Madame la présidente, s'agissant de la gouvernance et de la coordination, j'ai installé vendredi à Marseille le neuvième comité départemental pour la protection de l'enfance. Nous avons décidé d'affecter les 10 ETP à la création de postes de délégués départementaux à la protection de l'enfance qui seront recrutés dès que possible, tout début janvier. La fiche de poste est prête. Il s'agira de cadres experts placés auprès des préfets pour assurer la coordination avec les départements, les préparatifs de la contractualisation et appliquer localement le plan de lutte contre les violences et les plans de lutte contre la prostitution. Ce sont des acteurs très importants pour nous.
Si j'ai voulu concentrer les moyens sur ces dix CDPE, c'est parce qu'il existe dans ce domaine une coresponsabilité et que les choses se jouent sur le terrain, avec les différents acteurs : les départements pilotes de la protection de l'enfance ; l'État, doté de sa responsabilité régalienne, qui inclut la sécurité, la justice, l'éducation nationale et la santé, sans compter la politique de la ville, essentielle pour les enfants ; enfin, le secteur associatif, très présent et actif.
J'aurai une première réunion avec l'ensemble des représentants des préfets pour avoir des témoignages sur les premiers CDPE, installés plus rapidement – il faut toujours des dialogues politiques pour arriver à nos fins.
En ce qui concerne les décrets d'application de la loi du 7 février 2022 sur la protection de l'enfance, depuis ma nomination, je travaille l'ensemble des projets de décret avec Départements de France ; c'est constructif, mais cela peut prendre un peu de temps, parfois trop. Au cours des derniers mois, marqués par des tensions, beaucoup de décrets étaient en attente d'une confirmation par Départements de France. C'est pourquoi nous avons pris un peu de retard, outre la technicité de certains décrets.
Parmi les décrets qui ont suscité beaucoup d'échanges sans beaucoup de résultats figure celui sur les hôtels. L'obligation étant fixée au 1er janvier 2024, le décret provisoire que nous avions prévu de prendre pour la période 2022-2024 nous a paru désormais sans objet : nous publierons le décret définitif avant le 1er janvier. Il ressort de l'expérience des dix départements CDPE qu'aucun ou presque ne met plus à l'hôtel de mineurs de moins de 16 ans présentant une fragilité. Restent ceux de 16 à 18 ans, souvent des mineurs non accompagnés issus de l'immigration – ils font l'objet d'un travail que nous sommes en train de finaliser avec les départements –, et les personnes se prétendant mineurs non accompagnés, un sujet qui demeure devant nous.
Tous les décrets auront paru avant le 1er janvier, à l'exception, comme toujours, de ceux sur les fichiers, qui font l'objet de longs échanges avec la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés).
En ce qui concerne le dispositif Scolarité protégée, cher Éric Poulliat, notre objectif est de garantir un dialogue entre école et département, par l'intermédiaire d'un référent à l'ASE et d'un autre à l'éducation nationale. Le but est de simplifier le quotidien : il n'est plus possible qu'un gamin loupe une sortie scolaire parce qu'il n'a pas la signature de son père ou de sa mère, qui, de toute façon, ne viendra que quinze jours plus tard. Il s'agit aussi d'accélérer les procédures d'inscription et de réinscription, notamment quand les enfants subissent des ruptures dans leur placement, donc dans leur affectation scolaire : on ne peut pas les laisser pendant des semaines sans école – c'est de moins en moins le cas dans certains territoires, mais pas dans tous. Les référents ASE et éducation nationale contribueront à construire des formations communes sur la protection de l'enfance, mais aussi sur les enjeux spécifiques de chaque territoire – par exemple, certains sont davantage touchés par la prostitution, même si plus aucun n'est épargné par le phénomène.
Plus important encore : les 15 millions – contre 400 000 euros auparavant – consacrés aux appels à projets sur la scolarité. L'idée est de renforcer l'aide aux devoirs et les temps d'évaluation de chaque enfant, sous la forme de rendez-vous réguliers au cours de leur scolarité pour faire le point sur leurs progrès, sur leurs difficultés et sur leurs souhaits d'orientation.
Certains enfants ne pouvant plus aller à l'école, le Cned (Centre national d'enseignement à distance) va monter un dispositif pour leur permettre d'assister à certains modules et d'en être récompensés, même si cela ne fait pas partie de leur parcours scolaire. Le Cned développera aussi un accompagnement pour les éducateurs et pour les personnels des structures de foyers.
Il était essentiel de poser cette première brique avec le ministre de l'éducation nationale pour y ajouter ensuite celle de l'enseignement supérieur. Il y a quelques jours encore, on a gentiment conseillé de faire un BTS à une jeune fille qui se destinait à une grande école. À ces enfants, déjà moins présents que les autres dans l'enseignement secondaire, on préconise de faire des études supérieures courtes pour être très vite autonomes ; ce n'est plus acceptable. La Première ministre y est particulièrement sensible.
Concernant les relations entre État et départements, la Première ministre a consacré à la protection de l'enfance un quart de son discours devant Départements de France. Elle a annoncé que l'aide à la prise en charge des personnes se prétendant mineurs non accompagnés serait portée à 100 millions. Il s'agit aussi de formaliser une méthode de travail.
On peut trouver le temps trop long, madame Marianne Maximi ; il me pèse autant qu'à vous : dans ce domaine, on n'agit jamais assez vite. Je suis sur le terrain, moi aussi, je vois la situation des éducateurs et des enfants. Je me suis déjà rendue dans quarante-deux départements – pas encore dans le Puy-de-Dôme, mais j'irai bientôt.
L'idée de cette méthode de travail est la suivante. Nous avons des compétences et des responsabilités partagées. Les départements – qui ne veulent pas de la recentralisation – ne sont pas seuls responsables, non plus que l'État. Il nous faut un accord, au-delà des constats. J'ai refusé la tenue d'états généraux, car les constats sont unanimes ; c'est du concret qu'il faut, maintenant. Cela suppose de s'accorder sur les chiffres. Que l'on avance, au lieu de se regarder en chiens de faïence.
L'attractivité des métiers est un enjeu central. C'est aussi la mission des CDPE que de s'occuper des professionnels sur le terrain. Les questions de handicap, également essentielles, bénéficient d'une enveloppe de 50 millions.
Que les départements ne nous demandent pas de reprendre les délinquants, les enfants en situation psychologique difficile, les étrangers et de leur laisser les enfants qui iraient bien – de toute façon, par définition, ils ne vont pas bien.
Je compte sur ces échanges, et j'aurai à mes côtés – la Première ministre s'y est engagée – les ministres les plus concernés : ceux de la santé, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, du travail, de la justice et de l'intérieur. Parmi les sujets essentiels, il y aura les mineurs non accompagnés, un problème qui nous frappe à nouveau de plein fouet ; à Marseille, on a atteint un point de bascule. Il faut s'y atteler au lieu de se renvoyer la responsabilité.
Madame Caroline Parmentier, le combat à livrer dans le champ du numérique est en effet très important. À l'occasion du Paris Peace Forum, nous avons fait, avec Jean-Noël Barrot, ministre chargé de la transition numérique, le bilan de la première année du Laboratoire pour la protection de l'enfance en ligne, une priorité fixée par le Président de la République lui-même lors de notre prise de fonctions. Le but est de responsabiliser les plateformes et de faire évoluer la législation. Les textes importants qui ont été défendus par Jean-Noël Barrot et par les députés Erwan Balanant, Bruno Studer et Laurent Marcangeli constituent désormais un corpus ; en la matière, la France est un pays précurseur en Europe. Dialogue, responsabilité, absence de naïveté, voilà l'esprit de nos relations avec les plateformes. Et quand je les interpelle à propos d'un contenu qui me paraît délirant, comme ce jeu stupide qui consiste à se pincer la joue pour marquer sa peau, elles réagissent. Elles ont conscience du fait qu'un élément fondamental est entre leurs mains.
En ce qui concerne la santé mentale et les écrans, nous travaillons à des propositions que le Président de la République se réserve d'annoncer. En tout cas, nous devons tous mener ce combat. Le ministre de l'éducation nationale va généraliser la plateforme Pix à partir du CM2 ; je lui ai même dit qu'il pouvait attaquer dès le CM1 – la plupart des enfants de 9 ans ont déjà un smartphone.
Il est un peu plus difficile de toucher les parents, selon leur niveau social et leurs capacités linguistiques. Tous ont conscience du problème – des mamans en pied de tour me parlent de leur gamin qui reste sur le canapé au lieu d'aller jouer au foot –, mais il faut encore réussir à leur apporter les bonnes informations. Le ministre de l'éducation nationale et Jean-Noël Barrot travaillent à un Pix pour les parents, mais ne risque-t-il pas de ne toucher que les CSP+ ?
Quant au programme Lantern, compte tenu de la stratégie du Président – dialoguer sans naïveté –, on ne peut pas ne pas prendre en considération la démarche que viennent de faire les plateformes. On sait ce qui les stimule – quarante États américains ont assigné Meta en justice pour avoir nui à la santé mentale des enfants. En tout cas, le dialogue existe : nous avons des relations nourries avec les responsables des relations publiques des plateformes. Toutes sont représentées au sein du Laboratoire pour la protection de l'enfance en ligne. Le PDG de TikTok a eu une rencontre bilatérale avec le Président de la République et je crois qu'il a compris le message. Cette diplomatie à la fois internationale et technologique a permis d'avancer en matière de terrorisme et de haine en ligne, et son bilan n'est pas négatif concernant la protection de l'enfance.
Madame Marianne Maximi, beaucoup a été fait pour les enfants en situation de handicap, même si, bien sûr, certains éléments sont insuffisants. Le ministère de l'éducation nationale a travaillé sur le statut de l'AESH, dont la formation et la revalorisation sont une réalité ; le problème est que l'on aura bientôt plus d'AESH – ils sont 30 000 – que de professeurs des écoles ! Dans certaines classes, il y en a deux ou trois. L'enjeu – nous en avons conscience, le ministre de l'éducation nationale, Fadila Khattabi, chargée des personnes handicapées et moi-même – est d'apporter le médico-social dans les écoles, mais pas nécessairement dans les classes, et d'offrir aux enfants des parcours en classe ordinaire et dans la classe spécialisée au même endroit.
Dans le cadre de la Conférence nationale du handicap, 50 000 nouvelles solutions médico-sociales ont été annoncées, dont une partie est destinée aux enfants et une partie à ceux de l'ASE. Ce sont des centaines de millions d'euros pour les enfants en situation de handicap, en plus du budget consacré à l'école inclusive depuis le début du quinquennat. Tout le monde s'est saisi du problème, car on repère de plus en plus d'enfants porteurs de troubles du neurodéveloppement ou de troubles du comportement pouvant être liés à des troubles de l'apprentissage ou à des violences dans les familles. Nous rattrapons un énorme retard, car rien n'avait démarré avant 2017.
En ce qui concerne les violences éducatives ordinaires, nous avons décidé que la référence à la loi et les numéros utiles figureraient expressément dans le carnet de grossesse et dans le carnet de santé. Nous maintenons la contractualisation dans les entretiens pré- et postnataux. Dans ces différents cadres, nous aborderons aussi le numérique : en ce qui concerne les bébés et le téléphone, la situation est catastrophique – après les perches à selfie, on voit maintenant des perches devant les poussettes !
S'agissant des campagnes, je n'ai pas encore tout à fait arbitré, mais la prochaine concernera sans doute le sport, ce qui permettra de parler des violences sexuelles, ainsi que des violences psychologiques et ordinaires et du rapport à la compétition. Comme pour la campagne 2023, nous allons mettre tous les acteurs autour de la table, réfléchir au sens du message que l'on veut faire passer et discuter avec les associations concernées.
Concernant le logement d'urgence, nous n'avons jamais eu autant de places. Le problème est qu'il n'y a pas assez de personnes qui sortent du dispositif. Le flux migratoire reprend, de sorte que des mineurs non accompagnés, ou des personnes qui prétendent l'être, et des familles arrivent en continu ; il nous faut les héberger. Nous avons décidé d'attribuer à chacun des vingt départements qui assurent 90 % de l'hébergement d'urgence 4 ETP correspondant à des postes de travailleurs sociaux et deux coordinateurs expressément voués à s'occuper des familles accueillies à l'hôtel. Cela permettra de renforcer notre action pour le retour ou l'accueil à l'école. L'année dernière, nous avions ainsi récupéré 3 000 enfants non scolarisés. Il s'agit aussi de repérer les problèmes de santé associés au mal-logement. Il n'est pas acceptable que des enfants dorment dans la rue, mais ce ne sont pas les mêmes qui y restent : la plupart du temps, ils sont issus de l'immigration très récente, et le problème est le flux et le passage au logement pérenne pour des personnes qui ne sont pas toujours en situation régulière. Le respect des obligations relatives au logement social dans nos villes est un autre enjeu.
Concernant l'imprescriptibilité des violences sexuelles contre les enfants, je ne peux pas m'autoriser à avoir un point de vue ferme et déterminé. Il y a la douleur des victimes qui n'ont pas pu parler et qui parlent trop tard, à laquelle s'ajoute le problème de l'amnésie traumatique ; il y a aussi les criminels sériels dont on identifie les méfaits à un moment donné et dont les anciennes victimes ne peuvent pas être considérées comme des victimes par la justice. Vous avez beaucoup fait en matière de prescription : pour les faits les plus graves, les criminels peuvent être poursuivis trente ans après la majorité de la victime.
Les violences sexuelles doivent-elles rejoindre les crimes contre l'humanité au rang des faits imprescriptibles dans notre pays ? C'est un débat sociétal, qui relève du Parlement. C'est un choix qui ne peut pas m'appartenir. Les personnes concernées sont détruites, elles s'appellent elles-mêmes les survivantes.
Il y a un deuxième sujet sur lequel je m'interroge. Pardonnez-moi de faire appel à mes compétences d'ancienne magistrate, mais ne risquons-nous pas de créer de la frustration chez certaines personnes qui se verraient à nouveau déboutées par la justice pour la simple raison que plus les années passent, moins on a de témoins et plus il est difficile d'établir des faits ? Le problème se pose déjà aujourd'hui avec une prescription de trente ans. Les faits auront beau être imprescriptibles, que faire si les témoins et les lieux n'existent plus ? La justice établit la culpabilité des individus en fonction des éléments dont elle dispose à la date à laquelle elle est saisie. Je n'apporte pas de réponses, je pose des questions qui pourront être soulevées et faire l'objet d'un travail plus approfondi lors de l'examen de la proposition de loi de M. Xavier Iacovelli, dont je soutiens l'engagement.
Ce n'est pas seulement une question de moyens, même si l'on peut évidemment se demander comment prioriser toutes les enquêtes supplémentaires susceptibles d'être ouvertes. L'Ofmin reçoit chaque semaine 500 signalements de pédocriminalité en ligne, de vidéos où des petits enfants de moins de 2 ans se font violer. On ne peut donc pas avoir de réponse sûre. En choisissant de rendre certains crimes imprescriptibles, on enverra un message aux victimes, mais gardons-nous de créer de la frustration. Du reste, l'approche du délai de prescription pousse parfois certaines personnes à parler. Encourageons surtout les gens à parler plus vite, plus tôt, pour que leur vie entière ne soit pas détruite ! Je voudrais que les femmes et les hommes de notre pays puissent parler et obtenir réparation avant l'âge de 90 ans ! Comprenez bien que de nombreux éléments de niveaux différents doivent être pris en compte dans ce débat, que je ne peux pas trancher. Ce faisant, je ne me défausse pas de mes responsabilités : je dis juste que la question me dépasse.
J'en viens au sujet de la prostitution des mineurs, qui n'a pas été approfondi par la Ciivise. Ce phénomène, qui explose, en dit long sur le rapport des enfants à leur corps et à leur sexualité, sur la vulnérabilité de ces mineurs et sur le rapport des adultes aux enfants. Effectivement, on est loin du cas de la jeune fille de 17 ans qui en fait 24 parce qu'elle s'habille comme si elle était plus âgée ! Je ne cesse de demander aux procureurs de renvoyer aux assises, conformément à la loi, les affaires impliquant un majeur et une fille ou un garçon de moins de 15 ans. Ce n'est pas parce qu'une relation est tarifée qu'elle échappe à la loi, qui veut qu'il n'y ait pas de consentement avant l'âge de 15 ans.
Sur certains aspects, cette question rejoint les sujets migratoires, mais elle ne s'y réduit pas – on sait qu'elle touche aussi nos campagnes et les jeunes filles de tout niveau social. Elle fera l'objet d'une stratégie gouvernementale puisque nous sommes en train d'élaborer, notamment avec la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), un plan de lutte contre la prostitution, des majeurs comme des mineurs, et que nous allons y consacrer des moyens. N'en faisons pas un combat seulement féminin. Peut-être faudrait-il approfondir ce sujet dans un cadre plus large – en créant une « Ciivise 2 » ?