Monsieur le président, chers collègues, je vous remercie de m'accueillir dans votre commission pour l'examen de cette proposition de loi qui vise principalement à préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens dans un contexte de forte inflation.
L'inflation a battu des records dans notre pays depuis l'après-covid. La hausse des prix à la consommation a été particulièrement forte depuis la fin de 2021 et a atteint 6,2 % en France en octobre 2022, selon l'indice des prix à la consommation mesuré par l'Insee. Un tel niveau d'inflation n'avait pas été observé depuis les années 1980 en France.
Cette situation a des conséquences concrètes. Nos concitoyens ne parviennent plus à se nourrir, à se loger, à se chauffer ou à se déplacer. Ils sont obligés de se priver et sacrifient de petits bonheurs de la vie quotidienne, comme l'atteste la baisse de la consommation des ménages depuis plusieurs mois. Ils sont de plus en plus nombreux à s'enfoncer dans la pauvreté : plus de 2,4 millions de personnes ont eu recours aux banques alimentaires en 2022, soit trois fois plus qu'en 2011, et 400 000 personnes de plus qu'en 2020.
De nombreux organismes ont pointé le rôle majeur qu'a joué la progression des marges des entreprises dans cette hausse vertigineuse des prix. Selon le Fonds monétaire international, l'augmentation des profits est la première cause de l'inflation en 2022 et au cours du premier semestre de l'année 2023.
Alors que les prix des produits alimentaires ont augmenté de plus de 20 % en deux ans, les marges de l'industrie agroalimentaire ont bondi de 70 % dans la même période. De même, alors que le prix du carburant tourne depuis plusieurs mois autour de 2 euros le litre, les marges des raffineurs ont été multipliées par cinq entre le printemps et l'automne de l'année 2023.
Pour résumer, pendant que de plus en plus de Français se serrent la ceinture, une petite minorité profite de la situation pour s'enrichir sur leur dos. Cette situation est inacceptable et doit cesser.
Face à cette urgence sociale et à cette injustice profonde, le Gouvernement multiplie les déclarations d'intention et les opérations de communication sans effet. Bruno Le Maire suggère, Bruno Le Maire demande, Bruno Le Maire espère, Bruno Le Maire souhaite, Bruno Le Maire supplie, mais Bruno Le Maire refuse de faire ce que l'on attend d'un gouvernement : agir enfin par la loi pour protéger le pouvoir d'achat des Français et rendre leur vie moins difficile.
Avec cette proposition de loi, je vous propose donc que le Parlement fasse enfin aujourd'hui ce que le Gouvernement refuse de faire depuis des mois. Avec mes collègues de la France insoumise, nous proposons cinq mesures spécifiques afin de faire baisser concrètement le prix des produits alimentaires et du carburant tout en garantissant une meilleure rémunération des agriculteurs, qui sont bien souvent également victimes des stratégies d'accumulation de quelques acteurs économiques.
La première mesure, à l'article 1er du texte, renforce le rôle des conférences publiques de filière en leur confiant la tâche de déterminer, pour chaque filière, un prix plancher de la matière première agricole sous l'égide du médiateur des relations commerciales agricoles. Par ailleurs, pour éviter les stratégies de blocage de certains industriels ou de certains acteurs de la grande distribution, je vous propose de confier aux ministres compétents la tâche d'arrêter un niveau plancher de prix d'achat de tout ou partie des matières premières agricoles concernées en cas d'échec des négociations. Toujours dans le sens d'une meilleure protection du revenu des agriculteurs, je vous proposerai par amendement une mesure complémentaire visant à conforter la place des indicateurs de coût de production dans les contrats de vente des produits agricoles.
La deuxième mesure, qui se décline à l'article 2 pour ce qui est des relations entre producteurs et distributeurs et à l'article 4 s'agissant des relations entre les distributeurs et le consommateur final, vise, d'une part, à instaurer un coefficient multiplicateur maximum, applicable dès le 1er janvier 2024 et pour une durée d'un an et, d'autre part, à permettre au pouvoir réglementaire d'en fixer un autre dès lors que l'on constate que, sur une période de six mois consécutifs, l'indice des prix à la consommation des produits alimentaires augmente davantage que l'indice des prix des produits agricoles à la production. Cette mesure a pour objet d'encadrer par la loi les marges faites à chaque stade de la chaîne de commercialisation. Ce dispositif s'appliquerait aux industries de l'agroalimentaire comme de la grande distribution afin que des marges indues ne soient pas réalisées au détriment des producteurs et des consommateurs.
La troisième mesure, à l'article 3, porte spécifiquement sur le prix de l'essence, sujet de préoccupation majeur pour nos concitoyens. Il s'agit là aussi d'instaurer un coefficient multiplicateur pour éviter que la marge brute de raffinage n'atteigne des sommets sans commune mesure avec l'évolution constatée du cours du pétrole.
La quatrième mesure consiste, à l'article 4, à supprimer la majoration de 10 % du seuil de revente à perte, dit mécanisme du « SRP+10 », dont on souhaitait initialement qu'elle bénéficie aux producteurs par une sorte de ruissellement vertueux. En vérité, ce dispositif n'a bénéficié ni aux producteurs, ni aux consommateurs, mais essentiellement aux distributeurs qui se sont emparés de cette manne alors qu'ils n'en demandaient pas tant, comme l'a démontré un rapport du Sénat publié en 2019. Plusieurs acteurs que j'ai auditionnés dans le cadre de la préparation de cette proposition de loi se sont montrés favorables à cette suppression. D'autres étaient plus réticents, craignant qu'elle ne soit répercutée au final sur les producteurs. Je tiens à les rassurer : l'article 1er, qui garantit un prix plancher d'achat des matières premières, permet d'éviter que cette suppression se fasse au détriment des agriculteurs.
La cinquième et dernière mesure que je propose figure dans un amendement portant création d'un article 1er bis, qui tend à renforcer le rôle de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM) en lui accordant davantage de pouvoirs d'enquête et de sanction pour renforcer la transparence sur les mécanismes de construction des prix.
Certains d'entre vous m'objecteront peut-être que l'inflation semble moins forte depuis quelques semaines, grâce notamment à un net ralentissement sur un an de la hausse des prix de l'énergie. La note de conjoncture de l'Insee publiée le 15 novembre montre que l'inflation a légèrement baissé au mois d'octobre, pour s'établir à 4 % sur un an. Rappelons toutefois qu'un ralentissement de l'inflation ne signifie pas la fin de la hausse des prix et, donc, des difficultés des Français. Les prix continueront à progresser, même s'ils l'ont fait moins rapidement au mois d'octobre. En outre, rien dans le contexte national ou international ne permet de garantir la pérennité de cette évolution à la baisse. L'instabilité au niveau mondial demeure extrêmement forte, et nous n'avons pas encore ressenti les éventuels effets du conflit au Proche-Orient sur le prix du pétrole. Cela nous interdit toute confiance excessive quant à l'évolution de la situation dans les mois et années à venir.
C'est la raison pour laquelle il est nécessaire de mettre en place, outre des mesures d'effet immédiat, des mécanismes pérennes qui devront être activés dès lors que des conditions économiques particulières seront réunies. Cela permettra de répondre immédiatement et de manière efficace aux éventuelles poussées inflationnistes.
Comme vous le voyez, cette proposition de loi se veut concrète et utile. Elle contient des mesures de justice élémentaire qui devraient faire l'unanimité sur ces bancs. Je note d'ailleurs que le ministre de l'économie, la Première ministre, le Président de la République, et peut-être le président de cette commission qui sourit à mes propos, ont eux-mêmes pointé en septembre dernier les marges excessives dans l'agroalimentaire comme dans le raffinage.
Je rappelle à ceux qui l'auraient oublié qu'en 2011, M. Christian Estrosi avait déposé une proposition de loi visant à limiter les marges de la grande distribution, cosignée notamment par nos collègues Thierry Benoit, Éric Ciotti, Marie-Christine Dalloz, Marc Le Fur ou encore par le député devenu ministre Philippe Vigier. La même année, le président Chassaigne en déposait une visant à encadrer les prix des produits alimentaires. L'ensemble de ces dispositions devraient donc faire consensus parmi les groupes. J'espère que la discussion permettra de le démontrer.
Les nombreuses propositions présentées et les nombreuses interventions, y compris présidentielles et ministérielles, faites en ce sens n'ont pour l'instant pas été suivies d'effet. Il est temps de passer des paroles aux actes. C'est ce que je vous propose avec cette proposition de loi.