entre 2017 et 2022 n'atteint pas tout à fait 30 000 et ceux destinés aux jeunes actifs ont été très peu nombreux, pendant que la production de logements sociaux reculait inexorablement, passant de plus de 113 000 agréments à 95 679.
Avec notre proposition de loi, nous prenons le Président de la République au mot : développons enfin une offre abordable à la hauteur des besoins ! Et, parce que cela ne peut suffire – même en portant à 35 % la part de logements sociaux –, rendons accessible l'offre privée disponible.
Le texte ne prétend pas résoudre toutes les difficultés que doivent surmonter nos jeunes pour accéder à un logement. Il propose de s'attaquer à trois causes fondamentales de ces difficultés : le manque de logements abordables, l'augmentation des loyers et la faiblesse de leurs ressources.
Ainsi, l'article 1er consiste à relever de dix points la part minimale de logements sociaux dans les communes urbaines et à réserver, au sein de ce parc, 5 % pour des résidences universitaires et foyers de jeunes travailleurs.
L'article 2 tend à rendre obligatoire un dispositif d'encadrement des loyers, généralisé à l'ensemble du territoire national.
Enfin, le dernier article vise à compléter les aides personnelles au logement (APL) – durement atteintes ces dernières années – par un forfait de 150 euros mensuels pour tous les bénéficiaires de moins de 25 ans. Pourquoi 150 euros ? Parce que c'est le tout premier échelon d'une bourse.
Je ne peux conclure sans citer les mots de celui qui est en ce moment à l'affiche des salles de cinéma : l'abbé Pierre – après vous avoir conseillé une lecture, je vous recommande ce film. « C'est la vie qui doit créer la loi », disait-il, « et non pas la loi figer la vie ».