Intervention de Clémence Guetté

Réunion du mardi 21 novembre 2023 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClémence Guetté, rapporteure :

Je remercie les collègues qui se sont exprimés, même si les différentes prises de position ne recèlent guère de surprises.

À Mme Heydel Grillere, je répondrai que nous aimerions pouvoir faire de grandes lois et avoir, à l'instar de la majorité, toute l'année pour proposer des réformes législatives ambitieuses. Le moratoire est en effet une mesure nécessairement limitée, à l'image du temps d'initiative parlementaire qui nous est laissé : pas grand-chose quand on est un groupe de l'opposition. C'est un reflet des conditions du débat démocratique au Parlement.

Cette mesure limitée a néanmoins le mérite d'identifier des enjeux concernant la gestion de l'eau, reconnus comme assez légitimes par d'autres collègues : la nécessaire bifurcation du modèle agricole ; le changement climatique et ses conséquences sur les usages de l'eau. Pour avoir consulté des hydrologues, je peux assurer de l'importance majeure de ce dernier point. Dans le Massif Central, par exemple, les mêmes cours d'eau sont supposés alimenter des méga-bassines pompant l'Allier dans le Puy-de-Dôme, refroidir des réacteurs nucléaires sur la Loire, répondre aux besoins de l'industrie et du tourisme et fournir une ville comme Clermont-Ferrand en eau potable. Dans les années à venir, il va falloir faire des arbitrages. Cette mesure aurait au moins le mérite de « mettre sur pause » pendant dix ans, le temps d'organiser les conditions du débat démocratique et de faire des choix conformes à la volonté des citoyens.

La situation hydrographique sur le territoire national varie d'un endroit à l'autre, comme certains l'ont souligné : les nappes phréatiques, quand elles existent, ne sont pas toutes de la même profondeur ; les cours d'eau sont plus ou moins abondants. Même s'il est difficile d'adopter une mesure unique pour tout le territoire dans de telles conditions, je pense néanmoins que nous devons le faire. Certains auteurs d'amendements proposent de restreindre le moratoire aux zones de répartition des eaux où le stress hydrique est intense et le manque d'eau avéré. Je pense qu'il faut tout de même l'appliquer sur tout le territoire, car le modèle des bassines, encouragé lors du Varenne de l'eau, notamment par des syndicats agricoles très puissants, peut se développer si nous ne prenons pas le temps d'une discussion.

Nous lançons ce débat parce que nous ne voulons pas que les conflits sur le partage de la ressource en eau se multiplient sans que l'État intervienne. Le problème ne vient pas de la profession agricole dans son ensemble, mais d'intérêts privés minoritaires : les bénéficiaires de ces méga-bassines qui, comme le montrent les chiffres cités, représentent une infime minorité des agriculteurs qui n'ont pas nécessairement l'occasion de dialoguer avec les citoyens de leur territoire. Nous voulons donc prendre ce temps démocratique.

Quant au plan Eau, nous le trouvons très insuffisant. M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, a d'ailleurs annoncé que l'objectif de réduction de 10 % des prélèvements en eau par la profession agricole pourrait passer à la trappe lors de l'examen de la loi d'orientation agricole. Nous serons fixés sur ce point dans quelques mois, mais si l'objectif initial – déjà insuffisant – passe à la trappe, nous aurons perdu beaucoup de temps. En outre, le plan Eau ne prévoit pas de réelles mesures pour aider les agriculteurs à s'orienter vers des cultures plus résilientes. Il est certes prévu d'encourager l'irrigation par goutte-à-goutte, par exemple, ce qui est bien mais très insuffisant à un moment où il nous faut opter pour une très nette bifurcation du modèle agricole. Le plan Eau ne résoudra donc pas grand-chose.

Selon l'orateur du Rassemblement national, nous proposons seulement d'attendre dix ans et de ne rien faire dans l'intervalle. L'hypocrisie de votre attitude va apparaître rapidement au cours des débats : si certains de vos amendements proposent des solutions à un problème que vous jugez réel, vous avez d'emblée demandé la suppression de l'article unique de cette proposition de loi, montrant ainsi que vous ne trouvez pas ce débat légitime. Vous avez même déposé un amendement pour gommer toute mention du changement climatique dans notre proposition de loi, ce qui en dit long sur votre vision en la matière. Si nous proposons de ne rien faire, comme vous le prétendez, pourquoi avoir déposé un amendement de suppression ? Vous voulez supprimer du rien ? Un moratoire, ce n'est pas rien. Contrairement à ce qu'ont dit plusieurs collègues, un moratoire n'est pas non plus une interdiction pure et simple, mais une pause permettant d'avoir le temps de discuter puis de décider de la manière dont nous voulons organiser la ressource en eau en fonction des territoires.

Nous allons pouvoir aussi discuter de la notion de méga-bassine car, contrairement à ce qu'ont indiqué plusieurs collègues, nous ne ciblons pas toutes les retenues. Nous avons retenu des seuils, un peu hauts à mon avis, en nous fondant sur les critères fixés pour une autorisation environnementale : 200 000 mètres cubes et plus de 3 hectares – ce sont donc de grands ouvrages soumis à autorisation et non à une simple déclaration. Nous avons pris cette définition par défaut, mais il en existe d'autres, plus restrictives, qui étendraient le moratoire à davantage de retenues de substitution. En fait, notre dispositif est très raisonnable : il ne cible qu'une infime minorité des réserves de substitution existantes. Je rappelle qu'on estime entre 600 000 et 800 000 le nombre total de retenues d'eau en France.

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